Service militaire : le modèle suisse

par Desmaretz Gérard
jeudi 27 mars 2025

Au cœur de la Guerre froide, la Confédération helvétique était capable de mobiliser en quarante-huit heures 500 000 miliciens et près de 400 000 personnels de la Protection civile. L'effectif a atteint son point culminant en 1962 avec 880 000 hommes pour une population d'environ 6 millions avec près de 15 citoyens-soldats au km2, encadrés par 2 000 officiers et sous-officiers de carrière ! La dissuasion suisse a toujours reposé sur un « prix d'entrée trop élevé ».

En Suisse, ce sont les populations des cantons qui ont rejoint la Confédération de leur plein gré et non un Etat qui le leur a imposé. Au XIII° siècle les paysans des cantons d'Uri, la patrie de « Guillaume Tell », Schwytz et Unterwald décident d'unir leurs forces afin de défendre leurs droits sur les vallées desservant les routes vers le sud de l'Europe. En 1386 les Habsbourg sont défaits. La victoire des Suisses à Morat permet au roi Louis XI de régner sur un royaume unifié. Après la victoire de Marignan (1515), la France garantie l'indépendance aux helvètes à condition de lui fournir des mercenaires...

Vingt-six cantons vont se fédérer au fil des siècles et aboutir à une Confédération dans laquelle on parle le schwyzertüsch (germanophones), le français, l'italien et le romanche. Le Valais, Neuchatel et Genève furent les trois derniers cantons à rejoindre la Confédération en 1815. La Suisse est une démocratie directe et non parlementaire, il suffit qu'une pétition réunisse 100.000 citoyens pour qu'un projet de loi soit soumis aux votations dans toute la Confédération. Dans quelques cantons alémaniques des « irréductibles qui n'ont rien oublié du serment du Grütli : « Nous serons un peuple de frères que nul malheur et nul danger ne séparera. Nous serons libres comme nos pères l'ont été ; plutôt la mort que l'esclavage  », votent la baïonnette à la main.

La Confédération ne dispose pas d'une armée permanente, une loi de 1850 définit le principe d'un service militaire court. Le conscrit milicien est incorporé dans une école de recrues pour 17 semaines (classes) et perçoit une allocation de compensation pour perte de gain (69 Fch/jour ou 80 % de leur dernier salaire). Sa première période terminée, le soldat- citoyen rentre chez lui avec son paquetage, son fusil d'assaut et munitions de poche (24 cartouches). Il relève désormais d'une unité de troupe de choc (grenadiers) ou d'armée de campagne dans laquelle il accomplira ses périodes militaires. L'employeur qui licencierait un milicien effectuant son temps encourt une condamnation et à lui verser six mois de salaire. L'armée d'Elite accueille les jeunes hommes âgés de vingt à trente-deux ans pour accomplir huit cours de répétition de 20 jours entrecoupés de séances annuelles de tir et d'inspection du matériel pendant douze années.

Une recrue sur 5 environ est retenue pour « galonner » et un caporal sur 4 est retenu pour une école d'officier. Les appointés (première classe) admis et les caporaux suivent 8 cours, les sergents et sous-officiers supérieurs 10 cours (4 semaines). C'est l'autorité militaire qui retient ses officiers parmi les recrues. Le passage par l'Ecole d'officiers c'est deux stages de 17 semaines. Chaque grade est suivi d'un stage de « paiement de galons » (17 semaines), et chaque cours de répétition est précédé d'un cours de 3 jours pour les sous-officiers, 4 jours pour les officiers.

De trente-trois à quarante-deux ans le milicien est versé dans la « Landwerhr » et affecté : aux troupes frontières, de forteresses ou au « réduit ». Les appointés et sous-officiers suivent 3 cours complémentaires de 13 jours, ou 2 cours de 20 jours, ou 5 de 6 jours. Le milicien âgé de quarante-deux à cinquante ans rejoint ensuite la Landsturm ; soldats, appointés et sous-officiers suivent 2 cours de 6 jours, ou 1 cours de 13 jours et accomplissent deux séances d'entrainement de deux semaines. Leur service terminé, de nombreux Suisses se portent acquéreurs de leur arme et rejoignent la Défense civile.

