Se rassembler
par Octave Lebel
lundi 17 août 2020
Ce texte sera suivi d’un article en deux parties :
Aspirations et approfondissements démocratiques, France et Europe. Pistes de réflexion, pistes de travail (1 et 2).
Qui va imaginer que pour sortir de l’emprise progressive, résolue et déjà bien installée du néo-libéralisme sur les institutions et fonctionnements de notre société, nous n’avons pas besoin de toutes les forces politiques et sociales unies par un projet inscrit dans une coalition soumise au soutien, à la vigilance et au contrôle de l’ensemble de nos concitoyens ? Que seule une évolution institutionnelle incontournable pourra si ce n’est garantir du moins permettre. Pour être clair, nous avons besoin et au-delà si possible de toute la gauche, sortie des erreurs qui l’ont disqualifiée en profondeur au détriment de ses militants et de ceux qui pensent qu’ils n’y a pas de raison qu’une société pacifique, apaisée, plus juste, plus solidaire, plus profondément démocratique, plus rassemblée, soit envisageable dans notre pays et en Europe. Pourquoi cela devrait-il être hors de notre portée ? Une société dans laquelle l’entretien des facteurs de tension ne soit pas devenu un outil de pilotage parmi d’autres et le pain quotidien d’une certaine pratique de l’information.
L’engagement dans un projet contractuel (essentiel étant donné les trahisons et le double langage pratiqués pendant tant d’années) qui soit seul de nature à fonder une coalition solide et non pas l’inverse devient urgent. Il me semble que c’est là que se situe le centre de gravité qui peut faire basculer les choses. Sinon, nous aurons de nouvelles aventures électorales avec promesses et bouc-émissaires de circonstances, idiots utiles, vrais-faux opposants au premier tour afin de remplir au final juste ce qu’il faut les urnes et une robuste abstention en forme de désaveu.
De nouveau et encore des gouvernements dont la vraie performance consiste à savoir surfer au plus près des apparences légales à défaut de légitimité électorale et morale. Ils craignent le vote blanc qui n’est toujours pas comptabilisé dans les suffrages exprimés, c’est dire la confiance qu’ils ont en leur représentativité et les solutions qu’ils imposent. Bien entendu, ils ne se privent pas surtout pas de faire voter en catimini de nouvelles clauses juridiques, maillon après maillon, en imaginant désamorcer nos capacités de rébellion par la force des règlements et des astuces de communication tout en envoyant des signaux de connivence aux lobbies qu’ils servent. Ils espèrent pouvoir bousculer, brouiller et détourner nos aspirations démocratiques et éparpiller les énergies.Ils cultivent maintenant la confusion, les incertitudes et l’inquiétude issues de leur incurie à gérer avec sang-froid, méthode et transparence une crise sanitaire. Ils brandissent le levier de l’UE comme une épée magique qui devrait enfin tenir en respect la populace infantilisée que nous serions afin de la maintenir toujours plus éloignée de l’analyse en profondeur des causes, des effets et des responsabilités. Sans avoir conscience de l’image de club oligarchique désordonné qu’ils génèrent ainsi. Le projet d’un pôle européen partenaire mondial vaut beaucoup mieux que cela.
Des gens qui ont tellement rien à proposer, englués qu’ils sont dans les problèmes qu’ils ont contribués à faire surgir ou aggraver et à s’en défausser qu’il faut toute la puissance des médias pour les protéger du ridicule et du débrayage de plus en plus visible avec la société. Les fondateurs de la Vème république en auraient tirer les leçons depuis longtemps. J’avoue que je n’arrive toujours pas à comprendre qu’il y ait toujours autant de journalistes pour se prêter à cette mystification. Comment comprendre. Il faut manger et l’envie d’évoluer dans la carrière me semble être les motivations impérieuses pour le plus grand nombre. Faire passer aussi un peu de lumière quand c’est possible comme un baume pour la préservation d’un peu de sens à un choix professionnel, le maintien d’un peu d’amour-propre. Pour mémoire, en 2017, au premier tour de l'élection présidentielle, 659 302 électeurs ont voté blanc, soit 1.78% des 37 millions d'électeurs qui se sont exprimés. Le second tour fut une explosion du vote blanc puisque 3 millions de votants ont signifié leur refus de choisir entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron. Bientôt, maires et conseillers municipaux qui représentent entre 10 et 20% du corps électoral vont pouvoir légalement renouveler la moitié des mandats des sénateurs pour 6 années.
Et pendant tout ce temps perdu, la structure économique de notre pays se désagrège, son image internationale se dégrade, sa place dans l’Europe s’affaiblit encore un peu plus, sa cohésion sociale, culturelle et morale se délite.
