Smoking aria

par Azür
vendredi 12 janvier 2007

« Le jour s’est levé... sur une étrange idée... je crois que j’ai rêvé... que ce soir je mourrais... »

Les amateurs de cigares pousseraient-ils leur chant du cygne ? Rien n’est moins sûr, car leur air favori du moment et peut-être pour longtemps, serait plutôt « Mi Buenos Aires Querido » chanté façon Brigades internationales... Comme le commente avec finesse et clairvoyance Henri-Pierre Jeudy dans son article « Nouvelle terreur contre les fumeurs » (1) publié dans Libération le 05/012007 : « Certains commencent à dire que fumer est un acte politique ». Si la protection des non-fumeurs n’est pas à mettre en cause, il n’est pas pour autant inutile de s’interroger sur le tour pris par les dernières campagnes anti-tabac, devenant par certains côtés et même si beaucoup de leurs promoteurs s’en défendent, des allures de campagnes anti-fumeurs. Quant aux amateurs de cigares, englués dans les symboles de l’inconscient collectif par le double-lien « parvenus pétés de fric » / « dangereux agitateurs subversifs », ils ne sont pas pour rassurer les masses populeuses ayant pour s’endormir au son des berceuses populistes besoin d’inébranlables certitudes désignant clairement l’axe du mal !

Dans un tel contexte, on peut se demander si le différend opposant les associations « Droit des non-fumeurs » (DNF) et « Pour une poignée de cigares » (P1P2C) ne procède pas de cette démarche tendant à désigner à la vindicte populaire des boucs émissaires soigneusement choisis. Mais la question restera ouverte afin que la justice suive sereinement son cours, sans pour autant exclure les débats d’idées nécessaires à l’expression et au développement de tout sujet polémique. A moins que les dés (pipés !) ne soient déjà jetés...

En résumé, (2) le club « Pour une poignée de cigares », association loi 1901 créée à Paris en septembre 2000, comptant vingt-cinq membres inscrits dans la capitale et possédant une section en région PACA regroupant huit aficionados, a un site Internet où il existe des pages ouvertes à tout public et un forum accessible uniquement par identifiant et mot de passe. Jusqu’à la fin de l’année dernière, ils pensaient qu’échanger autour de leur passion commune ne constituait pas un délit. Or le 22/11/2006 l’association « Droit des non-fumeurs » a délivré sans démarche préalable une citation à comparaître à « Pour une poignée de cigares » l’assignant au Tribunal correctionnel de Dijon le 5/12/2006, au motif que :

« L’association « Pour une poignée de cigares » n’a pas respecté la loi Evin en réalisant une publicité et une promotion en faveur du tabac. Sur le site de cette association, figure non seulement le logo des marques de cigares, ce qui est interdit, mais également plus grave, il existe un commentaire sur les cigares (exemple : Davidoff) ce qui doit être assimilé à de la propagande. L’association Pour une poignée de cigares sera donc déclarée coupable de l’infraction susvisée. »

Etrange assignation qui, annonçant le supposé délit décide d’emblée de la condamnation. Où est le respect dû au magistrat chargé de juger l’affaire quand sa fonction est ainsi limitée à signer un pré-imprimé où il aura peut-être juste la liberté de choisir le tarif de l’amende ?

Evidemment, le temps disponible pour préparer la défense étant manifestement trop court, l’audience est reportée au 29/05/2007 sur demande de l’avocat de P1P2C. Le 12/12/2006 à Paris sur son initiative, Sébastien Barthélémi (président de P1P2C) a rencontré pour un déjeuner dans un restaurant non fumeur Gérard Audureau (Pdt de DNF) et l’échange fut exempt de toute animosité. Au point qu’il propose à son « adversaire » de l’inviter à une réunion de club, bien évidemment sans fumée. Cependant, à en croire les propos tenus sur son site Web, DNF estime que le président de P1P2C est « insidieusement manipulé par les professionnels du lobby du tabac ». C’est manifestement mal connaître cette association qui tenant particulièrement à son indépendance, refuse ainsi tout parrainage, toute subvention, toute offre de cigares promotionnels et organise des soirées à prix coûtant...

Depuis cette enrichissante rencontre, P1P2C a fait insérer un pop up en page d’accueil du site mettant en garde contre les méfaits du tabac. Mais il semblerait que cela ne suffise pas à DNF car pour son président, il est possible de parler cigare si un mot de passe est exigé pour se connecter au site mais cela n’est pas possible si c’est « pour en parler publiquement d’une manière qui vante le tabac sans en donner les travers ». Par ailleurs, toujours pour Gérard Audureau, « un magazine en vente en kiosque qui valoriserait la consommation de tabac serait tout autant condamnable » (3). Cette affirmation cible les magazines spécialisés consacrés au cigare. Actuellement il en existe quatre en langue française...

Plus largement, vu les derniers développements de cette affaire, il y a de quoi rester perplexe. La nécessaire protection et la mise en avant des droits des non-fumeurs n’autorise pas pour autant à traiter les fumeurs avec mépris et à leur refuser tout droit d’expression. Car c’est avant tout de la liberté d’expression qu’il est ici question. La presse spécialisée consacrée au cigare n’est achetée et lue que par les amateurs eux-mêmes. On n’a jamais vu un magazine de ce type dans une salle d’attente ! D’autre part, un site Internet à visée purement associative réunissant des amateurs de cigares ne constitue pas une agression et une menace pour les non-fumeurs. A moins que ces derniers lui attribuent des odeurs de soufre, auquel cas nous nous trouvons dans un tout autre contexte où la raison n’a plus sa place...

Les lois Evin étant antérieures au boum du Web, il devient nécessaire de se questionner sur les conditions de leur application à ce domaine. Qu’un organisme à vocation commerciale pris en faute de non-conformité soit sanctionné s’entend. Mais peut-on appliquer le même traitement à une association à but non lucratif, voire un pas plus loin, à un particulier exprimant publiquement son intérêt pour le tabac ? Est-il raisonnable et sensé d’exiger que le site Web d’une association d’amateurs de cigares soit dans son intégralité accessible uniquement par identifiant et mot de passe, alors que par ailleurs sur la toile, une multitude de sites à la moralité plus que douteuse sont ouverts à tout un chacun sur le seul fait d’un simple clic ? Faut-il encore légiférer ? Est-il surréaliste d’attendre un jugement éclairé qui ferait jurisprudence en la matière ?

Toutes ces questions restent ouvertes et il ne serait pas très sain de les refermer au plus vite en les inondant d’un flot de certitudes. A moins qu’un nouveau jour ne se soit levé et que ce ne soit plus une si étrange idée de faire de la chasse aux sorcières le sport national...

1. cf. : http://www.liberation.fr/rebonds/226760.FR.php

2. cf. : http://www.poignee2cigares.com/P1P2C_FranceInfo.wma

3. Propos recueillis par Julie Lestrade et publiés dans Libération le 2/12/2006 son article intitulé « Sur le net les amateurs de cigares se font allumer » cf. : http://www.liberation.fr/actualite/societe/220764.FR.php


Lire l'article complet, et les commentaires