Revenir à la laïcité

par Orélien Péréol
mardi 9 mars 2010

Nous avons renoncé à la laïcité-arbitrage de l’Etat au service de la liberté des citoyens et nous y avons substitué, sous le même nom, une laïcité-athéisme d’Etat qui commande à ses « sujets » un athéisme public, réservant la pratique religieuse à l’entre-soi. Nous ne comprenons plus nos problèmes et nous avons semé les germes d’une extension de nos difficultés relationnelles et de la multiplication des objets de conflits. En juin, la burqa a été sortie du « silence des organes » par de parlementaires. Aujourd’hui, un « problème » des minarets nous arrive de Suisse…
Nous devons retrouver la laïcité comme boussole devant ces « problèmes ». La laïcité pas l’athéisme autoritaire.
Nous aurions le chemin d’une relation plus détendue à certains problèmes nouveaux si nous retrouvions le principe directeur de laïcité pour y réfléchir.
La laïcité est un attribut de l’Etat. La laïcité est le principe qui oblige l’Etat à réguler les relations des religions entre elles et avec lui, dans une indifférence méthodique et le choix de la liberté du citoyen. La laïcité de l’Etat est la garantie de la pratique religieuse des citoyens.
Par exemple, l’Etat nomme les fêtes religieuses qu’il reconnaît, et qui autorisent l’absence des citoyens aux obligations professionnelles ou scolaires qu’ils ont. C’est ainsi que l’Aïd El Adha (27 novembre dernier) est pratiquée dans les écoles par les enseignants ou les élèves qui le désirent. Voilà une action laïque de l’Etat laïque.
Nous avons renoncé à ce principe. Nous appelons maintenant laïcité un athéisme d’Etat, conçu comme une commande faite au citoyen de manifester publiquement un athéisme. Un Etat religieux commande la religion de ses citoyens ou sujets. Un Etat laïque n’a rien à commander au citoyen car il n’y a pas de citoyen laïque. Avec une loi, du 15 mars 2004, qui interdit de porter des signes religieux à l’école, nous avons renoncé à la laïcité. Tandis que nous en gardons le nom pour autre chose. Nous en avons changé le sens et nous en avons fait la justification de la commande de certains comportements, vêtements… etc. La laïcité, principe de liberté, est devenue principe de contraintes.
Comme un Etat religieux commande la religion des citoyens qui le composent, l’Etat de la laïcité-athéisme commande un comportement athée à ses citoyens, au moins en apparence. La laïcité est devenue une obligation de type religieuse de manifester son athéisme dans les lieux publics.
Pour le citoyen, cette demande de coupure entre le visible (public) et l’invisible (privé) n’est pas tenable sur le long terme. C’est une demande de schizophrénie !
Il y a cinq ans que j’annonce que cette loi désorganise la société, qu’elle vient de la confusion de la pensée, qu’elle l’engendre et l’accentue, qu’elle porte l’extension du problème, l’apparition de nouveaux objets de débats…
Milieu juin dernier, un groupe parlementaire, mené par un député du PC a voulu une mission sur la burqa et tout le monde a embrayé dans les mass-médias, sans qu’aucun événement, aucune violence n’aient justifiés cette demande. 367 femmes porteraient la burqa et la République serait en danger ! Cet auto-allumage est dans la conséquence de ce nouveau sens du mot laïcité (athéisme autoritaire d’Etat avec les citoyens, qui deviennent des sortes de sujets sommés de faire croire publiquement qu’ils sont athées).
Sont apparus les burqinis… Apparaît ces jours le « problème » des minarets !
Et ce n’est pas fini. Le travail de cette loi, le vrai travail, pas le travail « nominal », sur les signes religieux à l’école continue de s’accomplir : elle nous empêche de réfléchir à nos problèmes en puisant de notre histoire, en respectant nos principes, par dévoiement d’un mot fondamental ; et surtout, elle pousse les musulmans à développer leur fierté en cultivant ce qu’on leur reproche, c’est-à-dire qu’elle aggrave considérablement les problèmes qu’elle est censée résoudre, elle engage à une permanence infinie des problèmes...
Yvan Segré raconte que, à un ami à lui, devant déposer dans un commissariat, s’est entendu demander par un policier d’ôter sa kippa, (appelée « ce machin ») extrapolant ce qu’il avait compris de la loi sur les signes religieux à l’école (un commissariat est un lieu laïque, dans le nouveau sens de la laïcité dont je dis qu’il n’est pas conforme et empêche de vivre ensemble, la kippa est un signe religieux, enlevez votre kippa) : (http://www.la-bas.org/article.php3?id_article=1724&var_recherche=philos%E9mite). Cette anecdote analyse cette nouvelle acception du mot « laïcité » : nous appartenons à un Etat athée, que nous appelons laïque : vous devez cacher votre religion, les autres ne doivent rien en savoir, vous conservez le droit de la pratiquer entre coreligionnaires, à l’abri des regards de tous les autres !
Même si c’est une extension qui n’est pas à l’ordre du jour, on peut se demander de quoi sera fait la vie commune, de quoi sera fait la vie démocratique, si les convictions de l’autre, les convictions que je ne partage pas, ne doivent pas être manifestées publiquement.
J’écrivais en mars 2005 : « La route (celle ouverte par la loi 15 mars 2004) mène à une exacerbation réciproque sans régulation possible. » On voit la réalisation de cette perspective, que je déplore et voudrais empêcher (je suis un doux rêveur). « Nous brisons les lances de la réciprocité » comme l’écrit René Girard (contre l’Islam, sans le dire tout en le disant).
Il nous faut revenir à la laïcité : une obligation de l’Etat pour permettre la liberté de religion et non pas un athéisme d’Etat qui commande une schizophrénie du citoyen.
Si nous voulions travailler à améliorer la laïcité de l’Etat, nous devrions trouver le chemin pour que trois départements concordataires entrent dans la laïcité. Nous devrions renoncer à faire de certaines fêtes religieuses catholiques et protestantes des fêtes étatiques (15 août, ascension… lundi de Pâques…) La circulaire qui définit les fêtes religieuses reconnues par l’Etat et permettant une absence scolaire ou professionnelle écrit à propos de ces deux religions : « Les principales fêtes sont prises en compte au titre du calendrier légal. »
Ce sont deux entorses à la laïcité que nous devrions réduire, au lieu de prétendre mettre en œuvre la laïcité pour une mainmise sur le comportement des citoyens.

Lire l'article complet, et les commentaires