Royal ou Sarkozy non merci ! Je choisis l’agnosticisme en politique

par Bernard Dugué
mercredi 5 décembre 2007

Voilà que Mme Royal sort enfin son livre de confessions et de propositions. L’occasion de prendre position sur le politique à cet instant T qui se situe à l’aube de 2008.

Il est de bon ton d’affirmer que les gens ne croient plus dans la politique. Plus précisément, dans la capacité, prétendue ou avérée, qu’auraient eue les politiques, pour changer la société et la rendre meilleure. En admettant que les gens ne croient plus en la politique, il faut en chercher les causes. Celles-ci ont été cernées par les analystes, avec des nuances certes, mais un constat global et partagé. D’abord, la mondialisation, assortie d’une libéralisation des échanges, ouvre au monde économique un champ de possibles en réduisant d’autant les marges de manœuvres des Etats. Ensuite, la complexité du monde et de la technique s’oppose à la mise en place d’actions simples. Cette condition de simplicité est importante car dans toute croyance, il existe une dimension cognitive et on ne croit réellement que quand les choses se présentent simplement (ou du moins sont présentées ainsi, exemple, les miracles). Enfin, à l’âge de l’individualisme et du divertissement, les gens préfèrent fuir les grandes questions et en fin de compte, ils ne croient plus au politique parce que ça ne les intéresse pas. Ce constat est bien évidemment à nuancer au vu de l’engouement récent pour les présidentielles de 2007. Disons que la plupart ont joué le jeu et se sont pris à croire le temps que dure une campagne, un peu comme la France s’est intéressée aux Bleus en 1998, le temps que durent les épreuves de la Coupe du monde.

Par le passé, la croyance dans la politique fut assortie d’une opposition idéologique, franche, farouche et passionnée (on pense aux Trente Glorieuses) puis s’estompant peu à peu avec la normalisation libérale des partis socialistes en Europe. En même temps, les lignes idéologiques ont sensiblement bougé. A moins d’être un farouche partisan, les gens ne voient plus vraiment les différences entre la droite et la gauche. Mais ils continuent à croire en la nécessité d’un Etat qui fonctionne bien avec des services publics efficaces. Ainsi, on voit se dessiner une tendance vers une forme d’agnosticisme politique, voire d’agnosticisme idéologique.

Cette notion d’agnosticisme politique est dérivée de son pendant théologique, autrement dit, de l’agnosticisme religieux. En matière de croyance, il existe trois positions. Premièrement, les croyants ont la foi en un Dieu efficace dans certains domaines de compétences. Par exemple, assurer une bonne place dans l’au-delà, ou bien assurer des bienfaits moyennant quelques prières. A ceux-ci sont opposés les impies et autres incroyants, qui eux, ne croient pas en toutes ces réalités ; le plus simple étant de se positionner en athée ; et toutes les questions d’être résolues en une formule ; Dieu n’existe pas ! Dans l’entre-deux, une troisième option se dessine. L’agnostique n’est ni croyant ni athée. Il ne prend pas position, soit qu’il n’ait pas les moyens de savoir, soit qu’il ne se les donne pas. Le terme d’agnostique prend toute sa signification car il renvoie à une dimension gnoséologique (on dirait de nos jours cognitive) de la foi. La gnose est en effet une connaissance des choses divines. Le gnostique croit et il sait pourquoi. L’agnostique ne sait pas s’il doit croire ou pas et s’en tient là, sans prendre aucune position.

La politique incline à devenir agnostique. Faisons un parallèle. Il y a ceux qui croient que la politique, celle de leur propre camp, est capable de bien gérer la France, de régler beaucoup de problèmes, de créer un espace voué à la pratique sociale permettant de produire du bien public. Ces fidèles résolument engagés sont croyants, parfois sans faille, sans doute, parfois parce qu’ils ont été imprégnés depuis l’enfance par une idéologie partisane. Ou alors suite à un long compagnonnage doublé de convictions sociales bien affirmées. Ensuite, il y a ceux qui sont apolitiques. En quelque sorte des athées en cette matière, des gens indifférents à la chose politique. Plus actifs sont les anti-politiques. Ce ne sont pas les libéraux, ni les ultralibéraux, mais d’authentiques militants persuadés que l’Etat est une entrave aux affaires et que pratiquement tous les services pourraient être assurés par des entreprises privés. Ils se désignent comme libertariens. Leur influence est assez limitée. Enfin, accordons une bonne place à l’agnosticisme en politique, forme de pensée qu’on pressent très répandue. On peut être agnostique de deux manières. Premièrement en ne sachant pas quelle est l’influence réelle du politique, son utilité, tout en reconnaissant le rôle primordial de l’Etat dans le fonctionnement d’une société. Deuxièmement, en ne sachant pas qui, de la gauche ou de la droite, est la plus capable de faire face aux problèmes de société et de dynamiser le pays.

