Sarko le plombier dans un système qui nous échappe

par Bernard Dugué
mercredi 22 octobre 2008

La crise actuelle devient de plus en plus confuse. Plus personne ne semble maîtriser le système, ni le comprendre d’ailleurs. Il y a autant de diagnostics sur l’état de la finance mondiale et des capacités de croissances qu’il y a d’économistes. Imaginez le grotesque de cette situation transposée au monde médical. On fait quoi, antidépresseurs, anxiolytiques, antalgiques, cardiotoniques, on ampute, on opère, on régule ?

C’est donc la confusion généralisée. A la multiplicité des scénarios de sortie de crise fait écho la pluralité des enquêtes et des propos censés désigner des coupables. Sont-ce les Américains ? Ou bien les paradis fiscaux ? Ou les banquiers véreux ? Ou les produits toxiques ? Ce mardi soir, sévère altercation entre Pujadas et Juncker accusant les reporters de France 2 de bidonner leur enquête et d’être carrément des incapables. Juncker refusant qu’on passe au crible le Luxembourg et se défaussant sur les Etats-Unis responsables de la crise non sans accuser la France qui, selon lui, fricote aussi avec les zones financières douteuses. Sarkozy injecte des liquidités dans les banques. Le contribuable crie au scandale (auparavant, les 360 millions ont choqué, sans que l’opinion ne sache que ce sont des sommes subsidiaires). Le journaliste précise que l’Etat ne fait que prêter aux banques et qu’il sera remboursé. Mais l’Etat emprunte on ne sait où pour prêter aux banques qui à leur tour vont prêter aux entreprises et ménages. Et on nous a annoncé que la crise est due à l’excès de crédit. C’est à n’y rien comprendre. Surtout que cette histoire de l’Etat qui emprunte à un taux et prête aux banques, ça paraît étrange. Parce que l’Etat s’improvise banque et touche sa commission. Pourquoi les banques ne pourraient-elles pas emprunter directement pour réaliser leurs prêts. On ne comprend plus rien. Sauf une chose, c’est que pour les fusibles humains qui vont sauter, la vie ne sera pas facile.

On s’aperçoit à l’occasion de cette crise financière, puis peut-être économique, rien n’étant prévisible, que la complexité du système semble interdire une maîtrise coordonnée et lisible du système. Le citoyen ne comprend plus rien. L’occasion de rapprocher cette évolution des systèmes financiers d’une autre évolution, celle des véhicules automobiles. Il fut un temps, celui de la quatre pattes, où un individu pas trop nul en mécanique pouvait soulever le capot, rafistoler le moteur, réparer les fuites, changer une durite, etc. Maintenant, avec toute cette électronique embarquée, personne ne peut prétendre s’en tirer si bien qu’un voyage dans le Caucase avec une Golf dernier cri s’avère plus risqué qu’avec une bonne vieille deuche qui, si un câble pète, peut être réparée avec un peu de fil de fer.

L’évolution des systèmes financiers ressemble un peu à celle des automobiles. Avec en plus des profiteurs et des tricheurs. Et l’employabilité d’un nombre conséquent de spécialistes qui se font bien payer pour un résultat au final pas si évident. La preuve. Bref, quelque part, la technologie nous rend de moins en moins maîtres de notre existence, et de plus en plus dépendants des experts. Cela, nous le savions pour les choses ordinaires de la vie. Le libéralisme fait en principe qu’aucun expert n’a de position dominante puisqu’il y a une libre concurrence. Si on se fait arnaquer, c’est sur de petites sommes, un investissement raté sur des fonds dynamiques, un service payé un peu plus cher que le prix du marché, plomberie, informatique, etc. Evidemment, ceux qui avaient mis toutes leurs économies en action Eurotunnel sont dans une case spéciale.

Cette maîtrise, nous avons cru l’avoir sur les choses politiques. Sur les programmes, sur les choix, les arbitrages entre intérêts et autres antagonismes de classes, de professions, d’individus, d’usagers. Mais il nous faudra déchanter. Nous n’avons plus les moyens de savoir si un arbitrage est bon, si une mesure est efficace, légitime, justifiée, pour pallier la crise actuelle. Nous sommes tous sur un même bateau et donc menés en bateau. L’autre soir, Christophe Barbier, journaliste bavard et pas indispensable, a évoqué le plombier Sarkozy. L’image est belle. Un plombier a-t-il dit, on sait au bout d’un quart d’heure si son boulot est du good job ou bien salopé. Pour ensuite convenir que Sarkozy est un bon plombier, au vu de ses interventions. Et d’ailleurs, sa cote de popularité est en hausse. Eh bien moi, au vu de toute cette complexité, je suis certain qu’on peut douter du plombier Sarkozy, pas plus menaçant que le plombier polonais, mais pas plus fiable que Joe le plombier de la campagne américaine. Ce que fait Sarkozy, nul ne peut savoir si c’est du bon travail, notamment les plans financiers, les montages entre banques, les invectives, les déclarations d’intention, les propositions de gouvernance européenne. D’ailleurs, l’Europe pourrait bien s’effriter après s’être unie. Nous ne savons plus rien de certain, mais nous sommes plus qu’informés. Les gens qui croient que Sarkozy fait du bon travail s’imaginent que le rôle d’un plombier est de parcourir la maison au pas de course en s’agitant, en jouant des clés à molette, en vérifiant les robinets et, hop, un tour de vis et je vais dans l’autre pièce et… une farce des temps modernes. Sarkozy jouant le rôle de Chaplin.

Nous voyons un homme s’agitant, mais nous ne savons plus rien de la pertinence des interventions et de la gestion du système. La politique économique est devenue trop complexe. L’homme doit abdiquer devant un progrès qu’il ne maîtrise plus et qui ne lui apporte plus les bienfaits matériels qu’on a pu constater par le passé. La crise actuelle va sans doute bien au-delà de la finance. Elle se prolonge dans le rapport de l’esprit à la technique.

Mais une chose étrange, la ruse de la technique, le système maîtrise l’homme et poursuivra sa vitesse de croisière. Un peu plus lentement.


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