Les femmes âgées de 18 à 35 ans peuvent rejoindre le Service Féminin de l'Armée et effectuer l'Ecole de recrues du SFA , durée 27 jours, 117 jours avec les cours de répétition. L'obligation se termine à 50 et à 55 ans pour les officiers. Les adolescents âgés de 16 ans peuvent suivre les « Yungschützekurse " (cours de tir) dans les stands de tirs communaux. Plusieurs milliers de jeunes hommes qui occupent des postes clefs sont dispensés de service.

Un soldat se bat d'autant plus farouchement qu'il sait les siens à l'abri. En 1969 chaque ménage reçoit un livre qui reprend les couleurs du drapeau national, couverture rouge avec, titre Défense civile en blanc ; chaque foyer français va en recevoir été 2025, inspiré du modèle suédois... Tous les résidents inscrits sont éligibles à une place dans un abri anti-atomique et à une carte de rationnement. La Suisse compte 270 000 abris familiaux mis en place depuis 1963 subventionnés à 50 %, et 3 500 constructions protégées.

En temps de paix, l'Armée suisse n'a pas de général, celui-ci est élu par l'Assemblée fédérale lorsqu'il y a une levée de troupes. Le livret de service (livret militaire) indique le lieu de mobilisation, les transports publics à disposition, le lieu de rassemblement, et la position à occuper. Tout Suisse qui s'absente hors du pays plus de 6 mois doit se présenter au consulat avec son livret de service. Le refus de servir reste passible de 3 années d'emprisonnement. En 1976 la Confédération connaît l'affaire des fiches... Le 4 décembre 1977 la population rejette l'initiative visant l'instauration d'un service civil.

La mobilisation déclenchée, seules les stations nationales ont le droit d'émettre. Toute autre station ne peut être qu'une station adversaire ou clandestine. L'armée de terre (580 000 hommes) comprend trois corps d'armées : une division d'infanterie, une blindée (840 chars Centurions et Panzers), une frontalière (23 brigades dont 3 de forteresse et 3 de réduit) ; un corps d'armée de montagne à trois divisions ; l'aviation 1 brigade avec 350 appareils (600 pilotes), 1 brigade d'infrastructure assure le fonctionnement et l'entretien des terrains de fortune et abris « sous roc » ; la défense : 8 régiments, 45 000 hommes.

L'armée suisse est une armée défensive et de nombreux Helvètes ont en charge la mise à feu de 2 000 ouvrages d'art minés : autoroutes, points de passage obligés, ponts, tunnels, viaducs, barrages, cols, défilé, etc. Le 23 juin 1973, le rapport du Conseiller fédéral énonce qu'une « Guerre totale exige une défense totale » (titre des livrets du major H Von Dach publiés en 1957).

La Suisse enclavée ne produit que 50 % des denrées alimentaires nécessaires. La Confédération se doit d'envisager de vivre en autarcie pendant plusieurs mois ; les zones cultivables sont étendues à 450 000 hectares et le rationnement prévu à 2500 kcal. Le Conseil fédéral peut interdire la circulation en dehors des villes et villages afin de faciliter le transport des troupes. L'armée qui dispose de 27 000 véhicules a la possibilité de réquisitionner 123 000 véhicules d'entreprises, et l’interdiction des véhicules civils de se ravitailler aux pompes. Des pourparlers avec des armées de l'OTAN sont envisagés.

Les Suisses sont passés maître dans l'art de la dissimulation et du camouflage des constructions. Certaines villas dissimulent des mitrailleuses, voire des canons dans leur soubassement ! Le territoire dissimule plus de 600 installations souterraines : batteries, casernements, bases militaires, DCA, stocks d'armes, de munitions et de vivres renouvelés tous les deux ans, six mois de réserve de carburant.

