Sans contrefaçon

par Forest Ent
vendredi 21 septembre 2007

Le vote par les Assemblées du projet de loi de « lutte contre la contrefaçon » vient d’achever une longue saga de lobbying législatif réalisé à leur insu au nom des citoyens français contre leurs intérêts. Le présent article retrace la carrière parallèle des principaux protagonistes français de ce lobbying : Monsieur et Madame Fourtou, Monsieur Aillagon et Monsieur Breton.

Le Sénat a voté le 19/9/7 dans la plus complète indifférence et à l’unanimité des sénateurs le projet de loi de « lutte contre la contrefaçon » déposé à l’Assemblée le 12 février. Comme pour la loi DADVSI, la discussion a été au Sénat chaleureuse et consensuelle entre les partis politiques. Une partie de cette loi transpose la directive européenne 2004/48/CE, et modifie en particulier les pouvoirs judiciaires en ce qui concerne les droits d’auteurs et voisins.

Grâce à l’article L 521-6, il suffira désormais que Universal se plaigne que des fichiers qui lui appartiennent circulent sur un serveur eMule pour que l’administrateur de ce serveur voie ses biens saisis et se trouve ainsi dans l’impossibilité matérielle de se défendre. Ceci va devenir une occupation très risquée, et il est probable que les réseaux p2p migrent désormais vers des architectures décentralisées ou hors UE. Bien entendu, cette loi, qui ne fait qu’ajouter au naufrage de la DADVSI, ne sauvera pas Universal du progrès technique, mais l’objet de cet article n’est pas de discuter la démarche de répression, dont tout le monde constate qu’elle est vouée à l’échec. Son objet est de rappeller comment cette loi, grande victoire du lobbying de la France à Bruxelles, a atterri à l’Assemblée, et de rappeller le rôle joué par les principaux protagonistes français : M. et Mme Fourtou, M. Aillagon et M. Breton.

1998

Jean-René Fourtou, nommé en 1986 président de Rhône-Poulenc par Jacques Chirac, crée une filiale Rhodia, contingentant les pertes potentielles de Rhône-Poulenc sur la pollution, pour favoriser la fusion de son groupe avec le groupe allemand Hoechst. Le résultat de la fusion s’appellera Aventis. Rhodia perdra ensuite rapidement sa valeur.

Thierry Breton est nommé président de Thomson et administrateur de Rhodia.

2002

Jean-Jacques Aillagon est nommé ministre de la Culture.

Jean-René Fourtou est nommé président de Vivendi Universal.

Vivendi Universal vend Canal+Technologies à Thomson.

Thomson revend Canal+Technologies avec un fort bénéfice à Kudelski (une société suisse dont le groupe Dassault est actionnaire).

Thierry Breton devient président de France Telecom et quitte son poste d’administrateur de Rhodia.

Jean-Jacques Aillagon présente un projet de loi sur le mécénat.

2003

Le banquier français Edouard Stern attaque Aventis et Rhodia au pénal pour les conditions de filialisation de Rhodia. La plainte concerne implicitement Jean-René Fourtou et Thierry Breton.

Janelly Fourtou, épouse de Jean-René Fourtou, député UDF au parlement européen, conseiller municipal de Neuilly (ville dont le maire est Nicolas Sarkozy), dépose un projet de directive européenne sur la propriété intellectuelle, qui deviendra la 2004/48/CE.

Jean-Jacques Aillagon dépose à l’assemblée le projet de loi DADVSI transposant la directive européenne EUCD.

Le projet sur le mécénat est voté le 1/8/3. Il défiscalise les dons aux fondations artistiques.

Jean-René et Janelly Fourtou créent une fondation à leur nom dont on verra plus loin l’utilité.

2004

Le banquier belge Hugues de Lasteyrie attaque Aventis et Rhodia au civil pour les conditions de filialisation de Rhodia.

Jean-Jacques Aillagon devient employé du groupe Pinault, très actif sur le marché de l’art avec par exemple la société Christie’s, et également propriétaire du groupe FNAC.

Nicolas Sarkozy, ministre des Finances, accorde des facilités fiscales à Vivendi en échange de promesses d’emploi, qui ne seront pas tenues.

Thierry Breton devient ministre des Finances.

2005

Thierry Breton est l’objet d’une enquête concernant son rôle comme président du comité d’audit de Rhodia dans l’achat de la société Allbright et Wilson.

Edouard Stern dépose une plainte contre Vivendi à propos de la vente de Canal+Technologies. Cette plainte concerne implicitement Jean-René Fourtou et Thierry Breton.

