RMI, RSA, l’embrouille

par Candide
vendredi 29 août 2008

Martin Hirsch, fort honorable au demeurant, crée le RSA pour venir en aide aux plus démunis. Ce n’est pas idiot a priori, tant il est urgent dans ce pays de redonner de l’espoir. Mais, hélas, les technocrates étant passés par là, ce dispositif risque fort de se transformer en fiasco social. Je vais tâcher de m’en expliquer, à travers un cas très concret et très proche de moi-même.

Tout d’abord, la population concernée est très importante puisqu’elle compte 1 300 000 personnes assujetties au RMI. Je dis bien assujetties et non « bénéficiaires », comme le dit le gouvernement. Certains profitent sans doute de ce système pour ne rien faire, et les politiques ont une fâcheuse tendance à l’heure actuelle de fustiger l’ensemble des RMIstes, en dressant la population laborieuse contre eux. Le mot « assistanat » est employé trop souvent pour être tout à fait innocent. Et diviser pour régner est souvent une excellente manière de se faire bien voir quand on dirige un pays aussi disparate et égoïste que la France. Mais la réalité est tout autre. La très grande majorité des RMIstes n’ont pas choisi leur situation.

Depuis de nombreuses années, les entreprises privées, surtaxées, surchargées, ont été contraintes de délocaliser leur main-d’œuvre pour garder une compétitivité vitale à leur survie. Le résultat des politiques menées depuis vingt ans en France est aujourd’hui un chômage de masse qui est plus proche de 20 % de la population active que des 7 ou 8 % de la classe 1 (sur 8) de l’ANPE, annoncés hypocritement par le gouvernement. On conviendra que la plupart des chômeurs n’ont aucune responsabilité dans leur situation. Des pans entiers de l’économie française ont purement et simplement disparu. Textiles (Vosges et Nord), électroménager (Moulinex), automobiles (Peugeot, Renault), aéronautique (EADS, Latécoère), agriculture (Pac européenne, politique de la jachère, grande distribution), sidérurgie (Nord-Est, Usinor), mines, verreries (Baccarat, Duralex, BSN) et tant d’autres.

Certaines activités ont été transférées dans des pays à moindre coût salarial, ce sont les délocalisations. D’autres ont été purement et simplement abandonnées, détruites sur l’autel de la modernisation. Parallèlement, nous n’avons pas adapté nos dépenses publiques à la nouvelle donne et la démographie a fait le reste. De plus en plus de monde pour de moins en moins de travail. Et, bien sûr, toujours aucune esquisse de meilleure répartition des richesses obtenues grâce à la productivité.

D’où une baisse continue des salaires, une dévalorisation constante des qualifications (le Smic est le salaire commun maintenant alors qu’il avait été créé pour les moins qualifiés au départ). Voilà le constat nécessairement succinct de la situation.
Une frange de plus en plus importante de la population active se retrouve marginalisée, exclue du monde du travail. Et, contrairement à une idée reçue (voire répandue), il n’y a pas que des analphabètes et des gens peu qualifiés (diplômés) parmi les RMIstes.
Posons-nous la question : comment devient-on RMIste ? Rien de plus facile !
L’entreprise délocalise ou dépose son bilan et vous voilà chômeur sans que vous ayez démérité en aucune façon. Le gouvernement vote la Loi « De Lalande » qui interdit de licencier après 50 ans et vous voilà chômeur à 49 ans (les DRH ne prennent pas de risque dans les multinationales).
Ensuite, les choses vont très vite. Vous perdez bien sûr tout contact avec vos « amis » dans l’entreprise, vous êtes « malade », atteint du virus de l’« infréquentabilité », exclus. Les Assedic vous versent 57 % de votre ancien salaire au mieux pendant douze mois. Douze mois pendant lesquels vous allez remuer ciel et terre pour retrouver un boulot qui n’existe pas ou plus. On va vous former à des trucs inutiles comme de savoir faire un CV, taper à la machine, faire du tricot. Douze mois ça passe vite, très vite. Et pendant ce temps-là, les factures s’amoncellent car le loyer, l’EDF, le téléphone, la bouffe n’ont pas diminué comme vos revenus, eux. Ils ont même augmenté.
Et, un beau matin, vous recevez une lettre des Assedic comme quoi vous n’avez plus aucun droit, plus d’argent et on vous informe que votre couverture sociale (la Sécu) ne vous garde encore qu’un an. On vous « aide » en vous joignant les papiers du RMI, de la CMU, de l’ASS, si vous y avez droit. Et voilà, fermez le rideau, la société vous remercie d’avoir cotisé trente ans ou plus et vous souhaite bonne chance.
Alors, on rame de plus en plus, on est prêt à accepter une diminution de salaire. Il faut bosser rien que pour vivre, s’en sortir. On va voir des psys car il paraît que c’est vous qui déconnez, pas le système. Pour un peu vous finiriez par le croire.

