Servitude
par alinea
lundi 4 février 2013
On parle beaucoup de servitude volontaire ces temps-ci, mais on oublie de nous définir la volonté ; on oublie dans le même temps de nous dire que la contrainte psychique, tout en étant moins visible et en laissant quelques champs aux errances, est aussi efficace que le pistolet sur la tempe. Plus.
Dans une société bien ordonnée, la classe majoritaire que constitue le peuple, a acquis et intégré l'évidence de sa position or, comme tout homme a besoin de dignité, il se débrouille pour la trouver où qu'il soit. Les choses auraient pu durer longtemps encore si les exploiteurs ne s'étaient pas avisés d'en demander toujours davantage : laissant sur la touche un nombre croissant de gens et pressurant de plus en plus ceux qui réussissent à se maintenir dans le système, considérant mine de rien comme un privilège le fait d'être contraints plutôt qu'éjectés, la belle ordonnance se délite, le bel équilibre se fissure et le mal-être est partout.
Mais :
Tant qu’il y aura une seule personne flattée de servir le président, être le chauffeur d’une star, torcher leurs gosses, tant qu’il y aura une seule personne qui mettra une quelconque valeur ou de la fierté à la servilité, il n’y aura pas de changement de société. La dignité des pauvres a été si longtemps de bien servir les puissants que l'on ne s'en sort pas comme ça ; on ne remplace pas ce plein par un vide et ce plein est devenu incorrect.( cette forme de dignité n'est plus conforme aux valeurs morales actuelles).
Les riches ne sont riches que de ceux qui les servent.( l'emploi de domestiques et de services à domicile est la plus importance source d'inégalités).
Tant qu’une personne se laissera déplacer par une autre comme un pion parce qu’elle est flattée d’être ministre, secrétaire d’État, ou Directeur de quoique ce soit, petit pion flatté et bien payé qui ne garde de sa dignité que l'apparence, il n’y aura pas de changement de société.
Le pouvoir n'existe que parce qu'on le courtise.
Tant que l’humain grégaire se constituera en élites et petites mains au service de l’élite, il n’y aura pas de changement de société.
Le pouvoir et la richesse n'existent que parce que la masse les convoite.
Or, depuis peu, il y a du mouvement ; comprenant que nos supérieurs ne le sont pas vraiment, chacun décide de tenter sa chance dans l’expression de soi, dans la quête de reconnaissance, si possible rémunérée. Fleurit ce qu’il est convenu d’appeler « arts » ou « culture » sous toutes les formes traditionnelles, plus d’autres modernes. Mais contrairement à l’art et à la culture, rien n’est humble, rien ne tisse un lien entre le divin et le profane, rien ne transcende notre médiocrité, ce ne sont que des talents plus ou moins originaux, plus ou moins plaisants qui envahissent nos ondes, nos scènes, nos rues, nos musées, nos librairies…et chacun se veut être centre d’une élite, ce singulier tant convoité. C’est une loterie ; c 'est le hasard qui propulse aux faîtes de la gloire et de la fortune. Le talent vient après, parfois. On se demande si les intéressés ne se grattent pas la tête pour savoir ce qu'il pourraient bien faire ! Aux vues des résultats de la plupart d’entre eux, c’est plausible.
Notre société pousse à l’individualisme car il est seul à fabriquer une multitude de consommateurs, cependant, dans l’exploitation qui leur est faite, ils sont tous interchangeables, insignifiants ! Le paradoxe tient tout entier dans cette insignifiance, de toute éternité, et cette importance factice et vendue de manière hypocrite. Qui suis-je ? Insignifiante ou unique ? Comment équilibrer cet antagonisme ? Bien malin celui qui se retrouvera.
La consommation n’est qu’un pis-aller, une manière compulsive de remplir le vide en nous et si ce vide est notre condition d’humain, peut-être faut-il commencer par vouloir le définir.
La suffisance et l’arrogance de l’humain se sont amplifiées ces dernières décennies en un éclatement d’individus qui crient et s’agitent pour obtenir une première place. Tout ceci, naturellement, encouragé par un néo-libéralisme qui se trouve bien content de cette foire d’empoigne : l’aveuglement de chaque petite personne est la perdurable garantie de sa tranquillité. Que les acteurs de cette pantomime ne se rendent compte de rien, voilà qui est un mystère !
La servilité a deux faces : servir sans amour (ce qui l’oppose au dévouement) et être servi parce qu’on le vaut bien ! Celui qui refuse de servir parce qu'il le vaut bien et veut changer de camp reste prisonnier de ce schéma : la seule dignité réside dans l’autonomie totale, le service n’étant qu’un acte gratuit de civilité, d’amitié ou d’amour.
