Simone Weil lectrice de Karl Marx

par Robin Guilloux
samedi 2 décembre 2017

Emmanuel Gabellieri, Penser le travail avec Simone Weil, Nouvelle Cité, 2017, Chapitre III, "Le Débat avec Marx", p.65 et suiv.

Karl Marx, né le 5 mai 1818 à Trèves en Rhénanie et mort le 14 mars 1883 à Londres, est un historien, journaliste, philosophe, économiste, sociologue, essayiste, théoricien de la révolution, socialiste et communiste allemand. Il est connu pour sa conception matérialiste de l'histoire, sa description des rouages du capitalisme, et pour son activité révolutionnaire au sein du mouvement ouvrier. Il a notamment participé à l'Association internationale des travailleurs. L'ensemble des courants de pensée inspirés des travaux de Marx est désigné sous le nom de marxisme. Il a eu une grande influence sur le développement ultérieur des sciences sociales. Ses travaux ont influencé de façon considérable le xxe siècle, au cours duquel de nombreux mouvements révolutionnaires se sont réclamés de sa pensée. (les biographies des auteurs sont extraites de l'encyclopédie en ligne wikipedia)

Simone Adolphine Weil est une philosophe, écrivaine et militante politique française, sœur cadette du mathématicien André Weil, née à Paris le 3 février 1909 et morte à Ashford (Angleterre) le 24 août 1943. Bien qu'elle n'ait jamais adhéré explicitement par le baptême au catholicisme malgré une profonde vie spirituelle, elle est reconnue et se considérait comme une mystique chrétienne. Elle est également une brillante helléniste, commentatrice de Platon et des grands textes littéraires, philosophiques et religieux grecs, mais aussi des écritures sacrées hindoues. Ses écrits, où la raison se mêle aux intuitions religieuses et aux éléments scientifiques et politiques, malgré leur caractère apparemment disparate, forment un tout d'une exceptionnelle unité et parfaitement cohérent. Le fil directeur de cette pensée, que caractérise un constant approfondissement, sans changement de direction ni reniement, est à chercher dans son amour impérieux de la vérité, philosophiquement reconnue comme une et universelle, et qu'elle a définie comme le besoin de l'âme humaine le plus sacré.

Emmanuel Gabellieri, né le 27 décembre 1957 à Nice, est un philosophe français Il est professeur de philosophie à l'université catholique de Lyon depuis 1992, où il a été doyen de la Faculté de philosophie et sciences humaines de 2005 à 2014. Il a consacré une grande partie de ses travaux et publications à la pensée de Simone Weil, mais aussi à celle de Maurice Blondel. Dans le prolongement du "spiritualisme français" Ses recherches visent particulièrement à articuler phénoménologie et métaphysique ainsi que philosophie et christianisme, en faisant la proposition d'une metaxologie (art de l'entre-deux, de la médiation) et d'une philosophie du don capables de répondre à la crise de la métaphysique aussi bien qu'à la tentation anthropocentrique de l'humanisme moderne.

Le Simone est un café culturel au cœur de Lyon, ouvert à tous. 60m² de confort douillet dans un cadre agréable pour déguster une boisson de qualité. Cet espace polyvalent est également une galerie d’exposition, pour découvrir dans un cadre intimiste le sujet ou l’artiste du moment. Le soir, le café accueille des cycles de conférences ainsi que des soirées à thèmes : soirées chansons, soirées poésies, soirées jeux de société, vernissage d’exposition, concerts… Un atelier BD se tient également le samedi. Adresse : 45 rue Vaubecour Lyon 2ème  Horaires d’ouverture Lun – ven : 9h30-19h30 Sam : 10h30-18h30

Compte-rendu de la conférence d'Emmanuel Gabellieri au "Café Le Simone", à Lyon sur la philosophie du travail de Simone Weil et la question de son rapport au marxisme : 

Contrairement à une idée reçue, Simone Weil n'est pas passée d'une adhésion enthousiaste à un rejet du marxisme. Elle a été l'un(e) des premièr(e)s intellectuel(le)s française à lire Marx et notamment Le Capital.

Issue d'une famille bourgeoise, Simone Weil s'est rendue compte très tôt de sa situation privilégiée par rapport au prolétariat profondément marqué par la crise de 1929. Au fait de tout ce qui affecté du "coefficient oppression", elle sait que les ouvriers et les classes populaires souffrent et s'interroge sur la légitimité de la colonisation. 

Née en 1909, elle milite dans les années 20 au sein des mouvements révolutionnaires, en lien avec des militants d'Extrême-Gauche et du Parti communiste français. 

Le capitalisme libéral lui est insupportable et elle se fait une réputation de "révolutionnaire" en incitant ses camarades de Khâgne à cotiser à une caisse de chômeurs et à militer contre la préparation militaire obligatoire des normaliens (elle regrettera plus tard, au moment de la montée du nazisme, son "pacifisme" de l'époque)

Cependant, dès les années 20, avec des militants communistes comme Boris Souvarine, elle prend conscience de la dérive de la Révolution soviétique et se rend compte que le Parti communiste français est inféodé au Parti communiste d'Union soviétique.

