Ségolène Royal, l’enjeu oublié

par machinchose
vendredi 2 mars 2007

Le fait pour Mme Ségolène Royal d’être une femme loin d’être un avantage, devenu un non-dit étonnant n’est il pas finalement son plus grand handicap ?

À propos d’Hillary Clinton, on pouvait lire dans le Figaro du 22 janvier 2007 : « L’ancienne First Lady connaît les lieux (de la politique américaine) et leurs périls, pour les avoir fréquentés pendant huit ans, dans l’ombre de son mari. Sa candidature est déjà historique, puisque jamais une épouse de président n’avait cherché à revenir à la Maison-Blanche par la grande porte. Jamais non plus une femme n’a été investie par l’un des deux grands partis. Et la galerie de portraits des 43 présidents américains ne compte que des hommes.  »(1)

En France la question est devenue interdite. On ne peut plus le dire encore moins s’en réjouir. La « féminitude » de Mme Royal (pour reprendre la formule de Nicolas Demorand, présentateur du « 7-9h30 » sur France Inter) loin d’être un atout est devenu non seulement un handicap mais en plus et surtout un non-dit. Si la candidate socialiste exprime sa féminité, on lui oppose son « scandaleux » positionnement en « mère », « madone » ou encore « infirmière ». Belle série de clichés d’ailleurs. M. Sarkozy a beau agiter ses petits poings, personne ne vient nous bassiner avec son coté « père fouettard ».
En France dans les deux camps, le fait d’être femme ne doit pas être dit. Mme Royal continue de l’assumer et de l’affirmer, mais elle est bien seule. Ne pouvant plus en faire un atout, elle en fait une simple réponse, et bientôt, devra s’en justifier.

Là encore. Voilà que l’on vient hurler qu’elle ne cesse de se « victimiser ». Qu’elle ne cesse de chercher des excuses. Des excuses à quoi ? Mme Royal mène déjà une meilleure campagne que son prédécesseur, Lionel Jospin.
Quand Nicolas Sarkozy (le spécialiste des « bureaux d’observations et d’attaques » de ses adversaires) se plaint à la télévision, qu’oser lui rappeler qu’il avait promis de donner son patrimoine sans le faire constitue de la « basse politique », aucun journaliste n’écrit de longs éditos ou tribunes sur sa posture victimaire scandaleuse, les forums et agora ne bruissent pas de milliers de commentaires sur cet homme qui se peint en victime.

Quand François Bayrou nous fait le coup du « regardez ils tapent sur moi », voilà les hordes de ses fans qui remarquent que Mme Royal et M. Sarkozy le critiquent, voilà l’hebdomadaire Marianne qui parle d’une « union sacrée » contre lui (2). Personne ne remarque pourtant qu’il s’agit d’une simple posture. Qu’en politique c’est tout de même la base d’opposer des projets et que si M. Bayrou ne l’accepte pas il vaut mieux peut-être qu’il se retire.

Mais en tant que femme, parce qu’enfin arrêtons de faire semblant de croire que ce n’est pas ce dont il s’agit, Royal n’a pas le droit de s’étonner qu’on lui demande encore si elle est compétente.
On opposera que si elle ne veut pas qu’on lui demande, elle a qu’à ne pas faire de « bourdes ». Mais quelles bourdes parle-t-on ? « L’héritation » ? « L’homme n’est pas une marchandise comme les autres ? » Les revirements inquiétants sur le porte-avion (en janvier c’est : « faut voir, ça se discute » et en février c’est devenu : « être contre est irresponsable » ? Les ahurissants « cafouillages » sur le chiffrage du programme (sur 5 ans, 10 ans ? Aujourd’hui on ne sait plus) ?

Non, tout cela est de Nicolas Sarkozy. Vous n’en avez pas entendu parler ou très peu ? Étonnant, non ? Bien sûr, il y a l’évidente connivence Médias / Sarkozy (3), mais je n’y crois pas à ce point.

Les médias savent retourner leur veste quand le vent tourne.
Simplement comme le faisait remarquer Olivier Duhamel sur France Culture le 28 fevrier, il y a pour le traitement de la personnalité de Mme Royal une sorte de doute « d’office », une réserve inconsciente qui n’est pas normale. Il n’est pas normal qu’elle soit obligé de décliner son Curriculum Vitae quand personne ne prend la peine de demander celui (bien moins glorieux il est vrai) de M. Sarkozy, personne ne lui demande même, à ce monsieur Sarkozy qui demandait à être jugé sur ses actes, et là c’est beaucoup plus grave, de justifier ses bilans après cinq années de pouvoir.
On demande à Mme Royal de nous dire si elle sait chiffrer un budget mais personne ne demande à M. Sarkozy pourquoi il n’a pas su (de l’avis même de M. Juppé qui jugeait son bilan en 1995 de « calamiteux » (4)) gérer le budget de la France quand il était lui même à l’économie et aux finances en 2004 ou ministre du budget en 1993.

