Retraites : les radicalisations dangereuses

par Henry Moreigne
vendredi 8 octobre 2010

Constitution d’un arc syndical sur le dépôt de grèves reconductibles d’un côté, gouvernement arc-bouté sur son projet de l’autre, la France se retrouve dans une impasse dangereuse, privée d’un consensus minimal pour mener à bien l’indispensable réforme du régime des retraites.

Ceux qui pensaient que la mobilisation s’étiolerait en seront pour leurs frais. Le temps est à la radicalisation emmenée par une poignée de syndicats bien implantés dans des secteurs clés. “L’idée est de contribuer à un puissant mouvement le 12 octobre“, journée interprofessionnelle de grèves et de manifestations a prévenu Didier Le Reste, secrétaire général de la CGT-cheminots.

La question des grèves reconductibles divise mais, l’inflexibilité gouvernementale fait le lit des radicaux en poussant à la surenchère. Le gouvernement dans sa recherche permanente du clivage et de l’affrontement joue les pyromanes comme l’illustrent les déclarations du porte-parole du gouvernement, Luc Chatel quand il avance que les menaces de grève reconductible brandies par certains syndicats du transport seraient sans effet. Les quelques concessions lâchées par l’Elysée ne sont que trompe-l’oeil.

Au-delà de la manœuvre électoraliste de l’exécutif qui vise à ressouder la droite contre la France qui manifeste, différents éléments expliquent en partie le blocage actuel.

D’une part la très grande complexité du système français construit sur la sédimentation d’une multitude de régimes disparates. D’autre part, dévalorisation et la défiance à l’égard de la parole publique fruit de la multiplication de mensonges éhontés au sommet de l’Etat et d’une classe politique souvent médiocre qui à défaut de maîtriser les subtilités du système préfère s’enfermer dans les généralités. La parodie de débats à l’Assemblée nationale, recherchée par Nicolas Sarkozy mais partagée par la gauche, a également contribué à déboussoler un peu plus les Français.

Dans le bras de fer qui oppose la majorité aux syndicats, l’objectif même de la réforme tend à passer au second plan. La seule porte de sortie envisagée est le KO de l’autre. On n’est pas, l’a-t-on jamais été, sur une stratégie des petits pas visant à aboutir, par des cheminements convergents, vers une réforme acceptable par tous. L’idée selon laquelle seul l’immobilisme serait générateur de paix sociale est évidemment fausse. Les Français ne sont pas réfractaires par essence aux réformes. Ils sont simplement très vigilants et exigeants sur la bonne répartition des efforts et des sacrifices.

Avec Nicolas Sarkozy on est passé d’un excès à l’autre. De l’immobilisme des années Chirac à un réformisme brutal, douloureux, ressenti comme injuste et sans garanties sur les résultats.

Comme le relève l’Humanité, “Le gouvernement et sa majorité ont choisi l’épreuve de force, dans une posture chère aux plus ultra des libéraux. Ils oublient cependant que la France n’est pas la Grande-Bretagne et que Margaret Thatcher avait ciblé une catégorie, les mineurs, là où tout un peuple est visé“.

La gauche française trouvera peut être dans les propos de Will Hutton (Le Monde du 4 octobre) les ferments d’une réponse. L’intellectuel britannique proche du parti travailliste pose assez bien la problématique : “Aucun Etat ne peut se permettre de financer un système de retraite quand les gens vivent plus de vingt ans après avoir arrêté de travailler. Mais Nicolas Sarkozy a une approche purement comptable des choses. Il propose d’augmenter l’âge de la retraite à 62 ans pour des raisons financières, il ne l’inscrit pas dans une réforme plus large. La France, comme la Grande-Bretagne, a besoin de redessiner son contrat social. J’ai 60 ans, je peux espérer vivre jusqu’à 90 ans. Cela demande de repenser radicalement les choses“.

A Gérard Filoche et ses amis qui estiment que le financement complémentaire des retraites doit être notamment abondé par les gains de productivité, Will Hutton rappelle que le 21éme siècle enregistrera de 16 à 20 sauts technologiques et sera celui de la connaissance. Rater ces évolutions condamnerait inexorablement notre économie au déclin et donc au partage de la misère. A ce titre il propose d’investir massivement dans l’éducation et la formation. Une proposition d’autant plus intéressante qu’un rapport remis le 1er octobre dernier pointait la très forte dégradation du niveau des collégiens.

Ramenée à cette échelle, la réforme du régime des retraites confirme qu’elle constitue un moment fort dans l’orientation que l’on souhaite donner à notre société.

Avec pertinence, certains observateurs font remarquer qu’il serait aberrant que la riche France de 2010 ne soit pas capable de pérenniser les créations du Conseil National de la Résistance qui aux lendemains de la guerre, dans un pays exsangue, avait réussi à mettre en place un système de retraites et de sécurité sociale.

La solution n’est toutefois pas dans la rue dans un choc stérile des légitimités : légitimité sociale contre celle du président de la république tirée de son élection. Elle doit être dans un corps à corps de projets de société en 2012. Le temps qui nous sépare de cette échéance cruciale doit être mis à profit par un réel effort intellectuel et non dans le recours à de vieilles recettes, inadaptées à un monde défiguré par la mondialisation. Sans resombrer dans l’immobilisme, la sagesse voudrait que la réforme du régime de retraite soit repoussée aux élections présidentielles de 2012 et fasse l’objet d’un choix clair des Français.


Lire l'article complet, et les commentaires