Sauvetage en mer : un révoltant vol de tronc

par Fergus
lundi 8 juillet 2019

La semaine passée, un tronc de la SNSM (Société Nationale de Sauvetage en Mer) a été volé dans un cimetière proche de Paimpol (Côtes d’Armor). Un évènement mineur relativement aux problèmes géopolitiques et climatiques de notre époque. Ce vol n’en a pas moins soulevé une vive indignation dans les populations maritimes de la région, tout particulièrement sensibilisées aux dangers de la mer par une histoire locale riche en tragédies. Il a aussi provoqué l’écœurement des sauveteurs bénévoles de la SNSM dont trois des leurs sont récemment décédés lors d’un périlleux sauvetage aux Sables-d’Olonne

Charles Bertrancourt et un tronc similaire à celui qui a été volé

Le vol de ce tronc en fonte, aux couleurs et aux formes bien connues des usagers des ports et des habitués des stations balnéaires, a été découvert le lundi 1er juillet par Charles Bertrancourt, responsable des collectes de tronc de la station SNSM du port de Loguivy-de-la-mer. Cet acte, frappé au coin d’une insondable bêtise, est d’autant plus choquant aux yeux des Costarmoricains qu’il s’est produit dans l’enceinte du cimetière de Ploubazlanec – à mi-chemin entre le port de Paimpol et la pointe de l’Arcouest –, sur l’émouvant « Mur des disparus ». Un lieu sacré aux yeux des habitants de cette région. Et pour cause : nombre d’entre eux ont eu des aïeux engagés autrefois dans les lointaines, et trop souvent meurtrières, campagnes de la Grande Pêche à la morue en Islande.

Les campagnes de Grande Pêche en Islande ont débuté en 1852 avec l’envoi sur zone de la goélette L’occasion, à l’initiative de l’armateur paimpolais Louis Morand. 83 ans plus tard, en 1935, La glycine mettait un point final à cette épopée de la morue en effectuant seule la dernière campagne d’Islande après la disparition, l’année précédente, de La Butterfly. En 1895, apogée de la Grande Pêche islandaise, l’on comptait plus de 80 bateaux armés à Paimpol et dans les ports voisins pour cette lointaine et redoutable pêche à la morue, ainsi que 3 navires envoyés pêcher sur les bancs de Terre-Neuve. Il y avait alors 1200 marins embarqués sur ces goélettes. Ces campagnes, l’écrivain et officier de marine Pierre Loti en a fidèlement décrit l’âpre quotidien et les dangers dans son célèbre roman « Pêcheur d’Islande  ». Son héros, Yann, était précisément natif de Pors Even, le port « islandais » de Ploubazlanec. Et comme tant d’autres marins, il disparaît dans les profondeurs de l’Atlantique Nord, au grand désespoir de Gaud, sa jeune épouse. Durant cette période de Grande Pêche, 120 goélettes ont été perdues en mer, dont 70 ont disparu « corps et biens », autrement dit sans laisser la moindre trace. Au total, ce sont près de 2000 marins, souvent très jeunes, qui ont péri en mer durant ces campagnes en laissant sur la côte du Goëlo des centaines de mères et de veuves, tout de noir vêtues dans leur deuil, et avec elles autant d’enfants orphelins de leur père. 

« Cracher à la gueule des sauveteurs »

C’est à ces « Islandais » et aux « Terre-Neuvas » pris par la mer dans ses accès de fureur que rend hommage le Mur des disparus de Ploubazlanec sous la forme de plaques de pierre gravée – les « mémoires* » – qui égrènent la longue litanie des naufrages et de leurs victimes sur le schiste et le granite de la partie ouest de l’enclos. La plaque de fonte de la SNSM était vissée sur ce mur du souvenir, si emblématique des dangers de la mer et de la nécessité de pouvoir compter sur les secours lorsqu’un bateau devient ingouvernable en raison d’une avarie soudaine, d’une voie d’eau ou de conditions de houle aggravées. Les sauveteurs de la SNSM sont là pour cela : venir en aide aux marins et aux plaisanciers en difficulté, quelles que soient les conditions de mer. Il y a un mois, le vendredi 7 juin, trois d’entre eux ont péri aux Sables d’Olonne, victimes d’une mer déchaînée qui a brisé les vitres du canot de la SNSM et provoqué le retournement de l’embarcation puis son échouage sur les rochers de la grève. Trois bénévoles qui ont payé de leur vie l’altruisme des gens de mer face aux dangers encourus par d’autres gens de mer, quel que soit leur statut. 

Toussaint Le Calvez, président de la SNSM de Loguivy, s’est montré particulièrement révolté par ce vol commis en un tel lieu, probablement pour satisfaire l’envie d’un collectionneur d’objets insolites ou pour se retrouver quelque part sur l’étal d’un brocanteur sans scrupules. Charles Bertrancourt confirme cet écœurement : « Nous sommes tous à la fois indignés et offensés. On sait qu’il y a un marché pour ce type d’objet. Mais voler la SNSM, en plus dans cet endroit tellement symbolique, c’est comme cracher à la gueule des sauveteurs et sur la mémoire des disparus à Islande**.  »

Tout est dit par ces quelques mots. Une plainte a bien évidemment été déposée à la gendarmerie, comme cela avait déjà été le cas il y a deux ans lors d’un vol similaire. Mais quelle qu’en soient les suites, elle n’effacera pas le sentiment de colère qu’ont ressenti les habitants de Ploubazlanec, et avec eux toutes celles et ceux qui, en Bretagne et ailleurs, ont une conscience vive des dangers de la mer et un immense respect pour la disponibilité et le courage des sauveteurs de la SNSM.

* Ont été à l’origine nommés « Mémoires » des panneaux de bois apposés sur un mur du cimetière de Ploubazlanec en compagnie de croix et de couronnes pour perpétuer le souvenir des disparus des campagnes islandaises. Cette tradition a été initiée dans les années 1860. L’agrandissement du cimetière en 1939 a provoqué le retrait de ces « Mémoires » qui n’ont ensuite pas été replacés du fait de la longue guerre 39-45. Les plaques actuelles ont été réalisées en deux phases, d’abord en 1952, puis en 1992 pour restituer le plus complètement possible la tragique réalité des pertes de la Grande Pêche. Quelques plaques en bois d’origine sont encore visibles dans l’émouvante chapelle de Perros-Hamon (lien). 

** Autrefois, l’on ne partait pas en campagne en Islande, mais « à Islande ». Quelques vieux Paimpolais, incollables sur l’histoire de la Grande Pêche, s’expriment encore ainsi.

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Un canot de la SNSM
Le mur des disparus au début du 20e siècle
Une goélette « islandaise »

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