Solidarité, chronique d’une mort dénoncée

par Emile Red
lundi 18 décembre 2006

Ce matin, collé aux fréquences basses de mon autoradio, oreilles tendues aux persiflages de ce légionné d’honneur, rescapé des hôpitaux de la Sécu, qu’est l’inénarrable Jean-Marc Sylvestre, je me pris à me poser la question existentielle du « d’où-quand-pourquoi ».

En bon Français, cartésien, matérialiste et un tantinet individualiste, me voilà donc à analyser l’idéologie et la méthodologie de l’économiste es-France Inter/TF1/LCI, en apartheidisant avec moi-même, doucement, je me demandais quelle était cette pathologie qui poussait cet homme à renier un système qui le sauva d’une mort certaine en l’an 2003, comment une réflexion, sérieuse, pouvait aller à l’encontre de la nature première de la société humaine, quel était ce funeste virus qui rejetait la noble grégarité civilisatrice parmi les déchets de l’ère post-industrielle.

J’avoue ne pas être un spécialiste de l’économie transcontinentale, mais, issu des bancs de l’école républicaine, mes candides connaissances arithmétiques me permettent une gestion monétaire familiale sans faille et lorsque je dédie dix euros à un poste je conçois parfaitement qu’ils manqueront ailleurs, à moi de compter au mieux afin que les différentiels soient le plus faibles possible et que la ventilation semble la plus équilibrée, comme nous l’enseignèrent nos anciens. De fait, nos aïeux avaient appris à gérer leur argent et tout naturellement comprirent qu’une société ne devait guère être différente, ainsi ils appliquèrent le bon sens à l’ensemble du pays et de la nation, l’état social était né.

Les vieux poncifs, "quand il y en a pour deux....", "il vaut mieux un tiens...", "l’union fait la force", "on a toujours besoin d’un plus petit que soi", tous ces adages relégués à l’état de poussières me sautent à la face et J.-M. Sylvestre litanise contre les 35 heures, pour le travail précaire, adulant le libéralisme au rang d’icône des temps modernes, dressant temples et statues aux déesses bourses et actions, déifiant l’individualisme combattant, réduisant les solidarités en pures injures à l’humanité entière. Et pourtant, que serait-il, l’honoré de la nation, le fossoyeur des partages, sans cette solidarité qui le sauva dans ce paradigme solidaire qu’est la Sécurité sociale ?

La solidarité, suprême symbole d’équilibre, berceau des sociétés de l’insecte à l’humain, est agonisante, nos sociologues l’éludent, nos politiques l’évitent, et tout un chacun n’y voit aucun sens, néanmoins elle est omniprésente dans le long chemin de nos sinueuses vies, de la santé aux restos du coeur, des assurances aux diverses mutuelles, des routes aux transports en commun, même nos banques reposent sur cette sacro-sainte solidarité.

Or, l’internationalisation, la mondialisation, la dérégulation, autant de maladies qui affectent les assises de l’humanité, sont les nouvelles idéologies de nos économistes rêvassant dans leur prestigieux cocooning parisianiste, faisant loi de leur incompréhension au partage, ils ne conçoivent plus que 2 + 2 + 2 + 2 sont économiquement plus constructifs que 6 + 2 + 0 + 0, que quatre hommes bien nourris et socialement sécurisés sont bien plus productifs et consuméristes qu’un nanti, un sécurisé et deux précaires, que la consommation des 4 premiers est de 4 alors que celle des 4 autres se limite à 2.

Simpliste, me direz-vous, cependant la réalité est simple, et les illusions tant encensées ne font pas recette, lorsqu’un cinquième de la planète gaspille quand le reste crève de faim, il ne faut pas espérer voir un monde stable vidé de ses tentations hégémoniques ou obscurantistes, les peuples abusés par les mégalomanes monétaristes se réfugient dans les promesses paradisiaques gratuites, rénovant le concept solidaire dans son côté abject avec la bénédiction des puissants veules et aveugles.

Les grands principes de notre société demandent un rajeunissement linguistique, l’égalité n’est plus de mise, la liberté devient confuse et la fraternité a des relents communautaristes, nos anciens y mettaient un tout autre sens qui détermina les orientations sociales de la démocratie ; la liberté est cette sécurité en son sens large, tant galvaudée par les tenants de l’ordre, sécurité d’aller et venir, de garder son emploi, de pouvoir disserter sans risque ; l’égalité n’est autre que cette équité qui donne la même valeur à chaque humain muni ou démuni, malade ou sain, de toute race, sur tous les continents ; reste la fraternité, l’âme de l’humanité, celle qu’on nomme aujourd’hui solidarité, celle qui fait de l’humain un homme, responsable de lui-même à travers les autres, celle qui donne la force à l’espèce de survivre par delà toutes les différences, celle que les économistes vomissent au nom de ces principes libéraux iniques, paradoxaux et scabreux.

Oublieux de la parabole du paralytique, ils avancent à tâtons sur leurs jambes de bois mangées de termites, ignorant flaques d’huile et grilles fermées, prônant l’argent roi quand riz et eau manquent, quand maladies et infirmités règnent, quand pollutions et destructions se propagent, ils rêvent de lingots, de bons au porteur, de valeurs quand la seule valeur légitime est la vie de l’humanité et de son environnement, ils n’ont plus aucun sens de l’équilibre fragile qu’ils mettent tant de hargne à vilipender au nom de leurs idéaux désuets.

Solidarité, solidarité chérie, qu’ont-ils fait de toi ?


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