Socialisme ou barbarie

par Jean Dugenêt
samedi 1er avril 2023

Rosa Luxembourg en expliquant que nous sommes face à l’alternative « socialisme ou barbarie » exprime le même point de vue que Trotsky qui écrit dans le programme de transition : « Les forces productives de l'humanité ont cessé de croître ». Il écrit cela en 1938 dans le chapitre intitulé : « Les prémisses objectives de la révolution socialiste ». C’est bien ce constat qui fonde la nécessité du socialisme puisqu’il devient impossible pour l’humanité de progresser dans le cadre du capitalisme.

« La prémisse économique de la révolution prolétarienne est arrivée depuis longtemps au point le plus élevé qui puisse être atteint sous le capitalisme. Les forces productives de l'humanité ont cessé de croître. Les nouvelles inventions et les nouveaux progrès techniques ne conduisent plus à un accroissement de la richesse matérielle. Les crises conjoncturelles, dans les conditions de la crise sociale de tout le système capitaliste, accablent les masses de privations et de souffrances toujours plus grandes. La croissance du chômage approfondit, à son tour, la crise financière de l'État et sape les systèmes monétaires ébranlés. Les gouvernements, tant démocratiques que fascistes, vont d'une banqueroute à l'autre.

La bourgeoisie elle-même ne voit pas d'issue. Dans les pays où elle s'est déjà trouvée contrainte de miser son dernier enjeu sur la carte du fascisme, elle marche maintenant les yeux fermés à la catastrophe économique et militaire. Dans les pays historiquement privilégiés, c'est-à-dire ceux où elle peut encore se permettre, pendant quelque temps, le luxe de la démocratie aux dépens de l'accumulation nationale antérieure (Grande-Bretagne, France, États-Unis, etc.), tous les partis traditionnels du capital se trouvent dans une situation de désarroi qui frise, par moments, la paralysie de la volonté. Le New Deal, malgré le caractère résolu dont il faisait étalage dans la première période, ne représente qu'une forme particulière de désarroi, possible seulement dans un pays où la bourgeoisie a pu accumuler des richesses sans nombre. La crise actuelle, qui est encore loin d'avoir dit son dernier mot, a pu déjà montrer que la politique du New Deal aux États-Unis, pas plus que la politique du Front populaire en France, n'ouvre aucune issue dans l'impasse économique.

Le tableau des relations internationales n'a pas meilleur aspect. Sous la pression croissante du déclin capitaliste, les antagonismes impérialistes ont atteint la limite au-delà de laquelle les divers conflits et explosions sanglantes (Éthiopie, Espagne, Extrême-Orient, Europe Centrale...), doivent infailliblement se confondre en un incendie mondial. Bien entendu, la bourgeoisie se rend compte du danger mortel qu'une nouvelle guerre représente pour sa domination. Mais elle est actuellement infiniment moins capable de prévenir la guerre qu'à la veille de 1914.

Les bavardages de toutes sortes selon lesquels les conditions historiques ne seraient pas encore "mûres" pour le socialisme ne sont que le produit de l'ignorance ou d'une tromperie consciente. Les prémisses objectives de la révolution prolétarienne ne sont pas seulement mûres ; elles ont même commencé à pourrir. Sans révolution socialiste, et cela dans la prochaine période historique, la civilisation humaine tout entière est menacée d'être emportée dans une catastrophe. »

Ce que Trotsky écrivait en 1938 se trouve depuis maintes fois vérifié.

Les forces productives de l’humanité sont la capacité de l’humanité à produire, à partir de la nature, des biens qui permettent aux hommes de vivre mieux c’est-à-dire plus longtemps, en meilleure santé, avec un meilleur épanouissement intellectuel, plus de loisirs… L’affirmation que ces forces productives ont cessé de croître a été maintes fois contestée car les progrès des sciences et des techniques sont incontestablement énormes. Cependant, dans notre société, ils ne permettent plus un meilleur développement de l’ensemble des forces productives. Pour quelques-uns d’entre nous cela n’a rien d’évident. En France et dans d’autres pays d’Europe, une amélioration de la qualité de vie est certaine de génération en génération. Je vis mieux que mes parents qui eux-mêmes ont mieux vécu que mes grands-parents. L’électroménager a facilité la vie des ménages. Nous avons la télévision, des téléphones portables, des micro-ordinateurs, des automobiles toujours plus automatisées et plus confortables... Toute cette technologie est un progrès mais il n’échappe à personne que ces progrès techniques sont aussi souvent utilisés par les puissants pour asservir les hommes (télévision, réseaux sociaux…). J’ai pu faire des études, prendre ma retraite à 58 ans… Ce n’est pas le cas pour tout le monde même en France. Mais surtout, l’histoire de l’humanité ne se limite pas à notre environnement proche : la France, l’Europe. Des pays capitalistes ont pu continuer à s’enrichir au XXème siècle au détriment d’autres pays avec principalement le colonialisme puis le néocolonialisme ce qui a considérablement appauvri des populations surexploitées.