La méthode éprouvée de nous opposer selon nos intérêts à courts termes et les incertitudes liées à tout changement important est toujours d’autant plus efficace que l’on entretient comme jamais le flou sur les données de la situation et les solutions proposées ou envisageables. Une dame de fer a bien réussi autrefois à faire exploser les capacités de résistance et de solidarité de son pays avec ce petit jeu de toujours mettre sur la défensive ses adversaires afin de les priver de construire collectivement une alternative crédible de gestion et de faire l’expérience difficile et laborieuse de se rassembler sur l’essentiel.
La stratégie de la montée du niveau de violence et du renforcement d’un encadrement sécuritaire qui contraint plus vite plus qu’il ne protège, le recours à l’intimidation et la dissuasion qui semble curieusement plus porter sur des mouvements sociaux généraux que sur des poussées d’assignations identitaires relèvent de la même filiation.
Dans cette perspective, se rassembler oblige à clarifier ses positions, écarte autant que faire se peut les opportunistes, contraint ceux qui ont des arrière-pensées à s’exprimer, permet un tri entre ce qui est possible et les réflexions non encore abouties, contribue à lever les préventions et les freins en les mettant en lumière, multiplie les points de vue afin de préciser les enjeux déterminants et les positions à trancher comme lorsqu’on améliore un alliage par affinage. Une dynamique élargie peut se développer alors. Cela nous protège aussi du joker des primaires où l’on se joue de nous.
Toutes les ambiguïtés seront des bombes à retardement que feront éclater au moment propice ceux que nous voulons combattre. Faire l’économie de la clarification ou parier sur des stratégies et agendas parallèles, c’est servir nos adversaires. Pour certains, c’est déjà se préparer à les rejoindre une fois leur travail de sape de nouveau accompli. Il y a ceux qui ne veulent pas le voir et d’autres qui préfèrent que l’on n’en parle pas. Ce comportement d’autruche convient essentiellement à des volatiles qui pèsent plus de 100 kilo et qui n’ont pas véritablement de prédateurs. D’autres encore se résignent sans toujours bien se l’avouer ou préfèrent la prudence avec l’inconfort d’incertitudes de plus en plus anxiogènes à la tension d’une conquête qui sera longue à conforter et dont l’aboutissement n’est pas garanti. Les combats non menés sont sans défaite en apparence mais non sans conséquence sur nos vies. Tous ces ressorts sont connus de nos adversaires et ils s’en servent contre nous.
Examiner sous cet angle les primaires de gauche et de droite lors de la dernière présidentielle est révélateur. Au fond, qui était encore une fois le grand dupe de ces mises-en-scène si ce n’est nous les citoyens instrumentalisés comme des porteurs de voix donnant un chèque en blanc permanent à des gens qui ne méritent pas de nous représenter et qui au fond n’ont jamais eu l’intention de le faire. Transformer un des moments forts de la démocratie en rituel de soumission, de caution à sens unique, de contrat dont la clause la plus importante n’est pas écrite. Il s’agit de légaliser le pouvoir de ceux qui s’en emparent afin qu’ils nous imposent sitôt élus au travers des institutions leur agenda caché, qu’ils puissent revenir sur des votes comme un référendum tout en détournant l’attention en en désignant d’autres qui feraient pire et qui servent de repoussoir bien pratiques. Il ne vous aura pas échappé que le terrible Viktor Orbàn (premier ministre hongrois) a voté pour l’actuelle présidente de la Commission européenne avec ceux qui pour se décerner un prix de vertu démocratique avaient besoin de se comparer à un homme politique en dehors de leur propre pays.
Il ne s’agit pas ici d’élire le bureau d’une association de riverains et son président. Il s’agit de refonder notre république puisque certains pensent que demander qu’un élu n’ait pas de casier judiciaire c’est juste symbolique et naïf sans comprendre que ce type de symbole inspire la vie quotidienne de la plupart de nos concitoyens et l’éducation qu’ils donnent à leurs enfants. Que contourner le vote d’un référendum ce n’est rien, qu’au contraire cette habileté est en quelque sorte l’art suprême de gouverner, approuvés et soutenus par ceux qui ont le privilège de faire vivre la liberté de la presse. Qui nous expliquent qu’ils incarnent providentiellement un nouveau monde dont la venue serait inéluctable et dont ils seraient les avant-gardes. On se croirait dans des séries fabriquées par des équipes de scénaristes anglo-saxons.Même artificialité, même univers factice dans lequel le peuple ne serait qu’une masse modelable à souhait par les moyens de la communication, les intrigues et coups de théâtre et le charisme de quelques uns. En oubliant qu’ils font partie de ce peuple et que, à partir d’un certain degré d’inefficacité, de parasitage et de nocivité, les peuples se révoltent et se débarrassent de ceux qui ont oublié qu’ils en faisaient partie et qui ne savent plus leur parler sans mentir. Puissions-nous le faire dans un mouvement de maturité démocratique avec toutes les composantes de la société qui ont une responsabilité dans le bon fonctionnement d’une démocratie.