Sahel-Connection

par Avic
mercredi 13 mars 2013

Il parait que l’intervention française, à défaut d’avoir éradiqué le terrorisme au Sahel, a au moins perturbé le trafic de cocaïne vers l’Europe. Ce n’était pas la mission première de l’Opération Serval, mais il y a tout de même lieu d’être fier. Outre que c’est une action hautement morale, on peut aussi considérer que c’est une autre manière de faire la guerre, tout aussi efficace que les missiles. D’après les journaux maliens, c’est un coup dur pour les djihadistes dont les revenus étaient assurés par le trafic de drogue. Pas d’argent, pas d’armes. Les djihadistes n’ont plus qu’à retourner en Afghanistan et redevenir des talibans.

A moins qu’ils n’aillent se planquer chez leurs parrains. Oui, parce drogue veut dire mafia, et il ne peut exister de mafia sans un parrain dans l’ombre. Là aussi, nous avons de la chance, car, apparemment, notre Noël Mamère national sait tout de ce milieu. Le 21 janvier dernier, au cours de l’émission 28 minutes sur Arte, le courageux maire de Bègles révélait au monde le nom du Parrain local : le président mauritanien Ould Abdelaziz. Malheureusement, devant la plainte pour diffamation déposée contre lui au TGI de Paris, le toujours très courageux Mamère a du faire un repli tactique ; il explique avoir « évoqué le président mauritanien, sans doute, abusivement. Comme j’aurais pu dire tchadien, malien ou algérien, etc… ». En attendant que les présidents cités lui tombent sur le râble, nous savons au moins que les Al Capone se situent quelque part entre la Méditerranée et le Golfe de Guinée. Le pays n’a que peu d’importance, d’ailleurs. Pour notre fougueux maire, tous ces présidents, du nord au sud de l’Afrique c’est du kif, si l’on peut dire. Ils ont tous les mêmes têtes, avec des noms à coucher dehors.

Si la Sahel-connection inspire Noël Mamère, elle inspire aussi les grands médias. C’est d’ailleurs grâce à eux que l’on sait tout de cet immonde trafic. Ils nous racontent par exemple comment toutes les autres filières se sont taries ou presque, grâce à l’efficacité et à la vigilance des services européens de lutte contre les narcotrafiquants. Cartes, à l’appui, ils nous expliquent comment l’Afrique est devenue une plaque tournante, avec les zones de réception et de stockage probable des produits, le tout étayé, commenté et confirmé par des spécialistes et experts en tout genre, tous anciens de ceci ou de cela. On a même droit parfois à quelques scénarios sur la manière dont travaillent les trafiquants. Au vu de ces scénarios, on se dit que pour connaître tous les détails relatés il a forcément fallu quelques journalistes téméraires qui, au prix de leur vie, ont réussi à s’infiltrer dans ces réseaux mafieux.

Quoi qu’il en soit, ce que ces médias veulent nous dire et que nous retenions, c’est que la plus grande part des stupéfiants qui entrent en Europe passe par l’Afrique. Ainsi, le pavot taliban (ne sont-ils pas un peu frères musulmans avec les salafistes du Mali ?) arrive d’abord au Sahel, avant d’être acheminé vers sa destination finale. Par où il passe entre l’Afghanistan et le Mali, ils ne le précisent pas. Ils ne précisent pas non plus sous quelle forme arrive le produit ; sous forme brute ou déjà traité ? Ce serait quand même intéressant de savoir comment ils font pour traverser une si longue distance, au-dessus de plusieurs pays, dans une zone truffée de radars et de systèmes de surveillance, sans éveiller le moindre soupçon, pour venir tranquillement atterrir entre les dunes du désert, et redécoller sans problème une fois le colis déchargé. Et il ne s’agit pas de petits avions, qui nécessiteraient une ou plusieurs escales, mais de gros transporteurs comme ce Boeing 727 qui s’est craché à Gao en 2009 et qui transportait plus de 10 tonnes de cocaïne. Les talibans ont beau avoir des capacités surhumaines (n’ont-ils pas réussi à raser, en quelques minutes, 3 buildings en plein centre de New-York, après avoir judicieusement choisi la bonne date, celle où tous les systèmes de sécurité américains étaient paralysés ?), mais j’ai du mal à croire à la furtivité de leurs avions ou à une paralysie récurrente des systèmes de surveillance dès qu’il s’agit d’eux.

Mais, d’après ce qu’on lit, l’Afghanistan n’est pas la principale source de la marchandise. Loin de là. Le gros pourvoyeur de cocaïne c’est, évidemment, l’Amérique Latine. Là on comprend un peu mieux. D’autant plus que les médias nous ont révélé que le Boeing qui s’est craché à Gao venait du…Venezuela. Logique. Le plus grand producteur de coke, la Colombie, abritant les plus gros barons qui ne sont, en fin de compte que de gros propriétaires terriens, tellement ils ont pignon sur rue, ces derniers secondés par la plus grande organisation terroriste à l’ouest de l’Atlantique, les FARC, ça c’est pour la production. Pour la logistique, il suffit d’embarquer la came à partir d’un pays voisin attirant le moins l’attention, le Venezuela, par exemple. En cas de pépin, avec le pédigrée que Chavez a, c’est lui qui portera le chapeau. Il ne restera plus qu’à débarquer en Afrique. Par avion ou par bateau, le continent africain n’est pas cette forteresse bien gardée qu’est l’Europe. On y entre comme dans un moulin, on y circule comme on veut, et, avec quelques relais locaux bien organisés, la livraison se fait sans coup férir.