On peut imaginer une répartition des tâches qui ne soit pas une monotonie adjugée pour la vie et garder le service aux valides comme une activité exceptionnelle. Caser toute une armée de nos concitoyens dans des emplois sans qualification – et sans espoir d'en acquérir aucune dans cet emploi- est le nœud responsable d'une société indécente. Si nos désirs s'érigent vers une organisation sociale plus proche du respect de l'autre et de la nature, soudain s'offre à nous tout un panel de tâches à accomplir, qui nécessitent responsabilités et savoir-faire. Ne pas faire tout pour y accéder est l'aveu des dirigeants de garder le peuple dans une friche qui pourtant deviendra une décharge, de plus en plus violente. Les besoins ne manquent pas et les idées qui fusent ça et là devraient bien vite être prises au sérieux.
Le progrès est d'être passés d'une société d'exploiteurs et de prolétaires à une société de maîtres et d'esclaves !
Que l’absence d’alternative, pour l’instant, nous obligent à nous satisfaire de compromis , n’interdit pas de remettre en cause cette manière de faire. Acceptant de « servir la personne », l’homme ou la femme décide de nicher sa dignité dans une guerre sourde ou sournoise à son employeur, cherchant toutes les failles possibles pour « se servir » : congés, accidents du travail, mise aux prud’hommes, etc. Cet état d’esprit interdit toute relation humaine fondée sur la confiance. Et c’est bien normal, entre l’employeur exploiteur et l’employé retors il y a peu d’espace pour le juste.
Aujourd’hui, la malhonnêteté d’un domestique (ah ! le joli mot !) fait montre d’un fort potentiel révolutionnaire, d’une grande acuité de justice ! Où allons-nous avec ce choix ? Nulle part, l'aquarium devient de plus en plus petit quand chacun se fait croire qu'il est dans la mer ! Nous voici donc rendus à une situation de faux-semblants, de faux-fuyants ; passage obligé, sens unique, ce n'est pas une impasse, il faut continuer !
Il faut bien arriver à vivre heureux ou à tout le moins à « avoir une vie » dans ce cirque, mais que cela n’empêche pas d’être conscient de l'artifice !
N’oublions pas qu’il fut un temps où les domestiques tenaient la chandelle pendant que Monsieur et Madame batifolaient dans leur lit ; aujourd’hui, on ne fait plus cela devant son chien. Viendra un jour où il sera inconcevable de se faire servir. Mais cela ne se fera pas tout seul : il faut déboulonner la servitude en l’homme, et l’exploitation partira avec elle ; car la servitude n’est pas la conséquence de l’exploitation mais sa cause et elle ne relève pas seulement du social mais aussi de l’intime .
Et quitte à parler cul, il est vrai qu’aujourd’hui, certains de ceux qui n’ont ou ne trouvent rien à donner ni à créer, s’ébattent volontiers devant des caméras privées qu’ils diffusent sur le « Net » ! Mais cela n’a rien à voir ; jadis la servante n’avait pas plus d’importance qu’un meuble, par le mépris que l’on avait de son humanité, les aristocrates n’avaient rien à craindre de jugements ou de bavardages de la part d'un meuble ! de plus, la « chose sexuelle » n’avait pas, ni le même rôle ni la même force transgressive qu’elle a aujourd’hui. Transgresser l’intimité de l’acte sexuel, se montrer dans tout ce qu’on peut imaginer d’audacieux ou de pervers fait figure de nos jours de provocation excitante, voire de création : l’autre est prévu pour regarder et c’est ce regard qui justifie l’action ; les servantes pouvaient bien regarder, les uns et les autres n’en avaient rien à faire !
Il semble cependant aussi impossible aux uns et aux autres protagonistes de cette malédiction de recevoir l’illumination : notre société est bel et bien ancrée toute entière dans cet état comme furent les sociétés antiques basées sur l’esclavage.
Mais rien de ce que instaure l’homme n’est irrémédiable !
Passons donc notre besoin de sens, du service à une personne au service de tous ! Soignons le bien commun, le bien-être de tous.
Il y a presque quatre ans, j'avais entendu une information ; voici ce que j'en disais à l'époque :
J’ai entendu récemment que certains malins avaient eu l’idée de créer une entreprise de mains d’œuvre ménagère. Un manager, des ménagères. Le commentaire de la journaliste dénonçait le manque du paternalisme d’autrefois, suggérant qu’il était l’onguent nécessaire et bienvenu pour bien tolérer l’exploitation. Des petits patrons sans vergogne qui n'aimaient pas plus le paternalisme que moi mais visiblement pas pour les mêmes raisons, avait crée une agence de bonnes, comme on crée des agences de call-girl, de putes quoi.
Il s’agissait ni plus ni moins de proxénètes légaux !
Je me pris à m’interroger sur ce qui manquait à tous ces petits connards qui avaient une idée et passaient à l’acte sans jamais réaliser que la matière de leur profit était humaine et qu’il n’y avait aucun écart entre eux et les esclavagistes de jadis ou de naguère.
