Sonate d’automne, vocalises de BHL, déliaisons, ruptures

par Bernard Dugué
lundi 15 octobre 2007

A l’heure où j’écris ces lignes, la séparation du couple présidentiel n’est pas encore officielle. Mais le moins qu’on puisse dire est qu’il y a de la rupture dans l’air. Qui ne date pas d’hier. Une dissension qu’on ne jugera pas, cela ne nous regarde pas, excepté le signe des temps que cette rupture incarne. Notre époque est marquée par la dissension, les conflits et par un style, celui inauguré par Mai-68. La parole libérée. Exprimez-vous, dites-nous ce que vous avez dans la tête, sur le cœur. Les slogans de mai étaient pénétrés d’espérances et d’aspiration envers un autre monde. Les phrases et autres réactions en 2007 sont marquées par le désenchantement, les ressentiments, les mécontentements, les petites haines diffuses. Un autre monde est possible ! Ce slogan avait une pertinence après 1968 où une réelle ferveur animait le cœur d’une jeunesse en quête de changement social, une jeunesse aussi passionnée que les premiers chrétiens dans l’Empire. Mais maintenant, l’autre monde possible des altermondalistes ressemble à une formule écrite sur un missel anti-libéral récitée à l’occasion des forums sociaux. Triste à pleurer que d’entendre les militants de la LCR chanter L’Internationale en pointant le poing de gauche désabusé que par compassion on inventerait le viagra gauchiste pour lui redonner une érection.

Dissensions. Tensions. Ruptures, voulue par Sarkozy, mais aussi ruptures subies par la société qui se disloque, se dissocie, une dissociété comme le dit Jacques Généreux. Dislocation, séparation de lieux, mais aussi de classes, de revenus, les deux faisant l’objet d’une articulation ; un cliché, boboland pour gens friqués en centre-ville, beaufland pour travailleurs dans les banlieues.

Beaucoup d’errances, de séparations, de haines, de disputes, d’agressions physiques et surtout verbales, dans une société qui perd chaque année un peu de sa cohésion. Le temps des vocalises est arrivé et BHL qui avec quelques incantations... et c’est dégueu, et ces salopards... tente de conjurer les mauvaises odeurs émanées du frontisme, à l’instar du four à pyrolyse qui élimine les mauvaises graisses. Sarkozy aussi y était allé sans complexe dans les vocalises utilisant quelques mots corrosifs, kärcher et racaille. Ne parlons pas des forums et des blogs car le net est un lieu où l’homme a perdu sa courtoisie et ses réflexes de retenue, devenant à l’image du supporter, éructant ses aigreurs, bref, loin de cette société de cours qui selon Elias, marqua de son empreinte des siècles de civilisation française. Dans notre France de défiance, les gens ne se frappent que rarement, mais les mots cognent durement, les gens se délient, d’autres se lient, et la vie sociale se fait et se défait. Se fiance et se défiance.

A cette époque de désenchantement, les élans collectifs ou personnels semblent emprunter quelques voies déviantes. Dépressions, mais aussi pulsions, harcèlement moral, perversion narcissique dans les cas les plus lourds. En politique, le problème de la gauche est qu’elle ne se situe plus dans un horizon de projet, d’espoir, de vie joyeuse orchestrée en commun et partagée par tous. La gauche a perdu la foi, mais pas ses militants et notables pour qui le bien commun est secondaire par rapport au combat politique. Les militants de gauche veulent que leurs candidats arrivent au pouvoir non pas pour un progrès social, mais pour le plaisir de battre la droite. Ils veulent du combat, de la vengeance, laver l’affront de 2002 puis celui de 2007. Ils ont eu Alain Juppé aux législatives et rêvent de le déboulonner du palais Rohan en 2008, exhortant en cela Alain Rousset à entrer dans l’arène, faut qu’ça saigne !