Le système soviétique s'effondre le 9 novembre 1989 avec la chute du mur de Berlin. Le 25 décembre 1991 le drapeau rouge frappé de la faucille et du marteau flottant sur le Kremlin est remplacé par le drapeau à bandes horizontales blanche, bleu et rouge. La jeunesse aspire à la modernité. Les effectifs suisses passent de 800 000 à 350 000... Le Projet 1995 prévoit une réduction à 120 000 militaires d'active (4 000 professionnels, 1 000 contractuels, 20 000 recrues et 80 000 réservistes). La déroute des blindés russes à Grozny (Tchétchénie) en 1995 marque un tournant dans tous les États-majors occidentaux. Les Suisses créent un village d'une trentaine de bâtiments à « Nalé » dans le Jura (place d'Armes de Bure) destiné à l'entrainement des troupes mécanisées en milieu urbain. Cette installation de troisième échelon peut accueillir une compagnie (premier échelon technique individuelles, deuxième une section).

Entre 1990 et 1999 les prestations en jours de service sont passées de 12 millions à 6,5 millions. Le projet Armée XXI (2004) à 11 brigades et à 100 bataillons prévoit la libération des soldats à 30 ans, la réduction des effectifs de la Protection Civile de 280 000 à 120 000 personnes, et de porter le passage par l'Ecole de recrues de 18 à 21 semaines (selon l'arme concernée) au lieu de 15. Adophe Ogi : « Notre politique de sécurité doit changer, parce que le monde et ses dangers ont changé ». Edouard Bruner : « Il faut savoir ce que l'on veut. Si on veut une défense adaptée aux dangers qui nous menacent, ça va coûter ». En 2004 un projet classé « Secret Défense » circule à l’État-major, 50 000 hommes appartenant à l’Élite seraient répartis en 50 bataillons qui dépendraient de 3 ou 4 brigades... Le tunnel du Sonnenberg (Lucerne), capacité d’accueil, 20 000 places est fermé en 2006, l'obligation de construction d'un abri dans chaque villa disparait au mois de juin 2009... Les bunkers fédéraux sont maintenus, ils pourraient servir en « cas de menaces existentielles et d'attentats terroristes ».

L'Armée suisse comme d'autres Armées européennes est « à l'os ». «  En cas de guerre, seul un tiers de l'armée suisse est capable de se battre  ». De 1962 à 2022, les effectifs de l'armée sont passés de 880 000 à 140 000. En 2024, le chef des Armées (Thomas Süssli, a proposé de faire passer l'Armée de 100 000 à 120 000 soldats et de recruter des militaires « qui ont déjà terminé leur service, mais qui resteraient incorporés plus longtemps  ». Il s'agirait de militaires âgés de 27 à 35 ans. Le conseiller national Thomas Hurter de faire remarquer : « Depuis la suppression de l'examen de conscience pour le service civil, il y a une liberté de choix entre le service militaire et le service civil (2003). Ainsi, environ un quart de chaque nouvelle classe d'âge astreinte au service opte aujourd'hui pour le service civil ». En 2023 l'effectif réel était de 147 000 personnes.

Les déclarations du versatiles président Trump ont relancé le débat sur le retour du service militaire obligatoire. Le Président Macron, chef des Armées, a annoncé une refonte du service national universel : « A partir du moment où on est allé vers la professionnalisation de nos armées, focalisées sur l'opérationnel, les réemployer pour encadrer 800.000 jeunes n'est absolument pas un schéma opérant ». Le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, incline vers une réserve militaire à 100.000 personnes, soit un réserviste pour six militaires d'active contre « un réserviste pour deux militaires d'active » actuellement. Chouette ! un FASS nonante sous le sapin, l'ouverture de nombreux pas de tir, les munitions subventionnées, l'instruction « tir de combat », le retour de la DOT, de Rose des vents (P-27 en Suisse) et de la ST pour contrer la cinquième colonne azuréenne et la compagnie « monégasque »... Une correction, une précision, une remarque ? 

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