Scènes de chaos à Bordeaux et vie en jaune des Français

par Bernard Dugué
dimanche 9 décembre 2018

Le cycliste bordelais a pu observer la manif des gilets jaunes sur plusieurs lieux. Vers 15 h 30, j’étais près de la place Pey-Berland. Et déjà, quelques lointaines émanations de gaz lacrymogène. J’ai croisé le député de la FI élu sur la circonscription de Talence qui visiblement était préoccupé. Puis le chemin aidant, j’ai discuté avec deux gilets jaunes. L’un m’a confié qu’il manifestait pour la première fois de sa vie. Un type au discours bien trempé, vivant sans problèmes de fins de mois mais venu par solidarité avec les Français en souffrance. J’ai évoqué tous ces jeunes disposés à quitter la France. Il m’a confié qu’ayant vécu dans d’autres pays, la France est plutôt enviable. Alors s’il était présent, c’était pour témoigner sur le risque de perdre ce modèle social si prisé depuis l’étranger, cette France que l’on aime. Les gilets jaunes sont attachés à la France, pour preuve les quelques drapeaux français brandis et des marseillaises entonnées dans les coins de rue. Je suis parti faire le tour des quais puis retour place Pey-Berland. Cette fois, une atmosphère plus tendue. J’ai respiré les fumées lacrymogènes, les yeux piquaient et mes poumons suffoquaient. Quelques coups de pédales pour quitter la zone, je me sentais nauséeux avec cette saloperie affectant nombre de badauds circulant dans la ville en cette période de fête. Comme aurait dit Bakounine, si à 60 ans tu n’as pas respiré de gaz lacrymo, c’est que tu as raté ta vie.

 

Cette manifestation des gilets jaunes présente un côté non pas festif mais ouvert. J’ai constaté que les gens se parlent, rien de commun avec les manifestations syndicales où chacun reste dans son univers, ne regarde pas les autres et marche en ordre bien réglé. Manifestation symbolique, procession sans âme, juste pour se rassurer sur son moi et se dire, j’ai accompli mon devoir, comme d’autres vont à la messe. En revanche, j’ai été surpris par la propension des gilets jaunes à ouvrir une discussion, à parler. Une bonne vingtaine ont discuté avec moi, y compris une dame sans gilet, une passante, qui elle aussi témoignait de son hostilité au gouvernement et à Macron. Tous ces gens en ont marre. Les gilets étaient nombreux, entre 5 et 10 mille. Partout dans la ville. Des femmes, des jeunes, des travailleurs, des retraités, des cyclistes. Très peu de casseurs regroupés semble-t-il vers les forces de police et aucun agité. Des gens vrais, venus pour manifester leur colère sans casser, pour témoigner. BHL peut bien s’offusquer, lui qui s’offre des chemises à 400 euros pièce alors que des familles n’ont même pas 200 euros par mois pour bouffer.

 

La situation s’est tendue progressivement. Les grenades pétaient comme si nous étions dans une scène de guerre. Les abords de la place Pey-Berland barrés par des dizaines, voire une centaine de gendarmes mobiles, des dizaines de cars de CRS et des fumées puis un incendie allumé cours d’Alsace. Drôle de symphonie, l’hélico pétaradant dans le ciel, les sirènes de pompiers et des voitures de police, puis toutes des détonations de grenades, drôle de guerre comme aurait l’autre. Je filais voir ce qui se passait près de la mairie. Le centre commercial saint-Christoly avait fermé ses rideaux. Je voulais rejoindre le cours d’Alsace par la rue sainte-Catherine mais les gaz lacrymo m’en ont dissuadé. Contournement pas les quais, puis remontée du cours d’Alsace. Impossible de passer. Fumée et toujours ces grenades qui n’avaient cessé de détonner depuis des heures. Retour sur les quais pour remonter le cours Victor-Hugo. Une demi-heure auparavant, il y avait du grabuge cours Pasteur mais cette fois, impossible d’aller plus loin et de rejoindre la place de la République. Un mouvement de foule s’est dirigé dans ma direction. Panique ou charge des CRS ? Je reculais, pédalant sur mon vélo pour revenir à l’intersection avec la rue sainte-Catherine. Puis direction la Victoire. Il était presque 19 heures. J’ai laissé derrière moi le souvenir d’une situation très tendue qui ne semblait pas s’apaiser. La suite allait le confirmer.

 

La situation a dégénéré d’après les nouvelles diffusées. Chaos au centre de Bordeaux. Un blindé est intervenu cours Victor-Hugo pour déblayer des barricades érigées par les insurgés allumant le feu. Agences bancaires dégradées et même l’Apple Store à une autre extrémité de la rue sainte-Catherine qui était épargné dans l’après-midi a été abimé, ce qui signifie que le chaos s’est étendu sur un espace assez large dans le centre de Bordeaux. Ces scènes de chaos ne doivent pas faire oublier que la grande majorité des gilets jaunes étaient pacifistes. Ils étaient présents vers 18 heures sur les quais, filtrant les voitures, avec de rares automobilistes énervés mais au final, une ambiance festive et extrêmement conviviale, pour ne pas dire sympathique. Tous les contacts noués avec ces gilets jaunes m’ont confirmé que ces gens n’ont rien de casseurs ou de révolutionnaires. Ils sont sincères, entiers et simplement révoltés par ce président qui allège l’ISF, enlève 5 euros d’APL, augmente les taxes sur les carburants, diminue les retraites et se paye le luxe de la condescendance en rétorquant à un chômeur que pour trouver un job il suffit de traverser la rue. Je l’ai traversée la rue, je n’ai pas trouvé d’offre d’emploi mais le chaos.


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