En paraphrasant Alain Finkielkraut, nous pourrions parler de guerre civile à très bas bruit, une sorte de bruit de fond qui grogne, un mécontentement, un sentiment de victimisation, entretenu par Sarkozy, mais aussi dans une autre optique par les gauchistes, un appel au coupable, une mise en place de la justice comme œuvre psychologique et non de droit, ainsi le procès prévu même en cas de reconnaissance d’irresponsabilité pénale, pour le travail de deuil des parties civiles. Dans un tout autre domaine, la chasse aux vélos a été lancée par la police et les piétons. Certes, quelques cyclistes abusifs sont coupables d’incivilité, mais c’est la première fois que ce spécimen naguère jugé comme un gentil pédaleur devient presque un prédateurs aux yeux de certains. Les PV pleuvent pour quelque feu grillé sans qu’il y ait danger et encore moins mort d’homme.

Alors, plus généralement, nous pourrions méditer sur ce progrès technique et faramineux qui, au bout, engendre cette société autant vaillante dans quelques domaines que vacillante dans d’autres secteurs, vie sociale, vie privée, séparation, convulsions nerveuses, crispations consuméristes, ressentiments, mots et maux. En vérité, la société vit une sorte d’éruption, de règlement de compte. Tous ces faits ne sont pas la cause, mais le dévoilement de maux et de construction intérieure des sujets et des ressorts sociaux mal fondée, mal agencée et un philosophe dirait, du faux, du factice, du négatif. Les politiciens ne cherchent qu’à réguler depuis des décennies, sans se poser la question des conditions de civilisation causant en profondeur ce marasme ordinaire ou délétère. A moins que l’homme, s’il n’est pas imprégné du péché originel, est voué à se pourrir la vie car en tant qu’être désirant, voulant et subissant, il se charge d’un lourd karma de frustrations, détestations, haines. Mais après tout n’est-ce pas la marque de l’existence humaine, avec ses contradictions, la plus fondamentale entre les désirs individuels et les conditions et règles du jeu social ? Ces mêmes contradictions qui ont enflammé l’Europe de 1914 à 1945 et qui actuellement, se manifestent dans le champ psycho-social.

Quelque ésotériste de passage pourrait vous convaincre que de mauvaises énergies traversent la société. Il n’en est rien. Certes, il se peut que les énergies (universelles) augmentent en intensité, mais elles ne font que pousser vers la tendance d’un processus inscrit dans la substance, si bien que si rupture il se produit, c’est que l’édifice était mal construit et pour parler en philosophe, en porte-à-faux. Il y a quelque chose relevant du jugement dernier et de la justice éternelle (un mixte au sens de la métaphysique de Proclus) selon Schopenhauer, quelque chose échappant à la rationalité, mais loin d’être irrationnel. La rationalité est trop limitée pour appréhender un ordre supra-rationnel. Comme on le voit, les émotions s’amplifient, depuis des années et se manifestent positivement dans les événements médiatisés, source de rassemblement des foules, puis négativement dans une série de faits dont la liste est étendue, les formes diverses, sourdes, sournoises parfois ; violentes en d’autres cas comme à l’occasion d’émeutes. Bref, rien de nouveau sous le soleil, dans l’agencement des principes métaphysiques. Les formes sociales, le style, les mots, eux, ont changé, avec l’Histoire.

Dégeulasse, salopard, salaud, voilà littéraire le style de BHL à l’antenne, un style qui en jette et qui dispense de penser une fois que le philosophe le plus médiatique a parlé. Mais ce philosophe se préoccupe-t-il de toute la misère qui règne en France, de l’état de l’enseignement, de la condition étudiante, des précaires, des sous-logés, des expulsés ? Non, car sans doute, M. BHL ne connaît-il pas la condition des misérables, enfin, pas ceux d’ici. Il est de ce point de vue en phase avec Sarkozy qui, épris de luxe et de réussite matérielle, prétend parler et agir pour les smicards. L’Histoire sait que quand les aristos sont en délicatesse avec un peuple acquis par la persuasion, mais trompé par les actes (et les mots), quelque révolution peut en découler. Quoique, l’Histoire étant achevée, il se peut bien que la France se réfugie dans une « apathie active ».


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