Sarkozysme, un régime qui a fait pschitt en deux ans

par Bernard Dugué
jeudi 7 mai 2009

Hier soir, trois intellectuels, et pas des moindres, ont parlé de la démocratie dans l’émission de Frédéric Taddéi. Visiblement, que la démocratie se porte mal a fait consensus, mais les tenants et aboutissants ont dévoilé des divergences entre Tony Négri, Pierre Manent et Pierre Rosanvallon. Qu’en penser ? Démocratie mal ficelée, abandonnée, dévoyée ou bien corrompue ? Il n’existe pas d’explication univoque, sauf un consensus sur la financiarisation de l’économie, grand accusé à la barre du procès des sociétés. Et le sort du sarkozysme ?

I Généralités. J’avoue ne pas avoir été convaincu par les interventions de ces intellectuels, notamment celle de Rosanvallon dont le constat d’une conception électoraliste émanant des élites est avéré mais dont l’élaboration d’une démocratie dite réelle, vivante ou concrète, relève d’un flou formel indéfini mais très rhétorique que savent nous servir avec de savantes phrases nos grands professeurs de la nation. Le citoyen face à ses difficultés voit les choses autrement.


Et si l’on partait non pas de la notion de démocratie mais de celle de régime. Il existe deux acceptions du régime. La première est formelle et juridique. Ainsi sont distingués les deux grands régimes adoptés par les nations occidentales démocratiques. Le régime présidentiel dont la forme stricte n’est appliquée qu’aux Etats-Unis qui l’ont adoptée depuis des siècles. La France a opté pour un régime présidentiel aménagé. Par contre, les pays du Nord, Grande-Bretagne, Pays-Bas, Belgique, Suède, Allemagne, fonctionnent selon un régime parlementaire. Ensuite, vient la démocratie. Certains situent la démocratie comme un système ce qui n’est pas idiot à première vue. Car le régime désigne le fonctionnement du pouvoir politique des gouvernants alors que le système englobe les citoyens et le rapport avec le politique. Dans une démocratie, les gens votent, que le régime soit parlementaire ou présidentiel (à noter que ce dernier impose une multiplication des scrutins, cas de la France et des States) A l’opposé, dans un système autoritaire ou dictatorial les gens ne votent pas mais le régime peut tout aussi bien être parlementaire ou présidentiel. Dans le premier cas, on est proche de l’aristocratie ou de l’oligarchie et dans le second, de la monarchie ou de la tyrannie autocratique. En dernier ressort, la question, c’est : qui gouverne et comment et puis qui désigne ceux qui gouvernent ? Parlons de régime et laissons le système de côté. Il existe des régimes parlementaires autoritaires comme des régimes présidentiels démocratiques.


Une autre acception de la notion de régime est d’usage courant. On parle alors d’un régime en désignant non pas une forme de fonctionnement mais la qualité voire le nom des gouvernants. On a ainsi parlé du régime des colonels ou des généraux pour désigner des périodes de l’histoire récente en Grèce ou en Argentine. Dans certaines contrées du Proche Orient, on parle du régime des mollahs. L’URSS a connu le régime stalinien, assez différent de l’Union soviétique de Brejnev. L’Espagne a connu le régime franquiste, qui a duré 40 ans, fut interrompu par la mort du général. Et maintenant, place à l’actualité, au régime castriste, dont la longévité est somme toute remarquable. On pourrait penser que ce régime finira, avec la mort de Castro, mais pour l’instant, comme le dit V Bloch dans un entretien donné à la revue Books (mai 2009) « le régime domine plus que jamais la société ». Etrange en effet mais pas tant que cela. Castro aurait ensorcelé la société cubaine depuis son accession au pouvoir. Comment, l’homme de la rue, ce citoyen éclairé, aurait été pris au piège d’une secte politique conduite par un gourou qui promettait chaque année un dessein radieux ou du moins vertueux pour son peuple ! L’histoire nous montre que les Russes et les Allemands ont su se prêter à ce jeu d’ensorcellement dans les années 1930 et donc, concluons que dans tout citoyen sommeille un adepte de secte ou alors un individu obéissant parce que la crainte est répandue dans le régime. C’est d’ailleurs ce qui se passe à Cuba depuis des décennies. Soit être un adepte du castrisme, soit être lucide mais se taire et si l’occasion se présente, fuir pour les plus courageux. Conclusion, un régime, qu’il soit autoritaire ou démocratique, n’est pas uniquement le fait des gouvernants et ajoutons des élites médiatiques, mais repose sur la complicité, passive ou voulue, de la société civile.