Si les forces productives de l’humanité, prise dans leur globalité, ont bel et bien cessé de croitre c’est parce que le capitalisme ne peut plus survivre qu’en détruisant d’énormes quantités de forces productives. Il a fallu les millions de morts et toutes les destructions des deux guerres mondiales pour que le capitalisme soit encore en place et, sous nos yeux, l’impérialisme, phase suprême du capitalisme, vient de semer le désastre et la désolation en Lybie, en Irak, en Syrie, au Liban, en Afghanistan… Le capitalisme crée ainsi les conditions d’une nouvelle accumulation des capitaux et d’une relance de la production en appauvrissant une masse croissante d’hommes, de femmes et d’enfants qui n’ont même plus le minimum garantissant leur survie. A nouveau, la famine menace dans plusieurs pays. Les capitaux sont accumulés dans les pays capitalistes les plus puissants, avec une création massive de « capitaux fictifs et spéculatifs (crédits actions) » qui ne correspondent pas à une réelle production de marchandises. L’accumulation d’armement permettant de détruire plusieurs fois l’humanité n’a rien à voir avec les forces productives de l’humanité. Il s’agit bien plutôt de l’inverse : les forces destructrices de l’humanité finiront-elles par l’emporter ? D’ailleurs la recherche effrénée du profit amène aussi à détruire les éléments vitaux que sont l’air et l’eau et à terme l’existence de la planète est menacée. Il n’y a aucune solution d’ordre purement « écologique » possible avec le maintien du capitalisme.

Le maintien en place du capitalisme mène à une régression voire une disparition de l’humanité.

La pandémie du coronavirus vient de nous donner une préfiguration de ce que pourrait être la barbarie destructrice de l'humanité avec la répétition d’épidémies (coronavirus, vache folle, sida, virus Ebola, grippe A, H1N1...) qu'un tel système sera incapable d'endiguer. La recherche du profit met en concurrence des laboratoires qui travaillent dans le plus grand secret pour trouver des vaccins au lieu de collaborer... Ils sont prêts à saboter les recherches des concurrents pour gagner le jackpot ! Dans cette compétition tous les coups sont permis. Avec le régime capitaliste, les épidémies sont désormais un risque majeur bien réel avec celui du feu nucléaire. Risque immensément plus grave que le réchauffement de la planète dont les éventuelles causes sont aussi hypothétiques que la validité des symptômes. Mais ce risque permet de faire tellement de beaux discours et, accessoirement, de privilégier l’énergie nucléaire voire d'augmenter le prix des hydrocarbures.

La barbarie, ce n'est pas seulement ce que nous risquons de voir dans peu de temps avec la crise bancaire qui se profile : des petits épargnants spoliés, de multiples faillites d'entreprises, le chômage qui explose... Ce n’est plus seulement une crise financière. C’est une crise de l’économie mondiale. C’est la crise du capitalisme pourrissant. La barbarie c'est aussi le risque d'explosions nucléaires déclenchées par des chefs d'état qui, tel un Goebbels assassinant ses enfants avant de se suicider, pourraient choisir délibérément de lancer le feu nucléaire pour disparaître. La barbarie sera à terme la survivance d'un résidu d'humanité ou sa disparition.

La préfiguration de la barbarie est bien là. La lutte des impérialistes pour dominer le monde sème la misère et la désolation en Irak, en Lybie, en Afghanistan, en Syrie... C'est le naufrage du capitalisme en guerre contre les exploités. Quand ceux-ci résistent et se révoltent contre leur constante politique d'austérité dont nous voyons aujourd'hui les ravages, les politiciens lancent tout leur arsenal de répression.

