Ségolène Royal ou la France mise sous tutelle

par Bernard Dugué
vendredi 16 mars 2007

Deuxième temps fort de la campagne médiatique pour Madame Royal, le grand oral face à Arlette Chabot suivi d’un cocktail de débats avec des Français et quelques personnalités. Dès les premières minutes, on capte quelques traits de la personne, déclinés en je suis, je veux, je sais.

Je suis. Ségolène Royal a su en très bonne pédagogue se présenter dans sa manière de concevoir le chemin vers la présidence et se situer dans son être et son faire. C’est un bel exercice, un modèle d’entretien professionnel pour un poste de président de République au service de l’entreprise France, alors que Madame Chabot joue les chargées de relations humaines au vu au su de tous les téléspectateurs.

Je me soucie de l’efficacité. Là, aucune hésitation. Se porter en garant de l’efficacité est le credo incontournable de tout responsable institutionnel, et forcément, de tout dirigeant d’entreprise. Que ce souci devienne une priorité des politiques est une nouveauté mais préparée depuis deux décennies. Les sociétés occidentales ont perdu la tradition antique, le souci de l’âme, au profit du souci des moyens. Sur ce point, Royal est sur la même ligne d’horizon que Sarkozy. La divergence porte sur les ressorts et leviers anthropologiques pour y parvenir. Sarkozy admet (voir mon article sur l’égarement) que l’efficacité du capitalisme repose sur l’attention portée au spirituel. D’où un plan à la Renan. Pour Royal, un individu est efficace dans le système s’il se sent sécurisé, encadré par une instance (l’Etat) assurant cette fonction de solidarité. C’est clair, c’est son choix, c’est celui du socialisme. Elle a d’ailleurs précisé (21 h 30) son point de vue en assurant que la lutte contre la précarité va de pair avec l’efficacité économique. Rien de bien nouveau sauf la priorité de l’efficace.

Je sais. Madame Royal sait ce que veulent les Français. Elle peut le revendiquer d’autant plus qu’elle a été présente à quelques débats participatifs et qu’on lui a apporté des notes de synthèse. Mais nous ne sommes pas obligés de la croire, et selon moi, le peuple français n’existe pas, mais chaque Français est une réalité. Rien ne permet de penser qu’il existe un désir général des Français. C’est une illusion à la Rousseau, comme ce pacte présidentiel proposé par Royal, dernier avatar on l’espère de l’incarnation d’un contrat social impossible. Le seul pacte qui soit à la fois chemin et dessein est le pacte avec la Liberté, dans une société aux règles du jeu équitable. Equité et liberté, voilà deux notions qui font cruellement défaut aux propos de Royal.

Je suis l’élue. Au passage, on se demandera si l’autocélébration du caractère spartiate de la gestion locale conduite par la Zappatera du Poitou est légitime, car aux dires des journalistes de terrain, étrangers notamment, Madame Royal se comporte plutôt en dame dépensière, l’augmentation des impôts locaux l’attestant. Mais on ne pourra que la féliciter pour sa mise au point (21 h 40) sur les gaspillages et les doublons dans les emplois de fonctionnaires locaux et nationaux, sur les recouvrements de compétences, et sur sa volonté de rééquilibrer la fiscalité sur le capital et le travail. De belles intentions qui, sur les moyens, restent incertaines. Madame Royal n’est pas une mauvaise candidate, mais elle n’a rien d’une héroïne de l’histoire.

Autopersuasion. L’impression générale laisse planer quelques doutes sur l’aptitude de Royal à mordre dans le réel mais ne dément pas la thèse d’une dame qui use et abuse de la méthode Coué et de l’autopersuasion, affirmant contre toute raison qu’elle est la candidate dont la France a besoin au point qu’elle puisse se présenter en servitrice des intérêts nationaux, y compris à l’échelle planétaire. Elle a un Devoir de victoire, énonce-t-elle ! Comme si elle était l’élue d’un dessein national, incarnant la dame providentielle dont l’époque a besoin.
Le reste de l’émission n’a rien apporté de tangible, que des banalités, sauf à mettre en évidence la fébrilité incohérente de Madame Royal pour résoudre des tas de problèmes en mettant des moyens (que la réalité limite) partout mais sans faire de choix, pour apporter des solutions à des revendications illégitimes, bricoler de fausses solutions pour les enseignants dans un contexte où l’éducation est en pleine déchéance, par la faute des pédagogues, des IUFM et d’un modernisme délétère dont s’est emparé le PS en le prenant pour un progressisme forcément de gauche. Et donc, Madame Royal est autant égarée que Monsieur Sarkozy. Les vrais problèmes, les priorités essentielles n’ont pas été évoquées. La crise de civilisation poursuivra son cours, que Sarkozy, Royal ou Bayrou soient élus. Il reste à choisir le candidat offrant le plus d’ouverture dans cette société égarée.
Après ce constat du délire médiatico-politicien, je propose aux lecteurs cette conclusion sur la prestation de Ségolène Royal chez PPDA, pour compléter le tableau et achever mon devoir de critique politique. Je ne retire aucune ligne et réitère mon avis sur le fond bureaucratique et « doucement soviétiste » incarné par le credo socialiste et son incarnation à travers une candidate qui veut tout régenter et met la société entière sous sa coupe, les uns aidés moyennant conditions, les autres devant rendre compte, banques, entreprises, jeunes, etc. Bref, un garde-à-vous généralisé complètement déplacé, maréchale nous voilà, révélant l’idée que le PS se fait de gens irresponsables devant être mis sous tutelle par la gouvernance Royal. Là les choses sont claires. Il y a du pétainisme social très moderne chez Sarkozy autant que chez Royal.

Madame Royal sur TF1 le 19 février

En conclusion, on pourra résumer la vision de la France proposée par Madame Royal. Sur le fond, une parenté évidente avec le candidat UMP sur l’effort, le travail et la récompense qui va avec. La différence, c’est la mainmise de l’Etat sur toutes les activités, avec une foi indécrottable dans le bon sens de l’administration et de l’inspection. On reconnaît là la touche de l’ENA. Inutile de nous voiler la face. La prestation de Ségolène Royal fait penser à un oral de concours de la fonction publique quant au contenu, il nous renvoie à l’époque du plan. Sauf que la société est devenue complexe, les gens, autonomes, et qu’on ne peut décréter ni la croissance, ni la compétitivité d’une entreprise, (en y ajoutant par exemple un docteur en science payé six mois par la collectivité) ni planifier l’existence humaine, au nom d’un parcours formalisé, le même pour tous. Et pour finir, retour à l’esprit de Sarkozy consistant à reconnaître essentiellement le faire, laissant de côté l’être, et de ce fait, récompensant l’effort. La différence ne porte pas sur la fin mais sur les moyens. Le travail, la réussite de l’entreprise, l’effort, sont récompensés préférentiellement par l’économie privée et le marché si on prend la carte Sarkozy, alors que l’Etat y va de sa poche si on choisit l’option Royal.
Raymond Aron disait de la France qu’elle est une sorte d’Union soviétique qui a réussi en restant une république démocratique. La prestation de Ségolène Royal nous ramène aux années 1960, avec une nation sous tutelle technocratique (héritage de Colbert et du Roy ?) C’est une erreur de positionnement évidente. Ce n’est pas en revenant en arrière qu’on pénètre dans l’avenir et l’espérance. Les électeurs de 2007 sauront le lui faire savoir.


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