Scène de crime sur la Promenade des Anglais

par Desmaretz Gérard
lundi 25 juillet 2016

La police scientifique est un outil irremplaçable au service des enquêteurs et de la vérité, mais quel que soit le type de situation, la priorité est de : préserver la vie - prévenir une autre action criminelle ou un sur-accident - boucler les lieux d'accès à la zone - protéger les indices - relever les identités des victimes et témoins. Chacun des primo- intervenants pouvant polluer à son insu les lieux en y apportant ou enlevant un indice essentiel, il faut établir au plus tôt un cheminement unique.

Le premier à avoir utilisé le terme de criminalistique fut Hans Gross, un Autrichien auteur d'un livre d’investigation criminelle publié en 1893 qui ne sera popularisé qu'en 1948 par Mac Millan, dans son livre « introduction à la criminalistique ». Entre temps, le père de la criminalistique Française, Edmond Loccard, avait créé à Lyon en janvier 1910 le premier laboratoire de police scientifique. Cet érudit (docteur en médecine, licencié en droit, auteur de 25 livres) passionné des faits criminels (il c’est occupé de plus de 1054 affaires), allait énoncer un postulat définissant le fondement de la police scientifique : « Quelles que soient les précautions prises, un individu laissera à son insu des traces de son passage et/ ou recueillera sur sa personne, ses vêtements ou objets l’accompagnant, des indices révélateurs de sa présence en un lieu »

L'année 1937 verra la création d’un brevet de police technique délivré par la préfecture de Paris. Il va s’agir pour la police scientifique de chercher à faire « parler » les indices et les traces du crime ou délit pour servir de preuves indiciales confirmant ou infirmant la présence ou la participation d’un ou plusieurs individus afin d'orienter les investigations en fonction des résultats livrés par les laboratoires. La France qui sera pendant de longues années en tête des techniques de recherches, va se laisser distancer par les anglo-saxons qui créent la Forensic science, discipline qui englobe la police scientifique et la police technique en regroupant : la chimie - la photographie - la balistique - la dactyloscopie - la pathologie - la sérologie - la toxicologie - l’odontologie - la psychiatrie - la biologie - l’anthropologie - l’entomologie - la médecine légale - la physique - l’imagerie - l’optique. La France va combler son retard vers la fin des années 70, la gendarmerie va former des techniciens d’investigation criminelle (TIC) et la police nationale des techniciens de scènes de crime (TSC) en 1987.

La criminalistique est une aide précieuse pour :

La police scientifique s’appuie sur deux aspects, le laboratoire de l’identité judiciaire, renforcé par le laboratoire de toxicologie (intoxications), le laboratoire central (incendie explosions), et différents laboratoires de : chimie - balistique - acoustique - physique - biologie. Les laboratoires de la gendarmerie Nationale, sont sous l’autorité de l’institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN) qui comporte 5 divisions criminalistiques regroupant les laboratoires scientifiques

Revenons en au terrain, la photographie et vidéo figent les détails de la scène de crime, détails qui peuvent être éphémères ou se détériorer dans un laps de temps relativement court. La photographie judiciaire qui peut faire appel à des sources de lumière infra-rouge ou ultraviolette afin de faire apparaitre des traces invisibles sous la lumière naturelle, se doit de respecter des consignes strictes, chaque photo est un élément de preuve qui se doit à être indexé : date, heure, intervenant, lieu, cotes, etc., avant de constituer le dossier qui sera versé à l'instruction et utilisé par les enquêteurs afin de confronter les faits aux dires des personnes entendues. L'apparition des lasers 3D a révolutionné la modélisation des scènes de crime en permettant une étude tridimensionnelle à posteriori.

Les techniciens de scène de crime procèdent à la recherche de toutes traces et indices qui peuvent avoir été : perdus, jetés, abandonnés, déposés, emportés. Chaque indice, trace est photographié, mesuré, son emplacement relevé avant d'être prélevé en évitant toute contamination qui pourrait compromettre les conclusions du laboratoire, puis placé sous scellés dans des boites, enveloppes plastiques, carton, verre, métal, etc., pour les protéger de toute contamination ou réaction avec un élément extérieur ou le contenant.