 

A l'opposé, le socialisme est lui aussi à portée de main. Ce serait la mise à disposition de l'humanité entière des ressources de la planète avec une gestion qui viserait le mieux-être de tous plutôt que la recherche effrénée du profit pour le bénéfice de quelques-uns. Cela se ferait, dans un premier temps, dans le cadre des nations. Les exploités ayant pris le pouvoir dans quelques pays développés donneraient un exemple pour tous les pays du monde. Rapidement les peuples feraient des accords sans plus jamais se considérer comme des concurrents, des adversaires ou des ennemis mais toujours comme des partenaires. Chacun trouverait chez l'autre ce qu'il ne peut pas facilement avoir par ses propres moyens. Puis, la notion de "Nation" s'effacera car la solidarité universelle entre les hommes prendra le dessus par rapport à toute autre considération... Les hommes seront très vite amenés à exploiter les ressources des mers et plus particulièrement des mers du sud avec toutes les protéines qu'elles peuvent fournir et des sources d'énergies gigantesques et non polluantes (vents et courants). Le génie humain permettra des développements aujourd’hui inimaginables pour le bien de tous.

Dans le manifeste de l’OCI, publié en 1968, Gérard Bloch donnait un aperçu de ce que le génie de l’homme pourrait produire pour le bien de tous. Pour être actualisé ce texte ne nécessiterait aujourd’hui que des modifications de détail :

« Il n’est pas de domaine de la science et de la technique où, depuis un siècle et plus, la masse des connaissances et des pouvoirs de l’homme ne double tous les dix ans, et davantage… De l’astrophysique à la biologie moléculaire, de la médecine à l’archéologie préhistorique, de la géologie à la chirurgie, de la pharmacie à l’industrie du bâtiment, de l’électronique aux textiles artificiels, de l’agronomie et de l’industrie alimentaire à la chimie des plastiques et aux moteurs à réaction, il arrache à la nature, l’un après l’autre, ses secrets ; il découvre ses lois pour mieux la gouverner. Il transmet sa pensée, d’un bout de la planète à l’autre, à raison d’un million de mos par minute. Il envoie ses ordres à cent millions de kilomètres de la terre, à des vaisseaux cosmiques faits de sa main. Demain il s’élancera dans l’espace, vers les planètes, après-demain vers les étoiles ; son œil, armé du radio télescope, du télescope électronique et de l’analyse mathématique, plonge dans l’espace à cent milliards de milliards de kilomètres, dans le temps à dix milliards d’années dans le passé ; armé du microscope électronique et de la théorie de l’information, il fouille les arcanes de la matière vivante, il déchiffre le message de l’hérédité, tel que des milliards d’années d’évolution l’ont élaboré : bientôt il ne se contentera plus de la lire, il y inscrira sa loi ; non content de transformer radicalement le milieu où il vit, il pourra transformer son être biologique, le remodeler à son gré, abolir les derniers grands maux naturels dont il souffre, faire reculer la mort elle-même.

L’homme a dévoré les fruits de l’arbre de la science, et il en est devenu incomparablement plus puissant qu’aucun des dieux que, terrifié de ses propres pouvoirs, il a imaginés. Les esclaves mécaniques qu’a créés son génie sont là, prêts à le libérer, à tout jamais, de la dure nécessité de « gagner son pain à la sueur de son front », le travail forcé cédant la place à la libre activité créatrice ; les mille sources de l’abondance ne demandent qu’à jaillir de toute part, à satisfaire sans limites les besoins des quatre milliards d’homme que porte la planète, et, s’il le fallait de dix fois davantage. (…)

Il y a vingt ans déjà (C’est-à-dire vers 1948 NDLR), le fondateur de la cybernétique démontrait qu’avec les moyens techniques existant, la chaîne de production pouvait « en moins de cinq ans, être remplacée par un système automatique dans toute la grande industrie  ». Le capital financier a freiné désespérément ce progrès. Mais « le bouleversement continuel de la production, l’ébranlement ininterrompu de toutes les conditions sociales, l’insécurité et l’agitation distinguant l’époque bourgeoise de toutes les époques antérieures », les lois inéluctables de la concurrence sur le marché mondial obligent aujourd’hui les maîtres capitalistes de l’économie à introduire l’automation sur une échelle rapidement croissante. Cette métamorphose explosive de la technique permettrait immédiatement de réduire de façon massive les horaires de travail tout en améliorant de façon décisive les conditions d’existence des travailleurs. Or, dans le cadre du régime du profit, «  le perfectionnement incessant et toujours plus rapide, du machinisme rend toute la condition de l’ouvrier de plus en plus précaire  ». Car le régime capitaliste ne connaît que les besoins solvables ; car il ne fonctionne pas pour satisfaire les besoins de l’immense majorité, mais pour accroître les profits de l’infime minorité de possédants. C’est pourquoi l’automation menace de plonger les pays hautement industrialisés dans une crise sociale sans précédent, dont la déqualification et le chômage massif sont les signes les plus apparents. Elle voue dès maintenant la jeunesse et, avec elle, toute la classe ouvrière à la déchéance professionnelle et à l’inculture.

