Ségolène Royal, victorieuse au premier tour ?

par Elise Mark-Walter
jeudi 16 novembre 2006

C’est aujourd’hui le jour du grand dénouement des primaires socialistes dont nous n’aurons les résultats définitifs que demain matin. Celle que l’on n’appelle plus que « Ségolène » triomphera-t-elle dès le premier tour ou devra-t-elle patienter, tourner un tour de plus quitte à ce que ses adversaires, davantage que camarades, jouent leur va-tout pour la pôle position ? L’issue du scrutin n’intéresse pas que les militants. Tandis que l’on murmure : « La victoire socialiste en 2007 est-elle seulement possible sans elle ? »

Laurent Fabius - toujours the third man - a exprimé des doutes hier soir au 20 heures quant à « la sincérité du scrutin », estimant que certains électeurs pourraient ne pas voter sincèrement. C’est-à-dire ? Que leur vote serait dicté par les sondages plus que par leur choix d’un programme ? Quel mépris en notre capacité de choix ! Quelle faible confiance en notre esprit critique !

Pourtant tout a été plus une question de positionnements et de personnes que de différences marquées de programmes. Et finalement, heureusement, les candidats à l’investiture se revendiquent du même parti.

Fabius, véritablement le seul homme d’Etat, le seul du tiercé à avoir jamais dirigé un gouvernement, avec son allure d’esthète, de technocrate brillant, Laurent Juppé de gauche, n’a pas réussi à convaincre qu’il était aussi à gauche que sa campagne pour le non aux élections européennes cherchait à le faire croire. C’est pourtant celui dont les positions ont influencé le plus notablement le programme socialiste. Quant à l’universitaire Dominique Strauss-Kahn, il peut brandir son siège d’élu à Sarcelles, il ne convainc personne. C’est le people de l’équipe dont le siège de campagne est généreusement financé par son épouse Anne Sinclair, l’ancienne star du journalisme politique, animatrice de 7 sur 7, avec les indemnités de TF1. Il dépare moins dans son riad au Maroc que dans la réalité bien peu glamour de Sarcelles.


Le même, un rien mégalo, qui cherche à accroître le rôle déjà suffisamment monarchique du président de la République dans notre institution.

Ségolène Royal, surmédiatisée il est vrai et attendue au tournant du couac par tout le monde, a honorablement défendu sa position de n°1 au classement de l’AFP...

Ce n’était pas l’oratrice fabiusienne, précise, exacte, ni l’hédonisme mâtiné de pédagogie élitiste de Strauss-Kahn ; mais de pédagogie justement, elle n’en manque pas. Son talent : vulgariser les sujets les plus complexes pour les rendre accessibles au plus grande nombre. Puiser ses idées dans une politique de terrain. Se rapprocher des électeurs, de leurs points de vue, chercher à les entendre, sans pour autant se transformer en star des salons agricoles. Et plus que jamais imposer son pragmatisme. On ne se gausse plus de la présidente de Poitou-Charentes, on envie sa politique écologique, sa compréhension populaire, son pragmatisme. Pire. Elle innove quitte à formuler des propositions bonnes sur le principe mais insuffisamment cadrées et manquant de maturation. Ainsi elle proposa un axe de réforme institutionnel : la démocratie participative.

Au moins ose-t-elle ! Et elle aurait tort de s’en priver, ses «  compagnons » laissant les débats s’organiser autour d’elle. Stratégiquement imparable. Mais est-ce seulement le fait de la stratégie, ou parce qu’elle déborde d’idées et d’une modernité dans son approche politique non feinte ? On la dit « opiniomane » quand elle cherche simplement à dépasser les filtres entre le peuple français et ses représentants sans pour autant délégitimer la démocratie participative. Juste à la rapprocher de ceux qu’elle représente à une ère charnière où les médias du wWeb 2.0 ont rendu patent le clivage entre les citoyens et les différents pouvoirs.
Dernier argument capital, elle ne semble pas briguer le pouvoir pour le pouvoir. Elle incarne une autre vision du chef d’Etat, une autre façon de gouverner.

En phase avec la société, elle a su s’emparer du blog mieux que les autres avec Désirs d’avenir.

Comme elle a osé lors du dernier meeting « fendre l’armure », pouvait-on lire dans la presse, et présenter sa candidature comme celle qui ferait avancer les femmes, victimes encore de bien des discriminations qu’elle n’a pas hésité à énumérer.
On lui a assez reproché de jouer de ses tailleurs, mettant en avant une silhouette plus à même d’être en couverture de Elle, que DSK ou Laurent Fabius.
Et alors ? Ce n’est qu’une juste revanche, et un biais pour retourner la misogynie dont elle a été victime d’emblée, dès que sa candidature fut annoncée.

En triomphant peu à peu de tous les traquenards, de toutes chausses-trappes et phrases vipérines, Ségolène Royal a su faire preuve de flegme et surtout investir "le costume". Aujourd’hui, son charisme est indéniable. C’est sans doute sa plus belle victoire.

Certes, l’éclosion en plein mois de novembre de la vidéo pirate de son discours sans fard sur les enseignants lui mit des plombs dans l’isoloir - et c’était bien l’effet escompté - mais pas assez sans doute pour lui nuire tout à fait. On en pense ce qu’on en veut, le procédé est lâche. Au mois où les arbres les plus majestueux se déplument, les feuilles mortes ne seront pas celles que l’on croit.

Le soupçon de manipulation retombe sur DSK puisque c’est son entourage qui aurait rendu public ce qui avait vocation à demeurer privé. A la question cluedo de "à qui profite le crime", on est pourtant tenté de répondre : à Nicolas Sarkozy. Puisque Ségolène Royal est sa seule adversaire en mesure - du moins dans les sondages - de l’emporter contre lui. La seule qui se risque également sur le terrain sécuritaire ; sans chercher à attiser la peur, à jouer la carte du tout répressif, se positionnant en mère de la patrie responsable, à la fois indulgente et implacable. Une image qui séduit.

Du suspense, il y en eut et il y en a encore : un signe à Jean-Pierre Chevènement, un autre au présentateur vedette d’une marque de gel douche. Comme on peut déplorer, sans en être surpris, que tous les coups soient permis à l’intérieur même d’un parti, et cependant peu importe. Le PS, en acceptant les règles du jeu clarifiantes des primaires, a indéniablement marqué des points ; ne serait-ce que grâce à la visibilité médiatique de son programme. Ses adversaires devront songer à prendre le même risque - à ce sujet, parenthèse : pourquoi après chaque débat, un élu de droite était-il invité à  le commenter sur le plateau de la chaîne parlementaire ? Sans avoir la pudeur de tempérer le sarcasme.
Car encore faut-il pour souscrire à l’exercice trouver des adversaires ; Nicolas Sarkozy, pour l’instant candidat unique de l’UMP, ne pourra pas faire son one man’ s primaries, ça ne prendra pas. Mais Jacques Chirac n’a sans doute pas dit son dernier mot.


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