Sacré numéro ou numéro sacré ?

par La râleuse
samedi 9 août 2008

Nous ne sommes plus que des numéros !

Tel est notre lamento chaque fois que nous sommes confrontés à un problème bureaucratique - souvent kafkaïen, il faut en convenir, lorsqu’il est lié à l’administration, qu’elle soit fiscale ou sociale.

Et il est parfaitement exact que le nouvel esclavagisme de notre monde moderne nous rend tributaires de numéros sans lesquels nous ne pourrions exister : numéro d’immatriculation d’assuré social, numéros de téléphone, de carte de crédit sans oublier le numéro de code qui y est adjoint,…

La liste est longue et, ironie suprême, bon nombre d’entre nous sont même obligés de connaître un numéro de digicode pour pouvoir avoir accès à leur domicile. Pire encore, obligés à des efforts de mémoire permanents car ce numéro de digicode est changé régulièrement.

C’est dire si notre accusation est fondée.

Pourtant, avec cet esprit frondeur qui nous est commun à nous, les françaises et les français, nous voilà prêts à défendre avec bec et ongles un numéro que le Ministère de l’Intérieur s’apprête à supprimer progressivement. Il s’agit, bien sûr, du numéro de département qui complète et personnalise le numéro d’immatriculation de nos véhicules.

La contestation est sérieuse puisque, volant au secours de leurs concitoyens (et accessoirement électeurs) un nombre non négligeable de parlementaires s’oppose à ce projet.



Le 1er mai 2008, un collectif parlementaire comprenant 2 élus Nouveau Centre, 26 socialistes, 44 UMP et 2 non inscrits, soit un total de 74 députés agissant sous le nom de : « Jamais sans mon département » était en guerre déclarée contre cette nouvelle mesure qui doit entrer en vigueur dès le 1er janvier 2009. (À ma connaissance, ils sont près de 200 maintenant sur, je crois, un ensemble de 577 répertoriés).

D’aucun pourront juger qu’il existe des causes bien plus nobles dignes de faire l’objet d’une rébellion de parlementaires, des problèmes bien plus importants à régler que le numéro de département figurant sur les plaques d’immatriculation des voitures et il est difficile de leur donner tort. Sauf qu’à bien y penser c’est un peu comme si on s’interdisait de déplorer l’excédent de poids contre lequel on lutte alors que des enfants périssent de malnutrition ou se plaindre de souffrir d’une rage de dents au prétexte que d’autres se meurent d’un cancer.

Cependant il est tout aussi certain que ce numéro de département, parce qu’il personnalise notre appartenance à une région, son histoire, ses coutumes, jouit d’un attachement affectif et il est donc tout à fait compréhensible que sa disparition provoque un sentiment de nostalgie, voire de chagrin.

C’est d’ailleurs une même protestation qui a été formulée par les françaises et les français lorsqu’ils ont eu connaissance de cette nouvelle mesure : « Comment nos enfants vont-ils apprendre leurs départements, maintenant ? »

Il est vrai que pendant des années jouer à deviner à quel département correspondait un numéro sur une plaque minéralogique a représenté le passe-temps ludique le plus apprécié pendant les longs trajets en voiture. Et pour les enfants curieux et les parents pédagogues ce jeu d’apparence anodine représentait une inestimable source d’enseignement.

Pour ceux là, deviner que 79 correspondait au département des Deux-Sèvres ne suffisait pas et ils prenaient plaisir à approfondir leurs connaissances en cherchant dans une encyclopédie quelle est la région dont dépend le département des Deux-Sèvres. Ils s’amusaient de découvrir que la Charente fait également son beurre en concurrençant le melon provençal d’Avignon. Ils poursuivaient leurs investigations pour connaître les spécificités de ses principales villes et apprenaient ainsi qu’à Niort Le "Moulin du Roc", au bord de la Sèvre, abrite une des plus anciennes bibliothèques de France, …

Cette désapprobation à propos de la suppression du numéro de département sur les plaques d’immatriculation des véhicules peut sembler exagérée quand on s’aperçoit que la plupart des adultes qui prétendent avoir appris leurs départements grâce à ces plaques minéralogiques est bien incapable de faire la relation entre un numéro et le nom du département auquel il appartient sauf peut-être pour certains comme les 83, 66, 64, 73, 20 ,44,… (Et on devine sans difficulté les raisons de cette mémorisation). Et honnêtement, hormis ceux qui y résident, qui est capable de dire à quel département correspond le numéro 08, ou 23, ou encore 55 ?

Ce genre de récrimination peut prêter à sourire tant il paraît candide maintenant que les enfants préfèrent se distraire au moyen de jeux vidéos.

Cette doléance peut sembler puérile eu égard aux impératifs que constitue la réglementation des immatriculations de véhicule avec un système qui arrive à saturation.

Pourtant qui songerait à s’en étonner quand le succès d’un film comme « Bienvenue chez les ch’tis » démontre à quel point les françaises et les français se sentent désemparés dans ce monde robotisé qui leur paraît de plus en plus cruel, de plus en plus effrayant et tentent de se rassurer en se cramponnant à leurs racines.

La remarque d’un gendarme paraît plus sagace qui déclarait dans une émission radiophonique : « La suppression du numéro de département sur les plaques numérologiques des véhicules pourra être dommageable lors de recherches de témoins car les gens se souviennent plus facilement d’un numéro que d’une suite de lettres. »

De fait, sauf une association de lettres comme par exemple « JAG » pour qui regarde cette série télévisée américaine, ou « JFK » qui évoque désormais plus prosaïquement un aéroport qu’un président américain, ou « COQ » qui se lit différemment selon que l’on ait ou non l’esprit facétieux, il est évident que la mémoire photographie plus facilement un numéro surtout sachant qu’il représente un département.

Aux moralisateurs qui seraient tentés de déclarer vertueusement que la dénonciation est un acte vil, il paraît bon de rappeler qu’il est du devoir civique (et moral, justement) de tout citoyen témoin d’un hold up ou d’un rapt de communiquer aux enquêteurs judiciaires le numéro de plaque minéralogique du véhicule des auteurs de ces crimes.

Que les précoces nostalgiques du numéro de département inclus sur la plaque d’immatriculation de leur voiture se consolent ; dans un petit demi siècle l’assèchement des puits de pétrole aura résolu cette question puisque la circulation terrestre n’existera plus qu’en véhicules hippomobiles ou à bicyclette.

Documents joints à cet article


Lire l'article complet, et les commentaires