L’AMF ouvre une enquête sur les stock-options Vivendi de Jean-René Fourtou.

Edouard Stern est assassiné.

Jean-Jacques Aillagon devient président de TV5. Les syndicats portent plainte au nom de l’article 432-13. Ils seront déboutés par le tribunal correctionnel de Paris, qui jugera qu’ils n’ont pas qualité à ester.

2006

Hugues de Lasteyrie porte plainte contre l’AMF à propos de documents concernant Rhodia qui auraient pu être modifiés à la demande de Thierry Breton.

L’AMF met hors de cause Jean-René Fourtou pour ses stock-options de Vivendi, avec les attendus les moins déculpabilisant que l’on puisse trouver :

Il est reproché à M. Jean-René Fourtou d’avoir souscrit et fait souscrire... pour 20 millions d’euros d’ORA alors qu’il aurait disposé d’informations priviligiées sur Vivendi Universal. (...) M Fourtou a souscrit... pour le compte de ses trois fils comme « nu-propriétaires de la Fondation Janelly et Jean-René Fourtou comme usufruitière  ». (...) Considérant qu’ainsi, et alors même que ces ORA présenteraient le caractère de « produits financiers liés » à des actions admises aux négociations, les agissements de M. Fourtou n’entrent pas dans le champ d’application défini à l’article 1 du même règlement COB n° 90-08 (...) par ces motifs décide de mettre hors de cause M. Fourtou. (NdT  : oui, il y a eu délit d’initié, mais non ce n’est pas vraiment illégal.)

Jean-Jacques Aillagon devient directeur du musée d’art moderne privé du groupe Pinault, à... Venise.

La loi DADVSI est votée, et transpose en partie la directive 2004/48/CE. Après une fronde du groupe UMP, Nicolas Sarkozy, président du parti, lui impose le vote de la loi.

Vivendi, France Telecom et Bouygues sont condamnés pour ententes sur les prix du téléphone mobile, à une époque où Jean-René Fourtou et Thierry Breton auraient eu connaissance du système. Il n’y aura pas de poursuites pénales.

2007

Thierry Breton dépose le projet de loi de « lutte contre la contrefaçon », achevant la transposition de la 2004/48/CE.

Jean-René Fourtou encaisse 37 millions d’euros de plus-values sur ses stock-options de Vivendi.

Jean-Jacques Aillagon devient directeur du château de Versailles, en remplacement de Christine Albanel, nommée ministre de la Culture. Son ancien directeur de cabinet, Guillaume Cerutti, devient président de Sotheby’s.

Hugues de Lasteyrie meurt d’une crise cardiaque le lendemain d’une entrevue avec la police française concernant les plaintes qu’il a déposées.

Thierry Breton est embauché comme senior advisor à la banque Rothschild.

La loi de « lutte contre la contrefaçon » est adoptée.

Nicolas Sarkozy charge Christine Albanel et Christine Lagarde de développer la répression du p2p. Elles mandatent pour une mission de préparation M. Olivennes, du groupe Pinault.

Le lecteur intéressé trouvera beaucoup plus d’informations sur cette histoire et d’autres sur la forêt des médias.

Il peut paraître surprenant que tant de gens de bien de si haut rang se soient dévoués à la noble lutte contre le piratage et la contrefaçon. Le p2p ne remet pas seulement en cause le commerce des immatériels, soit environ 600 milliards de dollars de chiffre d’affaire annuel mondial. Sa légitime légalisation, par exemple sous forme de licence globale, porterait également un coup sévère au concept fourre-tout (c’est le cas de le dire) de « propriété intellectuelle », derrière lequel se cachent également la brevetabilité des logiciels et des gènes, les OGM, etc. sur lesquels reposent les espoirs un peu fous d’un monde occidental en pleine désindustrialisation, mondialisation oblige.

Note

L’article 432-13 du Code pénal (ancien article 175-1) est cité une fois explicitement dans cet article, mais le lecteur aura deviné qu’il est implicite à beaucoup d’autres endroits.

Est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende le fait, par une personne ayant été chargée, en tant que fonctionnaire public ou agent ou préposé d’une administration publique, à raison même de sa fonction, soit d’assurer la surveillance ou le contrôle d’une entreprise privée, soit de conclure des contrats de toute nature avec une entreprise privée, soit d’exprimer son avis sur les opérations effectuées par une entreprise privée, de prendre ou de recevoir une participation par travail, conseil ou capitaux dans l’une de ces entreprises avant l’expiration d’un délai de cinq ans suivant la cessation de cette fonction.


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