Savoir, connaissances, culture

par Jacques-Robert SIMON
mardi 13 avril 2021

 Les événements récents permettent de cerner plus aisément les différences essentielles qui séparent Savoir, Connaissances et Culture. Ce qui distingue ces trois domaines de la pensée ne tiennent pas tant en la quantité d’informations que tout un chacun peut saisir, emmagasiner et restituer, mais plutôt en la façon de les acquérir et de l’usage que l’on en fait. 

 Le Savoir résulte d’une quête auprès de quidams, de maîtres, de savants que l’on s’efforce de ne pas choisir afin de ne pas obscurcir le monde que l’on se construit qui serait rapidement étouffé par leurs certitudes. Car le savoir se construit sur le doute. On souhaite creuser, approfondir comprendre tel ou tel aspect car on n’est pas convaincu que l’image que l’on en a puisse être ne serait-ce qu’un reflet de la réalité : trop simpliste, trop rudimentaire, trop proche des ânonnements ressassés par presque tous. Le savoir se construit pour l’essentiel seul même si des éclairages venant d’autrui peuvent quelquefois empêcher une errance par trop stérile d’une obscurité à une autre. Le savoir résulte de la non-acceptation d’un réel donné comme certain en allant constamment non pas vers ce qui éclaire mais vers ce qui emplit plus encore de doutes. Le chemin ne connaît pas de terme et si ce qui est glané ne peut pas servir à l’édification de quelque idéologie, cadre de pensée ou morale, il permet seulement de se rendre compte du caractère inaccessible du vrai. Mais il permet aussi d’être certain de son existence et de son caractère absolu, indépendant de l’observateur, des intérêts du moment, des émois de l’instant. La quête du savoir permet d’être certain que les apparences ne sont pas sans ordre, sans raison, même s’il reste impossible à exprimer, à quantifier sous forme de préceptes, à présenter comme des évidences par des mots, des signes, des abstractions théoriques, des généralisations faites pour convaincre. Par delà le Bien, le Mal, ce qu’il est bon de croire, ce qu’il est impératif de détester ou d’aimer, reste le Vrai toujours rejeté car ne convenant à personne, trop imprégné de contradictions pour servir de tambour de guerre. Le savoir isole, ne sert à rien car il ne rend pas fort, ce sont les certitudes qui servent à convaincre, à vaincre, à former des troupes. Le savoir permet tout de même de faire émerger un type d’Homme exempt autant que faire se peut de la tentation d’emmagasiner les informations pour dominer, pour assaillir, pour conforter sa place, sa situation, ses privilèges… Les doutes permettent quelquefois d’apercevoir de loin, de très loin, et d’une façon fugace, le Vrai, mais ils rendent impuissants à avoir prise sur lui. Chercher le Vrai condamne à la solitude car l’appartenance à tout groupe, toute fratrie, toute coterie l’obscurcit pour ne laisser place qu’à ce qui doit être collectivement cru pelotonné au sein d’une raison collective. Sauter de questions non résolues à des problèmes insolubles ne relève pas d’une stratégie d’acquisition des connaissances même si par ce biais celles-ci finissent par s’accumuler. Il s’agit plus prosaïquement de satisfaire une curiosité non encombrée par les principes, les poncifs, les biais idéologiques des plus puissants, des plus nombreux, des plus actifs, des beaux parleurs qui ne songent qu’à vous capter dans leur monde pour vous transformer en fidèles.

 Le sentiment de puissance remplace la perplexité lorsqu’on recherche les Connaissances. Il ne s’agit plus de grappiller tout ce qui permet de comprendre, mais de collectionner tout ce qui permet d’asseoir une réputation, un statut, afin de bâtir une pyramide dont on sera le sommet pour fixer sur soi l’attention et les honneurs, pour exercer un pouvoir de séduction. Le doute n’est rien d’autre dans ce registre qu’un aveu de faiblesse et tout ce qui n’est pas conforme à son moi doit être déconstruit et balayé. Les certitudes règnent en maître au travers du tissage d’un tissu rationnel qui n’existe que dans la cohérence de ceux qui le promeuvent. Car s’il existe une multitude de réels, aucun n’a à voir avec le vrai. Le réel contient tout, ce qui est admirable, ce qui ne l’est pas, ce qui ne le sera jamais, en fait tout ce qui sert à prouver que l’on a raison. La quête du vrai permet tout au contraire de se débarrasser des idoles à trompe, ce que recherchent justement ceux qui accumulent les connaissances pour dominer, pour asservir, pour mépriser en toute bonne foi. Les certitudes n’ont aucune utilité ni pour décrire le réel, ni pour chercher une vérité, elles servent seulement à tisser un tissu de relations pour prendre place sur un marché et pour imposer le seul récit dicible. La raison donne l’ossature d’un vrai à cette quête de pouvoir. Elle donne un habillage cohérent à une certaine description du réel propice à une séparation entre sachants et béotiens, entre bons et mauvais, entre mécréants et fidèles. 

 La Culture se démarque du Savoir comme de la Connaissance dans le fait qu’il n’y a aucune logique à suivre, aucun domaine à cerner : tout est dans l’apparence. Les réparties, les citations, les symboles évoqués, les fragments de poésie, les dates historiques ne prétendent à rien d’autre que de prouver que vous avez ce que vos adversaires n’ont pas et n’auront jamais, le pouvoir de terrasser par la parole. Il s’agit d’abattre autrui en soulignant ses manques, en le rejetant dans son animalité, prouvant ainsi que les innombrables heures passées à apprendre à ne rien faire d’utile avaient malgré tout une utilité : fourbir des armes afin de démontrer par le verbe que les gens qui ne sont rien ne sont dignes que de mépris. La culture permet de souligner son appartenance à une élite indépendamment de son aptitude à penser et encore plus à agir. La culture permet d’ériger un mépris mondain comme ossature à une caste apte à capter les efforts d’autrui pour les transformer en jouissances personnelles. Elle n’a donc pour fonction que de justifier une bonne éducation où tout est permis sauf celui d’être honnête, sérieux, travailleur, attentif aux siens, aux autres, ce qui ne nécessite ni savoir, ni connaissance, ni culture. 


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