Jusque-là, ça va. Tout est clair, à part quelques petits détails. Tous les médias nous ont éclairé sur cette filière à peu près de la façon décrite ci-dessus, avec parfois moult détails quant aux destinataires sahéliens avec leur curriculum vitae. Le grand banditisme n’est plus à Chicago ou à Marseille. Il s’est déplacé en Afrique formant l’axe Amérique Latine - Sahel. Les futures victimes de la drogue aussi ont changé. Ce ne sont plus les américains (ce serait dur, à partir du Sahel), comme au bon vieux temps de la French Connection. On se doute aussi que ce ne sont pas les africains, qui ont déjà du mal à joindre les deux bouts, qui seront les consommateurs du produit. C’est donc l’Europe qui est visée par les gros propriétaires terriens de Colombie. Mais curieusement, dans tous les médias, l’odyssée de la drogue s’arrête au Sahel. Ils se contentent juste de nous dire qu’à partir de là, elle est acheminée vers l’Europe selon différentes filières, sans plus de détails.

Oui, mais comment ? Rappelons, quand même qu’entre le Sahel et l’Europe il y a le Sahara, l’Afrique du Nord et la Méditerranée, le tout étalé sur une distance de plus de trois mille kilomètres. Si le trafic est bien celui que l’on nous décrit, l’organisation de la filière devrait, normalement, reposer sur deux points cruciaux : le point de débarquement sur la côte atlantique de l’Afrique, et le point de réembarquement, sur la côte méditerranéenne de l’Afrique du Nord. Les gros caïd du système se trouvent donc à Conakry, Dakar, Lomé, etc… pour la réception, et à Tanger, Alger, Tunis, etc… pour la réexpédition. Entre ces deux pôles de base, il n’y a donc que des coursiers livreurs. En conséquence, toute la zone sahélienne ne serait fréquentée que par des intermédiaires. Pourquoi donc vouloir les faire passer pour les vrais chefs. Pourquoi leur donner une telle importance au point d’éclipser les vrais acteurs ? Enfin, pourquoi aucun média ne cite les grands barons sur les côtes africaines, ou même la possibilité de leur existence ? Mystère. Un autre mystère résulte de ce que nous disions plus haut. On a vu que les Cartels colombiens, du fait de l’efficacité des systèmes de lutte anti-drogue de l’UE, ont été obligés de trouver des solutions nouvelles pour déverser leur produits dans le marché intérieur européen. Le Sahel est une solution pour eux, nous dit-on.Les voilà donc au Sahel. Mais Sahel ou pas, pour faire entrer leur marchandise en Europe, il faudra bien qu’à la fin ils se frottent à nouveau à ce système si efficace qui leur donnait tant de fil à tordre. Avec un handicap supplémentaire : les gens venant du sud sont encore plus surveillés.

Devant ces petites questions, on comprend que les médias préfèrent faire comme si le Sahel était une sorte de terminus, nous laissant faire travailler notre imagination pour la suite. Pour eux, une fois la marchandise arrivée au Mali, elle est arrivée à bon port. Il suffit de savoir que la cocaïne est détenue par des gens sans foi ni loi (ou autre foi, autre loi) et que sa destination finale est l’Europe. Le reste n’est pas important.

Le scénario qui nous est raconté aura quand même réussi à mettre en relation directe les deux fléaux les plus combattus par la communauté internationale : le terrorisme et la drogue, l’un renforçant l’autre. Au passage, on s’arrange pour y impliquer quelqu’un qu’on a dans le collimateur, le Venezuela. Cela servira toujours le moment venu. Si on y réfléchit bien, ce scénario n’est que la suite logique de ce que nous savons depuis longtemps. Rappelons–nous. Au 20ème siècle, le terrorisme n’était pas encore à la mode comme instrument hégémonique. Les Etats-Unis n’étaient pas encore focalisés sur le Moyen-Orient. Leurs préoccupations allaient plutôt vers l’Amérique Latine et ils y avaient pas mal de boulot. Le trafic de stupéfiant y servit alors de prétexte pour tout, de justification à toutes leurs interventions ou ingérences. Il n’est que de revoir les productions hollywoodiennes pour mesurer l’importance de la drogue dans la machine à façonner les esprits pour la réalisation de programmes du gouvernement américain. C’était une arme redoutable et terriblement efficace. Mais, depuis le 11 septembre 2001, avec l’arrivée du terrorisme, l’arme de la drogue était devenue obsolète, comme un vieux logiciel dépassé. On tenta bien de l’utiliser un peu en Afghanistan, mais ça ramait un peu et, n’était pas si utile finalement. Au Mali, en revanche, c’était un atout de première. Remis à jour, relooké, le concept pouvait fort bien se marier avec la star du moment, le terrorisme. Et ça marche à la perfection. C’est facile, car les gens du désert sont tellement mystérieux – jusqu’à leur accoutrement ne laissant voir que leurs yeux, que tout ce qu’on peut raconter sur eux peut passer. Par exemple, on peut très bien imaginer, derrière chaque dune, une longue caravane de chameaux lourdement chargés, la cocaïne ayant remplacé les barres de sel ou autres marchandises traditionnelles. Ou encore une longue file de camions bourrés de drogue traversant le désert, arrivant à Alger, Tunis ou Tanger, entrant dans la zone portuaire, sous les yeux endormis des douaniers sirotant leur thé à la menthe. On ne sait pas comment ce serait possible, mais c’est forcément quelque chose qui ressemble à ça, puisqu’il faut bien que la marchandise arrive en Europe.

Comme toujours, quand un scénario a pris, les questions n’ont plus cours et peuvent même paraître illégitimes. Devenu vérité, on peut construire une suite. Ainsi, le gouvernement français peut dire que son intervention au Mali a gravement perturbé le trafic de cocaïne. En quoi, comment, ou combien de grammes ils ont saisi… mystère.

Avic

Réseau International


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