L'attentat de Nice présentait des caractéristiques particulières : le potentiel mortel d'un véhicule lorsqu'il est conduit par chauffard aux idées meurtrières - une scène de crime s'étendant sur deux kilomètres - qu'il n'y avait plus lieu à en rechercher l'assassin celui-ci ayant été identifié par les documents retrouvés dans la cabine du camion (cela n'exclut pas les vérifications au terminal afin d'exclure tout faux document) - ni à dater l'heure du décès des victimes. Autre point à mentionner, la scène de crime ne se limite absolument pas à l'axe de la « Prom », elle s'étend aussi aux endroits où l'assassin a conçu son projet criminel, lieux de stationnement, aux itinéraires empruntés, ce qui représente des milliers d'indices ! Le lieu de stationnement (scène secondaire), les différents repérages et l'itinéraire emprunté le soir du 14 juillet furent retracés grâce aux nombreuses caméras de vidéo-surveillance qui maillent toute l'agglomération niçoise. Autre considération importante pour les techniciens, la promenade des Anglais ne pouvait être bouclée indéfiniment et le passage de la voirie effacerait à tout jamais les traces de ce carnage.

Autre volet, l'identification des victimes et l'examen médico-légal pour connaitre les circonstances du décès qui s'apparentent en l'occurrence aux traumatismes routiers. Les enquêteurs peuvent se trouver confrontés à des victimes dont l'identification est impossible : corps dépourvu de document d'identité, absence de témoin, visage méconnaissable, aucune liste des personnes présentes, etc. La science peut apporter des éléments de réponses : la dactyloscopie (empreintes digitales) - traçage des appareils portant un numéro : téléphone cellulaire, appareil photographique, de surdité, etc. - comparaison avec la liste des personnes disparues - signes particuliers connus (cicatrice, tatouage, etc.) - bornage téléphonique - portrait robot - l'ondontologie (particularités dentaires) - anthropométrie (étude du squelette) - analyse ADN - dossier médical (opération ou fracture ancienne, maladie chronique). En ce qui concerne l'assassin, le médecin légiste se doit de procéder à des constatations médicales et rechercher des anomalies qui auraient pu altérer la personnalité (tumeur au cerveau par exemple), effectuer des prélèvements biologiques afin de déterminer s'il était sous l'effet d'une drogue, alcool, de psychotropes, stimulant, etc.

Après les premières constatations in situ, le camion considéré un temps comme piégé, fut déplacé et transporté pour des investigations complémentaires. Les débris accumulés sous le bas de caisse tombés lors des différents chocs sont susceptibles de retracer un itinéraire, le pollen sur la carrosserie trahir un lieu de stationnement, les sculptures des pneus des trajectoires, des débris humains retenus de matérialiser l'impact d'un corps, etc.

Dans notre cas, il y a eu échanges de tirs entre l'assassin et les policiers, nous abordons là le domaine de la balistique, discipline qui doit apporter des réponses aux questions : reconstitution des trajectoires des différents tirs - en déterminer les distances - l'emplacement des tireurs - le type de munitions utilisées - l'identification des armes ayant servi (celles des policiers incluses), à l'enquête ensuite de remonter la piste de l'arme retrouvée en possession de l'assassin.

L’évolution et la démocratisation des appareils utilisant les dernières technologies ont contraint les services à faire appel à des informaticiens capables de procéder à l'analyse de tout appareil numérique : téléphones cellulaires, imprimante, ordinateur, appareil numérique, photocopieur, etc., domaine de l'informatique judiciaire. Le technicien copie les mémoires et en explore le contenu allant jusqu'à faire réapparaitre des données effacées, tandis que les enquêteurs lancent des requêtes aux différents opérateurs et FAI (téléphonie et Internet) pour connaître : les données techniques de connexion des individus désignés - l'identification précise des téléphones fixes et mobiles - adresses IP - communication de tous les abonnements liés aux numéros repérés - relevés de toutes les connexions téléphoniques entrantes et sortantes - destinataires ou émetteurs des SMS avec date/heure - adresses internet personnelles et sites Internet consultés - géolocalisation des connexions, SSID, lieu, clés de chiffrement, etc. Le champ des investigations reste très large mais ne porte à ce stade que sur les métadonnées et non le contenu des communications (SMS, MMS, chat, Skype, Telegram, etc) pour lesquelles le directeur d'enquête doit lancer une demande d'autorisation. Le déroulement de l'enquête s'appuie également sur la consultation des différents fichiers qui sont la mémoire de tous les services de police. La section informatique peut faire ressortir en temps réel tous les délits, malfaiteurs ayant un ou plusieurs points communs avec un délit quelconque. Petite précision aux « oiseux », cet article ne se veut en aucun cas exhaustif (il m'eut fallu y consacrer un long chapître), il n'a pour but que de survoler les techniques mises en œuvre par la police scientifique pour les besoins de l'enquête circonstanciée au drame de Nice.

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