Se libérer du superflu
par alinea
lundi 16 janvier 2017
À l’heure où les économistes tiennent lieu de penseurs, et de penseurs avertis, il nous suffit de lire Lordon, Sapir ou Généreux en France, Kuntz ou Niko Paech en Allemagne, celui-ci vient de publier un livre, traduit en français, dont j’ai repris le titre pour mon titre et qui est préfacé par Geneviève Azam, économiste elle aussi !
L’économie au sens large est évidemment la base de notre vie en société :
« Cet ouvrage » dit-elle, « peut être lu comme un manuel de transition, dont les clés résident dans les réductions des échelles de production et de consommation, dans la diminution drastique de la production industrielle. Pour atteindre ces objectifs, l’engagement des sujets individuels est nécessaire car le délabrement du monde n’est pas dû seulement à l’avidité du capital mais aussi à la culture de la consommation et de la mobilité ainsi qu’à l’accélération, qui se perpétuent à travers un endettement écologiquement et financièrement insupportable. »
Mon fils qui m’a offert ce livre, en discutant avec son cousin qui l’a traduit, a dit : oui !! bien sûr, mais ça fait trente ans que ma mère me rabâche tout ça, aussi, n’ai-je pas appris grand-chose !! Ce petit onguent passé sur ma pensée n’a rien de vaniteux, vous devinez pourquoi, ce n’est ni très porteur ni très mode cette vision décroissante de l’existence, je vous la livre donc en toute humilité comme un clin d’œil. Mais aussi, peut-être, pour faire passer mon compte-rendu qui ne sera ni exhaustif, ni scolaire ; tout m’est si familier, si évident, si vécu que je ne peux que mettre, au hasard, en exergue quelques phrases, et le choix n’est pas aisé tant tout est important, ce petit ouvrage étant déjà un concentré de groupes d’idées, et de conscience.
J’ai moi-même conscience que beaucoup beaucoup de gens n’ont pas le travers de remettre en question ce qui leur a été donné, non seulement comme vérité mais comme environnement tacite, tant qu’ils ne vivent pas la destruction dans leurs chairs, ils l’ignorent, et vivre la destruction dans ses chairs est une question de sensibilité. Aussi la conscience s’éveille-t-elle au gré d’un désagrément ou d’une épreuve qui perturbera le bel agencement sécurisant jusqu’ici, si on n’en reste pas abattu, les yeux ouverts nous seront susceptibles d’espérer, ou d’agir en vue d’un changement. Je n’ai pas l’innocence de croire qu’écrire ce texte sur ce texte, ouvrira des consciences mais à toutes les consciences qui s’entrouvrent, l’échange, la rencontre d’une étude approfondie leur donnera plus de solidité, des idées nouvelles et, qui sait, le désir de passer à l’action.
AVOIR MAINTENANT, PAYER PLUS TARD
« Le syndrome de notre endettement est un autre indice soulignant que notre richesse prospère sur une forme d’irresponsabilité institutionnalisée »
Beaucoup de gens de mon âge, la soixantaine, ont été élevés dans des milieux dits « petit bourgeois » qui n’en étaient pas pour autant exploiteurs mais qui en réalité étaient cette classe moyenne en voie d’expansion ; y restait ancrée là, venue d’un autre âge de paysans, d’artisans, d’ouvriers, l’idée que l’on ne se paye que ce que l’on peut se payer, l’épargne, les économies étaient une évidence, pour faire face aux coups durs ou bien pour un achat important, une voiture, une chambre à coucher, un bureau pour l’enfant, une fois la somme atteinte, on s’était peu ou prou serré la ceinture jusque là, le besoin, le désir, était exacerbé, la satisfaction de l’acquisition d’autant plus grande qu’on l’avait retenue longtemps ; le désir était devenu nécessité, même s’il faisait figure de luxe ou de frivolité. Aujourd’hui qu’on nous offre, via la publicité, l’opportunité de se passer le moindre caprice, c’est après qu’on se serrera la ceinture, après même que ce caprice aura déçu, un voyage dont on nous avait fait rêver, un objet qui en rejoindra d’autres dans les combles, ou, sans comble, dans les poubelles de l’inutilité. Mais les restrictions nécessaires, même après la déception, n’en seront que plus douloureuses. Et si pour se consoler on court après d’autres chimères vantées, on finira par tout perdre. C’est ce qu’on appelle le progrès, et l’augmentation du niveau de vie. Et encore, n’y compte-t-on pas l’ineffable qualité de ce bonheur étiolé, vite oublié. Jadis l’acquisition était envisagée pour la vie, et chaque jour elle apportait son contentement, son aise qui même si peu à peu n’étaient plus conscientisés n’en étaient pas moins aise. Étant moi aussi à l’occasion susceptible de désirs fanfreluches mais n’ayant fort heureusement pas les moyens de passer mes caprices, je m’amuse à mesurer la pertinence d’un besoin en le laissant poireauter dans l’antichambre de sa réalisation, et, sans mentir, quatre vingt dix neufs pour cent d’entre eux disparaissent en quelques heures sans me faire souffrir le moins du monde. Une minute de rêve sur un catalogue ou devant une vitrine, et le bonheur a son compte. Le passage à l’acte n’est pas forcément la concrétisation d’un rêve ! En revanche chacun sait que c’est une pathologie, due à l’absence de surmoi, une pathologie qui peut se révéler très préjudiciable quand elle concerne autre que soi mais très préjudiciable à soi, - à la collectivité aussi parce l’objet-poubelle est né de l’esclavage, du pillage et entraîne pollution-. Le plaisir d’un instant se contente de l’idée tandis que sa réalisation est destructrice, car rembourser ce qui a été déjà consommé est vécu comme une injustice, vécue douloureusement, parfois même dramatiquement.
