Ruralité hors sol

par Désintox
vendredi 23 novembre 2018

Cet été, j'ai eu un jour l'idée saugrenue de me déplacer sur des départementales au lieu de prendre l'autoroute. Cependant, malgré la traversée de nombreux villages, j'ai été confronté à une difficulté : impossible de refaire le plein d'essence ! Il m'a fallu me détourner pour trouver une grande surface qui avait une station service...

Pourtant, chaque village traversé compte des centaines d'habitants, qui ont tous des automobiles. Comment se fait-il qu'on ne trouve plus de station service ?

Eh bien, c'est très simple, les gens font le plein en allant faire leurs courses, dans une grande surface. Ils ne font donc pas leurs courses non plus près de chez eux, parce qu'il n'y a pas plus d"épiceries que de stations service.

Des gens vivent dans un pays sans être le moins du monde inséré à l'économie locale. C'est ce que j'appelle la "ruralité hors sol". Comme les habitants ne faisaient pas le plein ni leur courses près de chez eux, les épiceries et les stations service ont fermé. C'est un cercle vicieux.

L'État en rajoute une couche en fermant les services publics de proximité les uns après les autres. Plus de bureau de poste, classes rurales fermées, collèges éloignés (ne parlons pas des lycées). Pas de maternité, ni d'hôpital. La voiture devient omniprésente et indispensable. C'est une catastrophe écologique.

Il y a bien longtemps, j'avais lu un petit livre qui s'appelait "Les mécanismes du sous-développement" (Albertini, édictions ouvrières). Parmi les explications au sous-développement avancées par l'auteur, figurait la "désarticulation de l'économie". Expliquons : toute activité n'est viable que si elle est articulée avec d'autres activités. Si vous voulez fonder une entreprise, vous aurez besoin de partenaires, de fournisseurs et de clients. Dans un pays développé, vous les trouverez. Par contre, dans un pays sous-développé, il vous en manquera, et vous ne pourrez pas créer votre activité. La ruralité hors-sol correspond à une économie désarticulée.

Les conséquences en sont de plus en plus néfastes. Ce qu'on ne trouve pas sur place, on ira le chercher de plus en plus loin, ce qui réclamera de plus en plus d'énergie. Ce modèle insoutenable est désormais entré dans une crise profonde.

Bien sûr, il reste l'agriculture. Mais celle-ci est tellement peu soutenue qu'elle est maintenant en grand danger. Il faut aussi s'interroger sur le mode de développement agricole suivi depuis des années. Il y a quelques temps, j'ai découvert avec stupéfaction que l'agriculture est le troisième secteur responsable des émissions de gaz à effet de serre en France, après les transports et les bâtiments. C'est totalement absurde, puisque l'agriculture, grâce à la photosynthèse, devrait au contraire absorber du carbone.

Cette observation donne la clé de ce que pourrait être un nouveau développement rural. Celui-ci ferait en sorte que le milieu rural soit un puit de carbone au lieu d'en être une source.

Il existe de nombreux exemples d'une telle transition. Par exemple, au lieu de brûler du fioul, il est possible de déchiqueter le bois issue de la taille des haies bocagères pour faire fonctionner des chaufferies. Encore faut-il ne pas avoir rasé les haies.

Mais c'est surtout une évolution des pratiques agricoles qui est nécessaire. Les techniques agricoles actuelles sont en effet très coûteuses en énergie. L'accroissement de la teneur des sols en matière organique est aussi un objectif, pour maintenir les sols en bonne santé mais aussi pour piéger une partie de l'excès de carbone atmosphérique.

Il est cependant illusoire de demander davantage aux agriculteurs si on ne les rémunère pas pour cela. La Suisse l'a compris. Pourquoi pas la France ? Nous devons accepter que les agriculteurs ne soient pas seulement payés pour produire de la nourriture, mais aussi pour entretenir et valoriser le milieu naturel.

Zut ! Encore des impôts ! Eh oui ...

Deux priorités se dégagent à moyen terme :

  1. Relocaliser les activités en milieu rural : services publics et entreprises de proximité.
  2. Décarboner l'économie rurale, notamment agricole.

Est-ce utopique ? Sûrement pas Mais c'est coûteux. Il faut une volonté politique forte, mais aussi un consensus général pour que la nation accepte qu'une plus grande partie de ses ressources soit consacrée à la reconstruction d'une économie rurale viable.

Nous en prenons conscience petit à petit. La "transition écologique", est nécessaire, mais elle n'est pas gratuite. Elle coûte même les yeux de la tête. Cependant, nous n'avons pas d'autre choix que d'accepter d'en payer la facture.


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