Déjà, en France, la bourgeoisie, pour essayer de résister à la concurrence sur le marché mondial, entreprend de faire payer aux travailleurs la rationalisation de son appareil de production ; elle les menace dans leur santé et dans leur vie même, dans leur droit aux soins et aux médicaments. Déjà, au paradis du capital, aux Etats-Unis, le quart de la population, hommes, femmes et enfants, citoyens de « l’autre Amérique », sont définitivement rejetés de la « société de l’abondance » ; ils n’y trouveront jamais leur place ; ils mènent une vie précaire, n’ayant pour subsister, que les allocations que leur verse l’Etat capitaliste, qui redoute leur révolte. « Pour pouvoir opprimer une classe », écrivait Marx et Engels il y a cent vingt ans (cent soixante ans actuellement NDLR), « il faut lui assurer des conditions dans le cadre desquelles elle puisse tout au moins trouver son existence d’esclave… La bourgeoisie est incapable de dominer, parce qu’elle est incapable d’assurer à son esclave l’existence même dans le cadre de son esclavage ; parce qu’elle est forcée de le laisser descendre à une condition dans laquelle elle doit le nourrir au lieu d’être nourrie par lui. La société ne peut plus vivre sous la bourgeoisie, en d’autres termes, l’existence de la bourgeoisie n’est plus compatible avec la société ». Cette prédiction se réalise en ce moment sous nos yeux sur une échelle gigantesque. C’est seulement par un accroissement démesuré de l’industrie des armements – des forces destructives – que la bourgeoisie parvient à empêcher les forces productives de faire exploser le carcan de la propriété des moyens privée des moyens de production et d’échange et des frontières de l’Etat national, qui en paralyse la croissance. (…) La quasi-totalité de la recherche scientifique y est consacrée. La guerre d’extermination que mène l’impérialisme américain au Vietnam indique à l’humanité tout entière l’avenir qui l’attend. « Nous les ramènerons à l’âge de pierre », s’écriait un général américain. Des chambres à gaz d’Hitler aux massacres du Vietnam, le capital reste fidèle à lui-même. Il n’a pas désormais d’autre perspective à offrir à ses esclaves que la déchéance ou la mort – la déchéance d’abord, la mort ensuite. Dans les arsenaux de la guerre thermonucléaire, il y a bien plus de cent fois de quoi anéantir toute vie sur la planète. (…) Cette catastrophe se profile aujourd’hui à l’horizon. Le cauchemar d’une planète tout entière réduite à n’être qu’un désert radioactif, sur lequel flotteront, au gré des vents, les cendres de quatre milliards d’années d’évolution de la vie, de deux millions d’années de progrès du genre humain, d’un siècle et demi (deux siècles actuellement NDLR) de luttes émancipatrices des masses opprimées et exploitées, hante désormais sans répit la conscience de l’humanité.

Cependant, l’armée de de la révolution socialiste – les masses exploitées et opprimées – ne cessent pas de livrer bataille, en un point ou l’autre du globe, au capital et à ses agents. (…) »

L'espoir d'une construction du socialisme reste parfaitement réaliste. Il s'agit de construire une société sans exploiteurs et sans exploités. Ce n'est pas parce que les avancées qui ont été menées jusqu'à maintenant dans ce sens ont échoué et parfois abouti à des dictatures que cela est inéluctable. Il en va à ce sujet comme de l’apparition des républiques capitalistes. Entre la révolution de 1789-93 et la réalisation avec la 3ème république d'un état "capitaliste démocratique", il aura fallu beaucoup d'avancées et de reculs (2 empires, 2 restaurations, 2 formes de monarchie celle de droit divin et la monarchie constitutionnelle de Louis Philippe, la Commune de Paris). Il a fallu beaucoup d'échecs, pendant près d’un siècle, avant la réalisation de ce qui correspondait à peu près aux idées des révolutionnaires de 1789. Il aura aussi fallu des échecs avant que le socialisme soit victorieux. Cependant, le capitalisme pourrissant nous mène tellement vers des catastrophes que nous sommes toujours face à cette alternative annoncée depuis plus d’un siècle par Rosa Luxembourg : SOCIALISME OU BARBARIE.

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Cet article est destiné à devenir le chapitre 3 d’un livre intitulé « Défense du trotskysme III ». Je mets dès maintenant à la disposition de tous les 29 chapitres qui sont rédigés.

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