Je pourrais multiplier les exemples, mais ce n’est pas l’objet de mon article. Il ne s’agit pas d’en rajouter dans l’idée que Mme Royal serait une victime. Ni même d’opposer des bilans ou des programmes. Je suis de gauche. Le débat n’est pas là.

Simplement je voudrais poser la question très générale et bien au-delà de la simple opposition des projets, du fait que nous sommes en France en position de porter à la tête de l’état, une femme.
Et qu’on ne vienne pas me dire que cela n’est pas du tout le sujet. Que ça n’a pas d’importance un homme ou une femme. Quand on parle des Etats-Unis, on parle d’Obama comme du « premier afro-américainafro-américain » (5) , d’Hillary Clinton comme de la « première femme ». Pour Angela Merkel on a également remarqué ce fait. Idem pour Mme Bachelet, de même qu’on avait remarqué les origines indiennes d’Hugo Chavez.

La question est d’importance. Il y a en France une misogynie en politique qui est bien connue et inlassablement dénoncée. Il y a dans la société civile française une incroyable inégalité homme / femme. Dire que cela n’a aucune incidence est absurde. Ce qui est valable à l’étranger est valable aussi en France. Ou alors il ne faudra plus parler de la couleur d’Obama ni du sexe d’Hillary Clinton. Et il suffit de l’imaginer pour réaliser qu’on manquerait d’office une part immense de ce qu’ils représentent symboliquement l’un comme l’autre.

J’ai le sentiment, qu’aujourd’hui, au delà des seuls programmes, on essaie de justifier le fait qu’on ne veut pas d’une femme, qu’on ne se sent pas prêt à l’assumer. Alors tout est bon.

Ainsi au départ on nous expliquait qu’elle n’avait pas de programme : depuis Villepinte, elle en a soudain trop et surtout plus personne ne s’intéresse au programme de M. Sarkozy et personne ne s’interroge sur l’incroyable légèreté du programme UDF. Maintenant sans qu’on sache trop pourquoi, elle est censée ne pas être « à la hauteur ». Trop de « gaffes » encore ?

C’est elle l’incident diplomatique avec le Japon pour cause de mépris de sumo ? Non. C’est elle l’incident diplomatique avec la Russie pour cause de serrage de « pogne » ? Non. C’est elle qui trahit son propre gouvernement face à un président américain en déclin ? Non. Pourtant c’est à elle que l’on fait le procès de l’incompétence.

Alors on vient nous parler de la couleur de ses vestes. Parle-t-on de la hauteur des talonnettes de M. Sarkozy ? Parle t on des postures paysannes -« gentleman farmer »- de M. Bayrou ?

Quoi d’autre ? Son programme n’est pas sérieux et elle ne parle pas de dette ? C’est pourtant elle qui a ouvert son discours de Villepinte sur ce sujet précisemment, elle qui a donné la première son chiffrage le plus détaillé, elle qui n’envisage pas de droit sans un devoir en contrepartie.

Va-t-on demander à M. Douste Blazy, lui qui ridiculise la France à chacun de ses déplacements, où se cache le fameux chiffrage « au centime près » du programme (introuvable) de l’UMP ?

Demande-t-on à M. Le Pen comment il finance ? Ce qu’il fait de la dette ? Il y a bien M. Bayrou qui en parle, bien sûr puisqu’il ne parle que de ça. La dette est le seul horizon de son programme.

Justement en parlant d’horizon, on reprochait à Mme Royal de ne pas avoir de vision pour la France. Maintenant qu’elle a donné un grand programme cohérent, avec lequel on peut ne pas être d’accord, plus personne ne dit rien. Surtout, personne n’a demandé à M. Bayrou qu’elle était sa grande ambition française, son grand projet, sa grande vision.

Ce qui m’apparaît de façon très frappante dans toute cette campagne, c’est que beaucoup de gens dans ce pays ne veulent pas saisir la chance unique que nous avons là de porter une femme, enfin, à la tête de notre nation.

Nous sommes historiquement un de ces pays qui ont interdit aux reines le pouvoir, nous sommes aujourd’hui celui qui se cache derrière toute une série d’excuses hypocrites pour dire : « nous ne voulons pas d’une femme ».

Ce n’est pas anodin, ce serait extrêmement fort, évidemment novateur, une vraie révolution politique. Les électeurs de droite s’en fichent, leur candidat est un homme. Je m’étonne qu’ils puissent voter pour celui-ci mais cela les regarde et je ne leur reprocherais pas de ne pas voter pour Mme Royal puisqu’elle s’oppose sans doute à leurs idées.

Le fait qu’elle soit une femme n’est pas une raison pour qu’ils votent pour elle.
Ce sont les indécis et les électeurs de gauche qui me déçoivent. Les vieux fonds de misogynie ne sont décidemment ni de droite ni de gauche et ils sont en train de gâcher une chance historique.


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