Sondages interdits ? Il est temps !
par Guy Birenbaum
dimanche 6 mai 2007
Et si l’on interdisait les sondages durant toute la durée de la campagne présidentielle (la campagne officielle) ?
Vous savez que depuis vendredi minuit plus aucune chiffre ne circule - depuis la France... - qui puisse influencer l’opinion. Tout s’est arrêté pour que les Français votent "sereinement". Ces trop courtes heures de sevrage des citoyens me semblent insufffisantes. Surtout cette année tant jamais depuis 1981, l’entre-deux tours d’une présidentielle, et spécialement sa deuxième semaine, n’aura été marqué par une telle campagne d’intox.
Certes, en 2002, le déchaînement général contre la présence de Jean-Marie Le Pen avait déjà beaucoup dit de notre curieux rapport à la démocratie. Défilé monstre le 1er mai, incantations sur toutes les chaînes, éditos enflammés et surtout refus de Jacques Chirac de débattre avec son adversaire. Ayant participé à ce Barnum depuis ma place, je peux dire aujourd’hui comment cela me sembla problèmatique. C’est même ce détonateur qui me conduisit à écrire Nos délits d’initiés en 2003.
Mais aujourd’hui, la manipulation en cours est très différente et bien plus perverse. Elle associe les principaux sondeurs de la place et nombre des plus gros médias. Depuis le débat Bayrou/Royal, dont la tenue les a autant ulcérés que Nicolas Sarkozy, et suite au "vrai débat" de mercredi soir, "ils" l’ont, en effet, décidé : le président de l’UMP a gagné l’élection.

"C’est plié."
Tels sont précisément les mots que j’ai le plus entendus dans mon téléphone ces trois derniers jours. Mes amis de droite m’appellent déjà avec un air faussement compassé ; quant aux potes de gauche, ils ont eux-aussi été convaincus que c’était inéluctable.
La machine à formater l’opinion s’est, en fait, mise en branle dès le lendemain matin du débat, lorsque des sondages bidons sont venus imposer l’idée que Ségolène Royal l’avait "perdu" et surtout perdu ses nerfs. Peu importe que ces mesures soient totalement non scientifiques et viennent d’officines qui ont déjà prouvé leur légèreté. Après cette première salve, un ou deux sondages plus classiques sont venus renforcer la "tendance" et enfoncer la tête de la candidate socialiste sous l’eau.
Elle a perdu ; "ils" l’ont décidé.
Écoutez-là donc la jolie ritournelle des sondeurs ! Ils vous l’expliquent doctement : "jamais une tendance ne s’est inversée entre les deux tours d’une présidentielle". Leur réussite indéniable du premier tour les a si salement grisés qu’ils ont effacé leurs erreurs les plus grossières : Balladur donné vainqueur pendant des mois en 1995, Jospin jamais classé premier au premier tour en 1995, Le Pen jamais anticipé comme deuxième en 2002 et, évidemment, puisque nous parlons de second tour, François Mitterrand donné perdant en 1981...

En dépit des dénégations des uns ou des autres tendant à relativiser leur responsabilité ou leur influence, jamais l’usage fait des sondages durant une élection n’aura autant altéré la sincérité d’un scrutin. Et ce d’où que l’on se place. J’ai nommé cette dérive, comme bien d’autres, durant toute cette campagne la démocratie d’opinion. Mais je ne crois plus que ce terme soit adapté, tant il y a dans ce système de moins en moins de démocratie et de plus en plus de construction et de formatage de l’opinion.
D’abord, les sondages ont contribué pendant des mois à la fabrication puis à la sélection et à la qualification dans leurs camps des deux principaux candidats.
Ensuite, nous avons subi, pendant les mois suivants, un matraquage indécent sur le thème "Ségo/Sarko : la finale qu’il vous faut"...Jusqu’à l’extravagant éditorial de Jean-Marie Colombani dans Le Monde, à la veille du premier tour.
Puis, nous avons vécu en temps réel, et sans suffisamment nous y opposer, les tentatives répétées d’un institut - au nom vraiment prédestiné en termes de neutralité (CSA) - pour exister et faire l’événement. Temps 1 : faire monter artificiellement François Bayrou et descendre Ségolène Royal pour nous convaincre que leurs courbes allaient se croiser. Temps 2 : faire redescendre Bayrou d’un coup d’un seul, quelques jours plus tard pour de nouveau accrocher la "une" des journaux. Temps 3 : placer enfin, en une ultime embrouille, Jean-Marie Le Pen devant François Bayrou, peu avant minuit, juste au dernier moment où l’on pouvait encore sortir des chiffres, à 16,5%... On connait le résultat et la valeur de ce sondage !
Et encore, n’avons-nous pas demandé publiquement comment de mêmes sondeurs pouvaient squatter les plateaux télés des chaînes où ils avaient vendu leurs sondages tout en conseillant un candidat à partir du traitement détaillé des mêmes enquêtes... Vous avez dit conflit d’intérêts ?
Et je ne peux malheureusement pas évoquer la manière dont l’intox est amplement entretenue ce week-end...
Bref, le mal est fait et il est profond.
C’est précisément vendredi que j’ai entrevu que la manip était passée du stade artisanal à l’entreprise industrielle. Et au delà des sondages.
Je l’ai compris en écoutant les dernières interviews infligées - c’est le bon terme - à la candidate.
Soit qu’elle ait été questionnée vigoureusement sur des faits absolument majeurs... Son regard pendant le débat ou sa coiffure, la faisant ressembler à Cécilia Sarkozy, sans doute dans le but de déstabiliser le candidat : je vous jure que Christophe Hondelatte lui a posé cette question... Soit que l’entretien n’ait eu pour unique objet que de l’enfermer pile-poil dans l’image que voulait donner d’elle son adversaire. À ce titre, je vous recommande le traquenard dans lequel l’ont attiré Catherine Matausch et Jean-Michel Blier, vendredi soir, au 19-20 de France 3. J’ai rarement vu une interview aussi tendancieuse.
Ségolène Royal a eu bien raison de se révolter au micro de RTL et de profiter de ses toutes dernières tribunes pour fustiger cette entreprise de confiscation du vote des Français...
Mais il est bien tard.
Ah ! Quel dommage que ce bon François Bayrou, généralement si prolixe sur ces sujets qui touchent à l’équité du scrutin, n’ait rien trouvé d’autre à redire depuis mercredi soir et sa maigre sortie ! Lui, le pourfendeur à répétition des médias, des conglomérats, des sondages et de Nicolas Sarkozy réunis, comme son silence est pesant... Vais-je devoir finir par croire ce que certains m’ont laissé entendre, dès avant le premier tour, sans que je veuille les écouter ? À savoir que le patron du futur Mouvement Démocrate aurait parcouru tout ce chemin dans l’unique but de plumer la gauche et de devenir le grand patron de l’opposition au Président Sarkozy ?
Avouez que ce serait moche...
En tous cas, dès le résultats connu, sondeurs et médias doivent être interpelés publiquement sur leurs pratiques.
Il n’est pas possible que les législatives aient lieu dans le même climat.
D’ici là, allez voter Royal pour faire mentir les sondages !
PS : Je rassure mes amis de la cellule spéciale de la Commission nationale de contrôle de la campagne électorale ; pas la peine de vous fatiguer à cliquer dans ce papier la rage au ventre. Je n’ai pas glissé subrepticement de liens vers l’un des médias étrangers qui donneront le résultat avant 20 heures. En revanche, les deux illustrations de ce billet sont des affiches originales de ce mai 68 dont il faudrait désormais "liquider l’héritage". Ça, ce n’est pas encore interdit...