 

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II Le sort du sarkozysme. La science politique serait bien inspirée de penser cette notion de régime, surtout pour comprendre le sort des sociétés démocratique au 21ème siècle. Brièvement, un régime se caractérise par plusieurs composants mélangés dans des proportions données mais variable. Un homme au pouvoir, qui domine, des relais dans son cercle proche mais aussi sur le territoire, une doctrine le plus souvent. Ensuite se jouent différentes pratiques politiques, avec leur forme, leur culture, leur esprit et le tout qui se propage dans les rouages de la société civile. Si bien que les entreprises privées adoptent des comportements calqués sur ceux du régime en place. Pas plus tard qu’hier, un employé du web de TF1 a été viré de la chaîne pour avoir osé critiquer la loi Hadopi. Drôle de méthode mais pas inattendue. Tony Négri a marqué un point en faisant remarquer que l’Etat et les sociétés industrielles étaient dirigées par des desseins et ressorts communs. Par forcément pour le bien des citoyens.


Se taire ? Est-ce là l’un des signes du régime actuel qu’on pourrait nommer le sarkozysme ? Se taire par peur et surtout, pour ne pas compromettre ses intérêts, ne pas se dévoiler, ne pas choquer. Ce matin, le facétieux JM Aphatie a cru bon de déminer un lapsus pouvant être interprété comme un crime de lèse-majesté à l’égard de son employeur. Premier ou second degré, le lecteur jugera : « Ne cherchons pas à analyser par quelles voies et pour quels motifs tout à coup une expression se substitue à une autre. Mystérieux mélange qui vous fait prononcer des mots indépendamment de votre volonté. En tout cas, pour dissiper s’il y en a des équivoques, je suis très heureux de travailler sur RTL, je m’y sens bien et j’ai envie de poursuivre là, en compagnie des gens avec qui je travaille aujourd’hui, mon parcours professionnel. » A noter que si beaucoup de Français se taisent, d’autres osent l’ouvrir et critiquer le régime ouvertement et même aller plus loin. C’est le cas des frondes aux formes diverses, prison, santé, universités… Beaucoup de Français manifestent une allergie au pouvoir en place, une défiance qu’on n’a pas connue de mémoire récente, sauf celle exprimée par une frange réduite mais active en mai 68. Et dont la puissance précipita la fin du régime gaulliste.


La seule question qui vaille est donc la suivante : « existe-t-il un régime sarkozyste ? » C’est du reste à cette question que nombre d’essais ont tenté de répondre, notamment un pamphlet d’Alain Badiou, le plus en vue des philosophes français et un autre de François Bayrou, le plus en vue des opposants français au « régime sarkozyste ».


Et la conclusion ? Un régime se maintient tant que le pouvoir est vigoureux, pour preuve le charisme indéfectible de Castro pendant des années où l’application parfaite de l’armée pendant le règne de Franco. Dans nos démocraties, l’essentiel n’est pas tant le vote que la liberté d’expression. C’est celle-ci qui permet de liquider un régime, car les citoyens disposent d’un contrepoison face aux ensorcellements du pouvoir, aux grands discours, comme dans la République de Platon. Le régime de Sarkozy aurait-il fait pschitt ? En deux ans ? Un régime est puissant à la fois par la crainte des citoyens mais aussi l’adhésion soutenue du peuple, sans oublier le rôle des élites. Mais le régime de Sarkozy a fait la preuve par le réel et tout ce qui était promis est tombé à l’eau à cause de (ou grâce à) la crise économique. Il y a un schisme irrécupérable entre le discours du candidat Sarkozy défendant un système économique dont on constate les effets néfastes. Le bon sens populaire fait qu’on ne peut plus faire confiance à un médecin dont la prescription est aussi celle qui vous rend malade.


Le sarkozysme a semble-t-il fait son temps, il a fait pschitt, comme pourrait le dire Jacques Chirac avec délectation. La défection idéologique et doctrinale est criante, autant que la défiance et comme le dit JM Rouart, académicien et chroniqueur au Figaro, la vie est une opposition démocratique et deux ans ça suffit, deux, pas dix comme pour le Général ! La vie des Français a plus de vérité que les rêves de Sarkozy, dénoncés par Rouart qui en honnête homme reconnaît qu’il fut séduit, comme beaucoup d’autres (Glucskmann, Gynéco and co…) par le candidat en 2007. Les charges les plus virulentes semblent venir de la droite. Ainsi, Sébastien Lapaque, chroniqueur au même Figaro, signe un pamphlet des plus virulents, jugeant notamment que Sarkozy encombre la France et doit partir car il incarnerait la mauvaise part de la France, la bourgeoisie bête et borgne ! Finalement, tout concourt à laisser penser que le régime sarkozyste a fait son temps.


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