Rwanda : le génocide continue

par Jacques LITWAK
lundi 7 avril 2008

6 avril 1994 début "officiel" du génocide rwandais.

En trois mois (oui, rappelez-vous en trois mois), entre 800 000 et 1 000 000 de personnes sont exécutées le plus souvent à la machette.

Quatorze années déjà.

Un génocide selon la définition de l’ONU, comme le génocide arménien commis entre mai et août 1915 (entre 600 000 et 1 000 000 d’Arméniens selon Gérard Chaliand et Yves Ternon, Le Génocide des Arméniens, Bruxelles, nouvelle édition, 1991) et le génocide juif (5 100 000 juifs périrent entre 1940 et 1945 selon Raul Hilberg dans La Destruction des juifs d’Europe, Paris, Fayard, 1988).

Le génocide des Tutsis.

La dernière grande tragédie du XXe siècle après les deux précédentes et celles de la partition des Indes (1947), l’Indonésie (1965-1966), le Biafra (1968-1971), le Bangladesh (1970-1971), le Vietnam (1965-1973), le Cambodge (1975-1979), l’Ethiopie (1984-1985), la Somalie (1991-1992), le Tibet (1951), la destruction des Indiens d’Amazonie, la Bosnie (1992-1994) (selon Alain Destexhe dans Rwanda, essai sur le génocide, Bruxelles, Editions Complexe, 1994).

Comment se représenter une telle quantité de personnes auxquelles la vie a été retirée pour la seule appartenance à une race ?

800 000 personnes. C’est un Wallon sur quatre. C’est une personne dans chaque famille ou plutôt des familles entières. C’est...

Quatorze années déjà.

Une jeune fille Aimée (mais il y eu aussi Claudette, Christine, Françoise, Gisèle, Laurence, Yvette, Angélique, Jacqueline, Edith, Monique, Claudine, Arlette, Claire, Annociata, Anysie, Alice, et tant et tant d’autres).

Là, partout autour d’elle chaque soir, chaque nuit depuis deux mois la même fureur.

Les cris, la poursuite, la haine, la sueur (surtout l’odeur de la sueur), la haine (l’odeur de la haine), les bruits de machettes, les plaintes, les supplications, les imprécations à Imana, le sang qui gicle, le sang qui inonde partout la piste, la colline tout entière.

Et eux - les bourreaux - la regardent coincée par la traque, les yeux invectivés de sang et de haine.

Alors, la violence... et le viol ; enfin, les viols. Le corps qui hurle, l’âme qui se déchire.

1, 2, 3, 10, 20 parfois trente bourreaux-violeurs, les uns à la suite de l’autre.

Et toujours volontairement le dernier atteint du sida.

Le silence.

L’abandon.



Le sentiment de honte.

Se cacher, se terrer.

2, 3, plusieurs jours dans un buisson, dans un tonneau.

Tenter de survivre avec soi-même.

Sans nourriture, sans soin de corps, dans ses excréments...

Tenir, tenir, tenir.

...


Que dire, que faire.

Ne plus rien dire, ne plus rien faire.

...

Fin de la boucherie, l’armée patriotique rwandaise (APR) est là.

Fin du génocide.

Fin du génocide ?

Justin revient.

Jeune soldat de l’APR.

Que dire ? Que faire ?

Rien, j’ai honte.

Essayer de construire quelque chose.

La famille n’est plus. 112 cousins, cousines, oncles, tantes, frères, sœurs, parents. Toutes et tous tués.

Alors, un enfant vient. Un enfant ?

Le père ?

...

Le sida, oui le sida ; pour l’enfant et pour Justin.

Des milliers de jeunes couples atteints du sida avec leurs enfants.

Destins présents et à venir brisés net.

Et ainsi, en silence, le génocide continue, programmé, planifié.

J’ai une nouvelle blessure à mon humanité ouverte tous les jours depuis quatorze ans. Depuis ce jour du mois de septembre 1994, où j’ai écouté ces faits réels.

Aujourd’hui, c’est devoir de souvenir et de mémoire.

La justice telle que nous la concevons ne fut pas rendue. Elle ne le sera pas. Comme si, à Nuremberg en 1959, quelques jugements à peine avaient été rendus.

Les excuses des Belges ne permettent pas à Yolande de donner à manger à ses dix-sept orphelins recueillis par elle qui a presque tout perdu.

Aimée et Justin vont mourir.

Leurs enfants aussi.

Le génocide continue.


° Les prénoms sont des pseudonymes

(CC) Attribution (by)


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