Sommes-nous des traîtres ?

par alinea
vendredi 6 mai 2016

Des traîtres à notre Patrie, à notre Culture, à nos frères ?

Nous qui suivons assidûment les nouvelles du Moyen-Orient, qui prenons la peine de chercher les infos et analyses ailleurs que dans les journaux ou médias aux ordres, et nous qui nous réjouissons de l'organisation de « l'autre » monde, à l'encontre du nôtre ? Nous qui soutenons la politique de Poutine, pensons qu'il est bon que Bachar el Assad gagne cette guerre, que l'Iran n'a jamais voulu détruire Israël, en un mot, qui soutenons l'ennemi.

Je pourrais m'arrêter là : nous sommes traîtres. Mais pourquoi donc ?

Je ne connais pas les raisons de tous, mais je les suppute, et je connais les miennes. Nous avons été bercés par le doux chant de nos valeurs universelles, notre culture sans pareil, alors, pourquoi donc ce petit germe d'insatisfaction devant les victoires de Napoléon, la fin de l'Algérie française, sa gégène et ses tortures et puis, bien en amont, le génocide des Amérindiens ? Quelle identification aux victimes, aux perdants nous a amenés à voir les nôtres comme des salauds ? Petite graine de compassion et de curiosité pour les autres que nous ne pouvions pas garder sans réflexion, dans un grand sac d'inférieurs. Qu'est-ce qui nous a fait lire Confucius, et la sagesse chinoise, l'antériorité de la science indienne, d'Inde, la beauté de l'harmonie des peuples « primitifs » ? Qu'est-ce qui nous a amenés à nous intéresser au Bouddhisme, aux chamans, aux rites initiatiques, aux coutumes, à l'étranger ? Qu'est-ce qui nous a attirés dans la musique arabe, dans la complexité et la finesse de leur architecture, la beauté de leurs tissus, de leurs parfums, la beauté de leur pays, le nomadisme de leurs peuples, leurs déserts, leur soleil écrasant ? Qu'est-ce qui nous a conduits à lire la littérature russe, écouter sa musique, rêver de ses steppes, craindre sa taïga, trembler de ses combats et nous approprier un instant « l'âme russe » ? Que n'avions-nous pas chez nous pour nous satisfaire ?

Pendant longtemps, nous rêvions sur des cartes, le nez dans des livres, et certains partaient, découvrir et aimer à la folie l'Afghanistan, la Syrie, l'Afrique et en revenaient avec des images, des livres.

Les premiers furent des Romain Rolland, des Huxley, des Jung, des David-Neel, mais des Lévy-Strauss, des de Foucauld, des Blixen, et tous ces westerns où nous nous identifions aux Indiens face à la grossière force arrogante des cow-boys. Pourquoi n'avoir pas suivi avec avidité les aventures d'un Christophe Colomb, ri de la Vénus Hottentot, s'être réjouis de l'esclavage, s' être esclaffés des plumes des chefs indiens, des peintures corporelles des Africains, mais avoir aimé leurs rites, leurs valeurs, et avoir accumulé au fil du temps les exemples de l'abjection de la suffisance des empires coloniaux ?

Il y a, tout au fond de ce regard, forcément quelque chose qui nous appartient, à nous tous, quelque chose édicté par l'origine chrétienne de notre culture, un respect, une admiration, une curiosité de l'autre, notre semblable. Nous n'avons pas niché dans notre cœur des inventions extra terrestres, des créations ex nihilo, une fantaisie, une contradiction pathologique. Pendant longtemps, nous avons eu le loisir de faire le distinguo entre nous et les autres attrayants ; il nous suffisait de suivre les nouvelles du monde qu'on nous donnait, de faire la part des choses entre les peuples et les politiques modernes toutes de guerres emparées, de tenir loin les abus qui pourtant pointaient.

L' Afghanistan fut un cap important. Là, les méchants Russes attaquaient ce pays mythique, et c'était inconcevable. Mais très vite les choses se précisèrent. Je passe l'Histoire récente que tous les traîtres connaissent. Et peu à peu notre chrétienté de base, même si nous ne sommes pas baptisés, qui nous avaient appris le respect, la non violence et surtout la justice et la tolérance, se faisait jour en nous sous des formes variées et nous poussait au triste constat que les nôtres étaient dans le mauvais camp.

Cette chrétienté bien sûr habite aussi ses traîtres dirigeants qui doivent mentir et abuser les gens. Pourquoi donc, sinon, tracer le portrait des « méchants » ? Nous donner toutes raisons de les abattre ? Le Chrétien détient le monopole de la Justice, Divine, aussi dans une abnégation exemplaire, se doit-elle de mettre tout en œuvre... pour créer le chaos.

Ils sont nombreux ceux qui ont besoin de se sentir dans le camp du bien et prompts à croire ce qui les flatte et les dirige. Ils sont nombreux ceux qui freinent des quatre fers, plissent les yeux pour voir moins loin et garder par devers eux cette dignité que donne le bien.

Ce n'est pas sans dommage, ce n'est pas sans tristesse que les traîtres le sont. Gardant par devers eux les valeurs fondamentales de notre civilisation, faisant figure d'arriérés, obsolètes démodés, ils y restent fidèles.

Quoi ? S'ingérer ? Imposer par la force notre vérité ?

Foutaises.

Plus personne ne peut ignorer aujourd'hui que cet argument, cet alibi cache des intérêts inavouables ; sont-ils pour nous ? Pour notre tranquillité, notre confort ? Nous sommes bien placés pour savoir que non, car dans la folie meurtrière de l'empire, nous, peuples d'occident, aussi sommes atteints. On nous atteint, on nous brime, on nous démunit. De la même manière. La lumière se fait jour quand le mal nous touche, et nous savons que nous ne valons rien, pas plus « qu'eux », les exotiques, logés à la même enseigne, corvéables ou exclus, notre mort serait un plus.

Aussi, nous, traîtres à la traîtrise, avons le devoir, d'abord de dire, d'éclairer, mais de trouver le chemin pour y guider les traîne-savate qui ne veulent pas quitter l'ancre de leur sécurité. Qui se donnent toutes les bonnes consciences pour s'aveugler et nier que nous sommes, traîtres ou pas, dans le même sac.


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