Et puis, on ne retrouve toujours pas de boulot, trop qualifié, trop vieux, trop cher (on ne vous demande même pas combien vous voulez, mais vous êtes trop cher de toute façon).
Bien sûr, l’ANPE vous voit encore un peu de temps en temps (normal, vous êtes encore inscrit, mais plus dans la liste 1 donc plus comptabilisé dans les « vrais » chômeurs), et puis de moins en moins sans jamais rien vous proposer (vous savez, trop qualifié, trop vieux, etc.) Et, un beau jour, vous recevez un courrier de radiation pur et simple. Fermez le ban, vous n’avez plus aucune existence sociale. Vos diplômes, votre expérience, votre culture, on s’en fout, vous n’existez plus. Le cas dont je parle était cadre supérieur et gagnait, il y a dix ans, plus de 15 000 euros par mois. Il a aussi cotisé trente-cinq ans, mais pas dans un régime spécial ni dans la fonction publique.
 
Le RMI institué par le gouvernement Rocard est aujourd’hui de 440 € par mois. Si vous êtes à la rue. Mais si vous avez la chance d’être logé gratuitement, il est amputé de 12,5 % soit un RMI net de 396 €. C’est une assistante sociale qui vous l’accorde. Normal, vous êtes un cas social.
Des années plus tard, on vous annonce que le RSA est LA solution. Depuis des années, vous entendez parler de plan sénior et autres foutaises qui n’ont jamais marché, alors vous êtes un peu sceptique quand même. Mais vous regardez, par curiosité.
Le RSA, annoncé comme une grande réforme par notre (très) cher président, va permettre aux RMIstes de reprendre un travail à moitié du Smic (mi-temps) sans perdre les « avantages » du RMI. Concrètement, au lieu de 396 € de RMI, vous percevrez 160 € supplémentaires si vous « acceptez » un emploi à mi-temps au Smic (soit 500 €). Sachant que l’Etat bon prince ne vous enlèvera que 68 % de ce magnifique salaire pour vous conserver le RMI. Les 32 % restants font bien les 160 € de plus. Donc vous allez bosser, souvent prendre votre voiture, manger hors de chez vous pour 160 €. Magnifique non ? À peine moins qu’un Chinois moyen. Et encore il va falloir le trouver ce merveilleux boulot. Car, même avec une loi aussi généreuse, il n’y a toujours pas de travail. Surtout de travail qualifié.
Pour financer ce merveilleux outil à vaincre la pauvreté (selon Hirsch) et à éradiquer la fainéantise (selon Sarkozy), on crée une taxe supplémentaire sur les revenus du capital d’1,5 milliard d’euros. Pas sur tout le capital, bien sûr, seulement sur les petits épargnants, l’assurance-vie, les petits revenus fonciers, les maigres dividendes. Les grands fonds de pension, hedges funds s’en foutent complètement, ils sont étrangers et donc pas assujettis aux taxes françaises. D’ailleurs la bourse a monté de 2 % le jour de l’annonce par Sarko (28 août).
Petit calcul bien innocent : 1,5 milliard de taxes, c’est grosso modo 800 000 RMIstes à 160 € (1 920 € par an). Donc les 2/3 des RMIstes retrouvant un boulot ! Bravo à nos technocrates pour cette embrouille, ce magnifique tour de passe-passe ! Gageons qu’au mieux 100 000 RMIstes retrouveront un job, et difficilement car pendant ce temps-là on n’a pas créé un seul emploi, on en a même détruit, grâce au RSA. Mais que le 1,5 milliard sera lui ponctionné chaque année sur la petite épargne et reversé comme d’habitude au budget général qui alimente la gabegie des fonds publics.

Moralité, une fois encore, on va dresser les Français les uns contre les autres, faire croire à ceux qui travaillent et gagnent péniblement juste de quoi survivre qu’ils financent les fainéants. Alors qu’en fait on utilise un procédé odieux, puisque s’appuyant sur la misère, pour inventer une nouvelle taxe !
Curieusement aucun journaliste, aucun syndicaliste, aucun économiste n’a fait ce calcul…
Circulez braves gens, on réfléchit à la prochaine taxe (ça n’en fera que douze en un an et les caisses sont toujours vides, et la dette augmente, augmente, augmente…).
 
Merci d’avoir pris le temps de me lire.

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