Note : Boris Souvarine, de son vrai nom Boris Lifschitz, né en 1895 à Kiev et mort de 1er novembre 1984 à Paris, est un militant politique, journaliste et essayiste russe et français. Militant communiste, exclu du PCF en 1924, il est dès les années 1920 un des grands critiques du stalinisme, auteur en 1935 d'une biographie pionnière de Staline. 

Cette prise de conscience l'amène à se mettre de côté des syndicats révolutionnaires, contre le Parti Communiste français. 

Il y a à cette époque deux tendances antagonistes au sein de la "Gauche" : une tendance qui s'inspire du socialisme humaniste français (notamment de Proudhon) et une tendance "scientifique" qui s'inspire de Marx.

Note : Pierre-Joseph Proudhon, né le 15 janvier 1809 à Besançon dans le Doubs et mort le 19 janvier à Paris, est un polémiste, journaliste, économiste, philosophe et sociologue français. Précurseur de l'anarchisme, il est le seul théoricien révolutionnaire à être issu du milieu ouvrier.

La tendance humaniste critique l'Etat au nom de la transcendance de la personne par rapport à la société, tandis que Marx réclame un Etat fort qui permettra la "dictature du Prolétariat". 

L'inspiration de la Gauche "humaniste" s'enracine dans la pensée de Proudhon et défend la société civile contre un Etat totalitaire et le mouvement coopératif contre une "avant-garde du prolétariat" représentée par un Parti unique.

Les deux points positifs dans la pensée de Marx, selon Simone Weil :

Elle loue particulièrement Marx d'avoir dénoncé dans le système capitaliste la subordination du sujet à l'objet, dénonciation qu'elle retrouvera dans la "doctrine sociale de l'Eglise" (DSE), issue de l'Encyclique Rerum Novarum de Léon XIII.

Note : Rerum novarum (« Les choses nouvelles ») est une encyclique publiée le 15 mai 1891 par le pape Léon XIII (1810-1903). Elle constitue le texte inaugural de la doctrine sociale de l'Église catholique. S'inspirant des réflexions (notamment les travaux de l'Union de Fribourg) et de l'action des « chrétiens sociaux », l'encyclique, écrite face à la montée de la question sociale, condamne « la misère et la pauvreté qui pèsent injustement sur la majeure partie de la classe ouvrière » tout autant que le « socialisme athée ». Elle dénonce également les excès du capitalisme et encourage de ce fait le syndicalisme chrétien et le catholicisme social.

Les déficiences de Marx : 

Simone Weil critique le fait que Marx, après avoir génialement analysé les causes économiques de l'oppression capitaliste, a "donné un coup de pouce" pour que sa méthode d'analyse (le matérialisme) et l'idéal révolutionnaire de la liberté absolue coïncident de manière nécessaire dans l'Histoire, avec cette prophétie que nous sommes à la veille de la Révolution finale et que le Prolétariat, de plus en plus opprimé et puissant, arrivera à se libérer d'un coup de son oppression, de telle manière que l'Histoire sera désormais partagée en deux : l'Histoire de l'oppression et l'Histoire de la liberté.

Pour penser ainsi, explique Simone Weil, il faut croire en une sorte de déterminisme historique où l'évolution des forces productives, la base matérielle, l'évolution de la matière transposée au niveau social engendre nécessairement un bien.

Selon Simone Weil, autant l'analyse matérialiste des faits sociaux est pertinente, autant la transformation de cette analyse en une philosophie du progrès est aussi aberrante que la philosophie de Hegel affirmant que la liberté absolue va se réaliser, mais uniquement à travers l'histoire des idées.

La théorie de Marx se veut matérialiste par rapport à la philosophe idéaliste de Hegel (qu'elle critique), mais dans les deux cas, on retrouve la foi dans un progrès nécessaire (déterministe) et inévitable de l'humanité qui peut faire l'économie de la liberté humaine et faire l'impasse sur la question de l'origine du mal en chaque homme et dans l'humanité dans son ensemble.

Note : Georg Wilhelm Friedrich Hegel, né le 27 août 1770 à Stuttgart et mort le 14 novembre 1831 à Berlin, est un philosophe allemand. Son oeuvre, postérieure à celle de Kant, est l'une des plus représentatives de l'idéalisme allemand et a eu une influence décisive, notamment sur la pensée de Marx.

Très vite, dès les années 20, Simone Weil est convaincue - argument récurrent de ceux qui vont se libérer du marxisme historique - que la frontière entre le bien et le mal passe en chaque homme et non entre une classe sociale et une autre, une nation et une autre, une "race" et une autre.

La source de l'oppression peut effectivement résider dans le mécanisme social, mais aussi dans la vie personnelle de n'importe quel homme, si bien que le risque du totalitarisme peut être aussi grand dans une société socialiste que dans une société libérale. 

Simone Weil considère donc que Marx a péché par idéalisme, alors qu'il se voulait matérialiste. Sa science de l'économie s'est voulue la science absolue. Marx n'a pas compris le caractère essentiel des facteurs moraux et spirituels dans l'histoire humaine.


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