Clausewitz disait que la guerre, c’est la poursuite de la politique par d’autres moyens. Foucault avait suggéré d’inverser cette maxime. Dans un même ordre d’idée, on peut dire que la politique, dans sa dimension d’adhésion et de croyance, est la poursuite de la religion avec d’autres idées et valeurs. Et penser également à inverser cette maxime sous certaines réserves. La première formule renvoie évidemment à cette transition toute moderne où la gnose devient temporelle et la politique se rêve en eschatologie et autres promesses d’un monde meilleur. C’est aussi l’époque du désenchantement, qui n’a cessé d’habiter l’histoire occidentale, depuis l’âge industriel jusqu’à la chute du mur en 1989. Quant au religieux qui est un prolongement du politique, il nous suffira de constater les mouvances new age, lire Les Nouveaux possédés d’Ellul et lorgner du côté des mouvances évangélistes de chez Georges diable loup Bush.

Il faut maintenant préciser la différence entre l’agnosticisme religieux et son équivalent en politique. En matière de religion (je ne parle que du monothéisme), la croyance est une affaire pour l’essentiel personnelle, impliquant un sujet qui croit ou accède à une connaissance justifiant sa foi en un Dieu unique dont l’efficace est plus singulière que collective, chose qu’on attend plutôt du politique. Autre différence de taille. L’agnosticisme en politique dépend des époques. En cette période récemment animée et passionnée, les passions et espérances se sont focalisées sur deux candidats plutôt du genre charismatique. Mais maintenant que le soufflet est retombé, l’agnosticisme paraît être une position raisonnable. Et ce, pour diverses raisons. D’abord parce que la prestation de Sarkozy est correcte, rien ne laissant présager que Mme Royal aurait fait mieux. C’est même l’inverse qui paraît plausible. Ensuite parce que les mesures prises par Sarkozy ne sont pas si radicales et se présentent comme des réajustements, des bidouillages, des pinaillages financiers, bref, que du traitement de surface (la prime de 75 euros au fuel en étant le dernier avatar). Alors allons-y sans remords ni regrets, soyons agnostiques et n’ayons peur de rien.

La gnose, du temps de Zoroastre et Mani, et bien plus tard, s’est entre autres choses intéressée à la connaissance du bien et du mal. D’où la doctrine manichéiste qui prévoit l’existence de deux principes transcendants et agissants, le Bien et le Mal. En politique, sans aller dans la métaphysique, il est de bon ton de désigner un camp du bien et un camp du mal. Ainsi, Sarkozy incarne le bien ou le mal et inversement pour Mme Royal. Les uns pensent que l’un fera du bien à la France, les autres du mal. Quant aux faucons américains, ils ont eux aussi désigné un axe du mal, preuve si besoin était que le religieux, le gnostique et le politique sont entrelacés. Et sur ce plan, rien n’indique que Sarkozy fera plus de bien que de mal, idem pour le MoDem et Mme Royal. Evidemment, ces prises de positions sont valides à l’échelle nationale. Etant entendu que la politique n’est pas faite à sens unique et diffère, dans son action et sa perception, selon la position sociale où on se trouve. Je n’ai parlé que du point de vue global, affirmant mon inaptitude à savoir qui peut faire le bien et le mal. Enfin, il fut un temps, en 1940, où l’agnosticisme était plutôt un signe de lâcheté car on pouvait savoir sans trop d’effort intellectuel où se situait le mal.

Ainsi se présente la conjoncture en cette période. Agnosticisme de mise, du moins pour votre serviteur et bien d’autres. Je n’ai plus cette magie de la campagne électorale inclinant à croire. En l’état actuel des choses c’est mon dernier mot, mais la politique, c’est comme Dieu, ça travaille lentement et rien n’interdit de réviser les positions d’ici à dix ans ou même avant s’il y a lieu en ces temps de ruptures. On en saura peut-être un peu plus sur ce qui paraît bien ou mal pour la France. Le mot de la fin, c’est qu’il faut bien distinguer l’adhésion à des valeurs et la confiance qu’on accorde à des ensembles humains pour accomplir ces valeurs. Le PS ne suscite plus la confiance. Point barre. Et ma foi, je trouverais désolant qu’un prochain appel à la gauche ne soit que la résultante d’erreurs et de conneries commises par Sarkozy. Ce n’est pas ainsi que je conçois la politique.


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