Sigmund Freud et les silences nécessaires

par Michel J. Cuny
jeudi 15 février 2018

Ayant mis en valeur un facteur quantitatif – le solde entre les émotions ressenties à l’occasion d’un événement traumatique et ce qui avait pu en être évacué immédiatement -, Sigmund Freud nous avait indiqué que celui-ci pouvait se trouver réparti entre des troubles organiques et d’autres restés psychiques.

Dès lors une première classification peut être établie. Ce qu’il s’empresse de faire :
« Si nous désignons brièvement par le mot « conversion » la transformation d’une excitation psychique en symptôme somatique durable, tel que celui qui caractérise l’hystérie, nous pouvons dire qu’il y a chez Mme Emmy v. N… de faibles indices de conversion, l’émoi originellement psychique, demeurant le plus souvent dans le domaine psychique. » (page 938 du PDF)

Cette répartition différenciée des quantités d’affects peut d’ailleurs s’inscrire dans un cadre très général, et offrir un début d’explication à la diversité des symptômes, ou physiques ou psychiques, et au caractère plus ou moins marqué du déséquilibre proprement mental :
« Dans certaines hystéries, la conversion concerne l’ensemble du renforcement de l’excitation, de telle sorte que les symptômes somatiques de l’hystérie font irruption dans un conscient en apparence tout à fait normal. Toutefois, c’est le plus souvent une conversion incomplète qui se produit, de telle sorte qu’au moins une partie des affects accompagnant le traumatisme persiste dans le conscient en tant qu’élément de l’état d’âme. » (Idem, page 938)

Nous constatons immédiatement que, grâce à Sigmund Freud, nous y voyons déjà beaucoup plus clair, même si nous n’en sommes encore qu’aux généralités… Or, nous allons découvrir qu’à peine armé de cette première notion de « conversion  », notre homme s’en saisit pour porter le fer dans un domaine qui lui tient à coeur, et à propos duquel son séjour à Paris en 1885-1886 ne lui a pas laissé que de bons souvenirs.

Grâce à Emmy von N…, il a désormais pu se convaincre qu’il était impossible de se débarrasser de l’hystérie et de ce qui l’engendre en recourant au langage d’un certain Dr Morel (à retrouver ici, si nécessaire). Chez elle, la conversion des émotions en troubles physiques n’est que marginale. Ainsi la force d’expression de son mal s’est-elle trouvée concentrée dans le domaine psychique, territoire sur lequel Freud s’est assuré une entrée sans doute encore très limitée, mais de plus en plus instructive. Ainsi commence-t-il à savoir de quoi il parle…
« Dans le cas qui nous occupe, les symptômes psychiques d’une hystérie peu convertissable peuvent être classés en modifications de l’humeur (angoisse, dépression mélancolique), phobies et aboulies (troubles de la volonté). Ces deux dernières espèces de troubles psychiques, interprétés par l’École française de Psychiatrie comme des stigmates de dégénérescence nerveuse, se montrent pourtant, dans notre cas, suffisamment déterminés par des incidents traumatisants. » (Idem, page 938)

Nous n’avons pas oublié le fameux traité publié à Paris en 1857 par le docteur Bénédict Morel : Traité des dégénérescences intellectuelles, physiques et morales de l’espèce humaine, une redoute à l’abri de laquelle l’essentiel des spécialistes français de la santé mentale se seront longtemps rassemblés, et même Jean-Martin Charcot

Voici face à quelle meute Sigmund Freud se déclare désormais disposé à rompre des lances… Or, cette bagarre est partie pour quelques décennies, ainsi que nous le verrons. Pour l’instant, le médecin viennois ne s’adresse en quelque sorte qu’à lui-même… C’est qu’il est suffisamment empêtré dans ses propres limites… qui sont de taille.

Les notes ajoutées au cas Emmy von N… nous ont montré son mécontentement d’avoir omis d’approfondir certaines questions. Mais, dans l’« Analyse critique  », il n’en est pas encore là. Et voici ce que cela donne :
« En ce qui concerne les phobies, quelques-unes correspondent bien, il est vrai, aux phobies primaires des hommes et surtout des névropathes, peur de certains animaux (serpents, crapauds, et aussi vermine dont Méphistophélès se vante d’être le grand-maître), crainte des orages, etc. Mais les phobies elles-mêmes ont été consolidées par des événements vécus. » (Idem, page 938)

La source première serait donc déterminée… Pourquoi chercher plus loin du côté des origines ?…
« Quoi qu’il en soit, c’est à la peur primaire, et pour ainsi dire instinctive en tant que stigmate psychique, qu’incombe dans ce groupe le rôle principal. » (Idem, page 939)

Sur toute une page, Freud étale alors les différentes frayeurs d’Emmy von N… en leur attribuant comme source une peur primaire spécifique qui semble n’avoir – tout compte fait – qu’un caractère très « naturel »…

Mais il sait pertinemment qu’il y a ici quelque chose qui cloche…
« Je pense en outre que tous ces facteurs psychiques expliquent le choix mais non la persistance des phobies. Pour cette dernière, il convient d’ajouter un facteur névrotique, le fait que la malade vivait depuis des années dans la continence, cause la plus fréquente d’une tendance à l’angoisse. » (Idem, pages 939/940)

Un ange passe…

NB. Pour comprendre dans quel contexte politique de fond se situe ce travail inscrit dans la problématique générale de l'amour courtois...
https://freudlacanpsy.wordpress.com/a-propos/


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