Sondages présidentiels : au service de l’UMP ?

par Nicolas Cadène
mercredi 14 février 2007

La campagne présidentielle 2007 est l’occasion de multiples sondages qui semblent peu crédibles et parfois manipulés.


C’est étrange mais plus les instituts de sondages se trompent et plus les Français sont sondés. Faut-il rappeler les échecs passés lors d’élections françaises ? Trois mois avant le scrutin de 2002, les candidats Jacques Chirac et Lionel Jospin arrivaient en tête avec 23 % des intentions de vote, loin devant M. Jean-Pierre Chevènement, qui en obtenait 12 %, et M. Jean-Marie Le Pen, qui était gratifié de 8 % (Sofres, 4 février 2002)[1] ?

Faut-il rappeler les échecs plus récents qui sont intervenus en octobre dernier en Belgique (il avait été pronostiqué une nouvelle poussée de l’extrême droite flamande, en particulier à Anvers), au Brésil le même mois (nombreux voyaient le président Lula Ignacio da Silva l’emportait au premier tour), ou en Autriche (les sociaux-démocrates ont mieux maintenu leur position que la droite : les sondages pronostiquaient l’inverse) ?

La campagne de l’élection présidentielle 2007 connaît ainsi une multitude de sondages (portant même sur le second tour, ce qui n’a guère de sens), chaque semaine, alors même que tous donnent les mêmes tendances du moment. Comme ils sont publiés les uns après les autres, nous connaissons une répétition d’une seule et même information. Cela a d’ailleurs déjà été dit sur AgoraVox par Yann Riché[2].

Une seule et même information répétée et relayée par l’ensemble des médias alors même qu’elle peut s’avérer totalement erronée, tant les enquêtes peuvent être menées de façon artificielle ou sur un échantillon trop contestable.

Au-delà, comment accorder une crédibilité sans nuance à certains sondages comme ceux de l’Ifop dont la présidente n’est autre que Laurence Parisot, également présidente du Medef et proche du candidat UMP Nicolas Sarkozy ?

En réalité, les sondages parasitent le terrain et dans la plupart des cas ne retranscrivent pas la réalité. Le Monde diplomatique[3] relève un exemple probant : « Quand M. Nicolas Sarkozy ou son conseiller politique M. François Fillon ont pris des positions démagogiques en matière de répression des jeunes délinquants ou de remise en cause des « régimes spéciaux », un sondage a aussitôt été diligenté. Le 15 septembre dernier, par exemple, Aujourd’hui en France titra en Une : « Retraite, la fin des privilèges, les Français sont pour ». Et, en matière de sécurité, c’est au moment précis où un policier brutalisé témoignait des violences qu’il venait de subir que l’« enquête » intervint. »

L’ancien président de la Sofres, Pierre Weill fut « stupéfait » devant un enquête si biaisée : « On est stupéfait à la lecture des deux enquêtes, de voir à quel point les réponses sont dans les questions : au point qu’il est légitime de se demander si les résultats reflètent l’avis des sondés ou le pressentiment des sondeurs ! L’Ifop, par exemple, introduit ainsi le questionnaire de l’étude qu’il a réalisée pour le Figaro et LCI : « A propos de la récente agression de deux CRS à Corbeil-Essonnes et plus généralement au sujet de la délinquance, êtes-vous tout à fait d’accord, plutôt d’accord, plutôt pas d’accord ou pas d’accord du tout avec les affirmations suivantes ? » Difficile, lorsqu’on vous apostrophe ainsi, de ne pas donner dans la surenchère répressive, sauf à se sentir d’une lâcheté coupable envers les deux CRS victimes d’agresseurs ignobles »[4].

En comparaison, ce qui est tout à fait étonnant, c’est l’absence de sondages après la rencontre de M. Sarkozy avec le président des Etats-Unis Georges W. Bush, après ses déclarations condamnant en territoire étranger la politique étrangère du gouvernement auquel il appartient, ou après son déplacement raté en Corse : aucune enquête d’opinion ne nous a instruits de ce que les Français en pensaient dans un pays qui produit pourtant deux sondages par jour en moyenne.

Alors les sondages sont-ils un outil pour servir certains candidats ? Et en particulier (uniquement ?), celui de l’UMP ?

On peut légitimement se poser la question. En ce sens, soulignons l’étrange manœuvre ayant eu lieu autour du discours de Mme Royal, le dimanche 11 février 2007 à Villepinte :

- Tout d’abord, l’ensemble des médias a focalisé la population sur cette intervention en affirmant qu’il s’agissait d’une étape essentielle voire « vitale » pour la campagne de la candidate socialiste.