C’est sans doute pourquoi Niko Paech parle souvent de bonheur. La facilité n’est pas de ce monde, en tout cas, pas souvent. Quand le désir s’inscrit dans une authenticité, quand le projet s’inscrit dans une destinée, au moment opportun les choses se facilitent, et sont vécues avec bonheur. Mais quand il s’agit d’artifices provoqués par une humeur, la difficulté qui s’ensuit crée le malheur, même s’il est ignoré parce qu’il concourt au malheur des autres, même s’il est occulté parce qu’il participe d’une destruction progressive et inéluctable de notre environnement.
« Qui s’endette » dit-il, « pour revenir après paiement à sa situation de départ ? »
S’il semble encore efficient de s’endetter pour acquérir un véhicule nécessaire, ou un logement plutôt que payer des loyers, cela semble étrange dans une société où bouger tout le temps semble être le must, où l’on divorce, où l’on entrecroise ses familles et où, pour certains, les charges sont si lourdes qu’il leur faut brader ce fardeau devenu trop lourd et l’on distingue bien, dans le choix fait pour un type de maison, la sienne, neuve, mais identique aux autres dans le même lieu, l’entourloupe politique du « tous propriétaires » qui amène la spéculation sur l’immobilier, le rêve vendu par le cinéma publicitaire du « home sweet home ». On pourrait imaginer l’habitat tout à fait autrement sans créer de la précarité, encore faudrait-il que les yourtes et autres roulottes ne soient pas bannies de l’environnement comme les verrues disgracieuses des pauvres mal venus.
UN ENRICHISSEMENT CACHÉ
La PAC
« On disait autrefois : ça ne mange pas de pain, quand une dépense semblait raisonnable et ne nous privait pas de cette denrée essentielle. C’était une manière de rappeler le coût de la vie. Prenons sous cet angle l’exemple des subventions agricoles dans le cadre de la fameuse PAC. Leur but n’est pas de garantir à la population l’accès à la nourriture, il s’agit plutôt de diminuer la part de revenu consacrée aux dépenses alimentaires afin de libérer du pouvoir d’achat pour les smartphones, les vacances à l’étranger ou l’accès à la propriété foncière. Sans la PAC, personne ne mourrait de faim en Europe : au contraire, l’environnement et la santé s’en porteraient probablement mieux parce que l’agriculture biologique et les petites exploitations paysannes bénéficieraient de plus d’opportunités. Une chose est certaine néanmoins : les biens de consommation seraient nettement plus chers et l’alimentation représenterait une part plus élevée du budget. »
Toucher à l’alimentation, c’est ouvrir la boîte de Pandore, malbouffe, OGM, pesticides, huiles de palme, et toutes les maladies qui s’ensuivent, et tous les pillages qui précèdent. Toute l’inutilité des joujoux qui aliènent coûte cher en terme de dégradation du vivre ensemble, de l’intelligence des jeunes addicts, à la planète avec ses composantes « rares » et ses déchets « ultimes » ! De plus il suffit de voir où part la part la plus importance, gros céréaliers, ferme des mille vaches, Doux et consort, pour comprendre que la subvention (que l’on paye de nos deniers) n’est pas faite pour nos beaux yeux.
Dans « le travail, source de richesses ? », Niko Paech pointe du doigt la légitimation de l’exploitation du travail d’autrui, pour tous les travailleurs de chez nous qui méritent bien de pouvoir acheter un bien qu’un autre a construit pour un salaire de misère, mais qu’ils ne pourraient pas acquérir si l’autre avait le même salaire qu’eux ; la mondialisation est bien supportée par tous ceux qui méritent tous ces biens promus à forts frais de publicité, gratuite pour les publicitaires puisqu’il y a quelques années déjà, le montant du coût de la publicité en France était de 500 euros par personne ! Il est clair que les revendications salariales à l’ouest sont revendiquées pour plus d’exploitation à l’est. Mais chut… entre nous c’est la même chose, la petite employée paye la nounou moins cher qu’elle, et, quelque fois, c’est bien histoire de ne pas s’occuper de ses mômes tant les frais inhérents au monde du travail, déplacements, vêtements, repas à l’extérieur,etc, couvrent juste le pris de la nounou ! Mais c’est une autre histoire dont j’ai déjà parlé !
Bon, on n’en est pas au quart du bouquin ! Je ferai un autre article sur sa dernière partie, l’aspect politique, et propositions.
Je voudrais finir ici par sa dernière phrase du chapitre que je veux aussi garder pour ma fin :
Peut-on justifier un pillage sous prétexte que le butin est équitablement partagé ?