Qu’à écouter l’histoire qu'il nous raconte il n’y avait qu’un pas infime à faire pour admettre que l’esclavagisme était dans la nature humaine.
J’avais imaginé, sans plus m’appesantir, que tout le personnel « ménager » de France et de Navarre, s’organisât en coopératives ou associations et, en attendant une société définitivement libérée de toute exploitation, concédât au réel de gagner sa vie en torchant les autres, mais dans l’anonymat le plus absolu, affichant délibérément son mépris, organisant les horaires en un tournant systématique de manière à ne jamais se retrouver chez la même personne et frustrer ainsi nos bonnes bourgeoises pleines de cœur qui font une bonne action en donnant le gros travail ménager ou les galères à d’autres, parce qu’elles contribuent à créer un emploi ! Les relations badines établies à cette occasion sont si souvent basées sur l'hypocrisie ( même si elles s'habillent de politesse ou de « bonne éducation ! ») que le temps n’est jamais long à venir de son renversement ; la confiance affectée peut entraîner l’abus de confiance et la punition qui s’ensuit tombe de haut ! La bonniche ne serait plus en bas à quémander un emploi, mais en haut à proposer son savoir-faire, cela, et l’alibi dangereux du paternalisme et de sa condescendance étant évité, la conscience de classe puis la solidarité ferait son œuvre en vue d’un renversement.
Le service n’est pas une exploitation simple parce qu’on ne s’y enrichit pas sur le travail de l’autre. Il met en jeu une dépendance beaucoup plus insidieuse, elle a trait au privé, à la relation d’homme à homme et elle sous-entend une acceptation, de part et d’autre souvent, d’une différence de castes.
J’imaginais la petite chambre servant de bureau, l’ordinateur, le logiciel organiseur et les filles qui, de manière non contrainte, se collaient au roulement de leurs interventions ; Bref, le bonheur jubilatoire d’être libres et maîtres à bord ! Et la joie de créer les rapports humains (le « lien social ») avec ses pairs et non plus avec ses exploiteurs.
J’extrapolais et imaginais le même genre d’organisation coopérative pour les caissières et, pourquoi pas ? …pour les bonnes d’enfants, qui n’assureraient plus une stabilité aux chérubins de notre nouvelle aristocratie si bien qu'elles tueraient dans l’œuf toute possibilité pour eux de perpétuer la domination familiale. La révolution valant bien une génération de nantis sacrifiée !
Aucun travail n’est pénible s’il est fait librement.
Voilà pourquoi il est indispensable que chacun ait à s’occuper de lui-même ; notre quotidien nous est donné pour nous y acquitter de nos tâches essentielles : satisfaire nos besoins personnels et sociaux et ne garder pour les belles affaires ou les beaux-arts que le temps que nous pouvons consacrer à d’autres loisirs. Il est très juste qu’en balayant, en étendant son linge ou en secouant ses tapis, un vide salutaire se fait dans l’esprit : le temps de réfléchir avant d’agir et celui de réfléchir après avoir agi. Quelle économie d'incompétences, de bévues, d'inadvertances et, dans ce surplus d'humilité obligée, celle aussi d'abus de pouvoir ! Sans compter la place faite à d'autres...( je dois dire qu'en écrivant ces lignes je me réjouissais de l'image qu'elles provoquaient : notre ex les mains dans l'eau mousseuse pour laver ses chaussettes tandis que sa dulcinée s'échinait à faire les vitres de l'Élysée ! Nul doute que dans de telles circonstances, ils préféreraient un logement plus réduit !!)
Changer la société, c’est aussi cela : que les fadas qui se noient dans des responsabilités plus hautes qu’eux, qui ne les assument guère mal ou pas, et qui pensent mériter les compensations que leur donne la richesse, aient droit à une vie plus équilibrée et plus saine. (Ne rien faire que l’on ne puisse faire seul ou en association…) Ainsi ils seraient moins nocifs, moins nuisibles, moins inhumains.
Il ne sert à rien de haïr ces pauvres gens, ignorons-les et construisons de notre côté : je ne sache pas que la loi nous interdise de créer des coopératives, des associations, qu’on nous interdise le boycott de leurs grandes distributions, leurs multinationales : privons-nous de quelques facilités récemment entrées dans nos mœurs et réjouissons-nous de nos audaces !
Aucun progrès n'est opéré par les dominants. Cela n’existe pas.
Quant à la revanche… tirons les leçons de l’histoire.
Nous avons l'entière liberté de mettre à bas ce système qui nous aliène et nous étouffe ; nous pouvons le faire sans violence ; alors faisons-le et arrêtons de nous plaindre comme des vieux ou réclamer comme des chiens !