- Le discours ayant été particulièrement bien reçu par l’ensemble des présents et des commentateurs, on a assisté à un réajustement du positionnement des médias qui se sont montrés plus impartiaux pour nombre d’entre eux.

- Pour autant, très vite, alors que l’ensemble des médias appelait à plus de propositions la veille du discours, ce contenu a été tout simplement ignoré, bien que très abondamment traité par la candidate pendant près de deux heures.

- Dès le lendemain, été rendu public et relayé un sondage donnant une nouvelle fois Ségolène Royal perdante, alors même qu’il était tout à fait obsolète et ne prenait pas en compte la prestation de cette dernière.

- Le même jour et comme chacun s’en doutait, nous avons assisté à une médiatisation abusive sur le financement des mesures, alors même que cela n’avait jamais été demandé à Nicolas Sarkozy, sous-entendant, -ce qui a bien entendu été infirmé depuis, mais trop tard- que le programme de Mme Royal était un « gouffre financier irresponsable ».

- Etrangement, le mardi 13 février, la population prend connaissance d’un sondage réalisé par l’Ifop, dont la présidente Laurence Parisot est proche du candidat UMP.

- Précisément, ce sondage donne une avance encore plus large de M. Sarkozy sur Mme Royal que précédemment au discours de cette dernière. Le rapport est alors de 54 % contre 46 % au second tour.

On saisit alors aisément la volonté de « casser » la dynamique de Ségolène Royal suite à son discours reconnu comme de très haute tenue. Volonté de l’UMP relayée par un institut de sondage « ami ».

Il faut préciser que ce sondage a été commandé par Paris Match, propriété d’Arnaud Lagardère, ami intime du président de l’UMP.

Il a été effectué le lundi 12 février 2007 auprès de seulement 879 personnes et alors que la population n’avait pas eu le temps de prendre en compte le discours prononcé la veille par Mme Royal. Mais aucune nuance n’est apportée au sondage de l’Ifop et il est bien précisé : « sondage réalisé après le discours de Ségolène Royal ».

Mais sur ce point, Jean-Christophe Cambadélis a justement réagit. Il s’est ainsi plaint d’une enquête « sauvage car trop rapide ». « Combien de Français ont vu le discours (à la télévision)  ? Combien ont eu le programme entre les mains ? », s’est-il demandé. « En moins de 24 heures, vous voudriez que l’ensemble de la France soit au courant des propositions  ! ». « Laissez infuser le discours de Ségolène Royal, et laissez-nous (le) diffuser », a-t-il lancé. « Quand les Français verront réellement les propositions et feront la comparaison avec le programme de Nicolas Sarkozy, je n’ai aucune crainte ». Enfin, il a estimé qu’ « Il y [avait] un vrai souci : la rapidité de l’espace médiatique qui ne correspond pas à la manière dont nos concitoyens abordent le débat politique ».

Comment les médias peuvent citer en boucle des sondages donnant un rapport de 51 % à 49 % ou de 52 % à 48 % alors même qu’un résultat aussi serré n’a aucune valeur statistique du fait de la marge d’erreur (plus ou moins 3 %).

Cela explique peut-être le fait que depuis peu, certains sondages sont ainsi un peu plus large avec un rapport de 53 % à 47 % ou 54 % à 46 % (celui de l’Ifop) : pour se rendre plus crédibles ?

Notons aussi le rappel important fait le 6 février dernier par la Commission des Sondages mais relayé par aucun média :

« Ayant constaté une certaine tendance des commentateurs des sondages portant sur la prochaine élection présidentielle à présenter les pourcentages d’intentions de vote comme permettant un classement des candidats selon la préférence des électeurs, la Commission croit utile de rappeler que l’interprétation de tels sondages doit se faire compte tenu de la marge d’incertitude qui les affecte.

La taille et les modalités de constitution des échantillons ont notamment pour effet que les résultats obtenus par les candidats réalisant, dans les intentions de vote, un score qui n’excède pas, après redressement, un pourcentage de quelques points ainsi que les écarts de cet ordre qui séparent deux candidats ne sont pas véritablement significatifs. La Commission demande donc aux instituts ainsi qu’aux organes de presse qui assurent la publication ou la diffusion des sondages d’alerter l’opinion publique sur la prudence avec laquelle ces résultats doivent être interprétés. »

Il n’y a en fait que peu d’ « alertes » sur la faible crédibilité des sondages, et ces derniers continuent d’affluer.

Pourtant, il ne s’agit pas de satisfaire une quelconque ferveur des Français pour les sondages : ces derniers sont assez impopulaires.

A l’inverse des sondeurs français, ceux américains l’admettent clairement : « Nous, les sondeurs, aimerions penser que le public nous aime. Mais, au mieux, le public tolère les sondeurs. Au pis, il pense que nous sommes à vendre au plus offrant »[5].

Qui dit hostilité, dit refus de répondre : c’est pourquoi une dizaine d’appels téléphoniques est désormais nécessaire avant d’enregistrer un questionnaire, et le taux de réponse diminue depuis plus de vingt ans : « Pour une profession complètement dépendante de la gentillesse d’étrangers, précise M. Witt, c’est, en effet, une mauvaise nouvelle. »

Comme l’a aussi révélé Le Canard Enchaîné[6] dès 2002, en 1998, des chercheurs de Sciences-Po ont décortiqué les réponses utilisées par la Sofres pour un sondage. Ils y ont découvert que les diplômés du supérieur apparaissaient en surnombre dans l’échantillon utilisé (18 % des sondés contre 8 % dans la réalité), tandis que les « non-diplômés » se trouvaient sous-représentés (7,8 % contre 20 %).

Or les électeurs du Front national sont nombreux dans cette catégorie modeste. D’autres catégories - habitants des quartiers difficiles, ouvriers, chômeurs - sont pareillement négligées. Interviewé par « Envoyé spécial » le 29 mars 2002 sur France 2, un enquêteur de terrain confessait que les bidonnages étaient courants sur ces « éléments de quotas » manquants.

Pourquoi connaissons-nous de telles dérives dans le choix des échantillons qui servent de base aux enquêtes ? Parce que comme on l’a vu plus haut, de plus en plus de personnes refusent de répondre aux « météorologues de l’opinion ». Soumis aux mêmes impératifs de temps qu’auparavant, les instituts livrent des travaux effectués à partir d’échantillons de plus en plus maigres. Ainsi, on ne peut porter de véritable crédibilité aux sondages. Finalement, le sondage est au mieux une indication sur une tendance ... au mieux.

Alors, il y a peut-être un premier intérêt à la prolifération des sondages. C’est, pour les médias, celui de surestimer ou de sous-estimer un ou une candidat(e) et de procéder à un classement (comme le confirme le rappel de la Commission des Sondages, cité plus haut) : nous avons ainsi l’organisation d’un suspense qui ne peut que rendre les débats plus animés et les médias plus sollicités, plus écoutés, plus lus, plus regardés.

Actuellement, on peut penser que c’est le cas pour François Bayrou et Jean-Marie Le Pen. En effet, François Bayrou qui est crédité autour de 14 % des voix et de plus en plus classé comme étant « le troisième homme », connaît également le taux de personnes incertaines de leur choix le plus fort.

Un second intérêt peut être de « disqualifier » certains candidats à la présidentielle. Certains se voyant trop bas auront tendance à se retirer, de peur de ne pas parvenir au 5 % permettant le remboursement des frais de campagne. En 2002, le candidat écologiste investi, M. Alain Lipietz, avait dû laisser la place car maltraité dans les journaux et ne décollant pas dans les sondages.

Pour Alain Garrigou[7], professeur de science politique à l’université Paris-X-Nanterre, les raisons de la prolifération d’« enquêtes électorales » sont finalement très élémentaires : « Leur publication est stimulée par les mécanismes de fixation des tarifs publicitaires de la presse, établis à partir des tirages et des citations des « supports ». Quand un périodique commande un sondage et qu’il est cité dans d’autres journaux ou revues de presse, ce périodique se fait de la publicité. Cité lui aussi, l’institut ayant réalisé l’étude s’en fait tout autant. Or la notoriété est vitale pour des organismes qui réalisent l’essentiel de leur chiffre d’affaires avec le marketing commercial, mais dont les sondages politiques, ne représentant que 5 % à 10 % du chiffre d’affaires, sont les vitrines. En somme, grâce à la notoriété accumulée en politique, les sondeurs peuvent plus facilement obtenir des contrats pour interroger sur la consommation, les désirs et les marques de cosmétiques, par exemple. Ils ont en outre acquis un statut quasi officiel en se substituant au ministère de l’intérieur depuis qu’ils assurent la logistique des médias audiovisuels lors des soirées électorales[8]. Les sondés potentiels se laisseront plus aisément convaincre, et les commanditaires apprécient la célébrité de prestataires qui « passent à la télé ». »

Le Canard Enchaîné avait également révélé cette recette simple au coût modique : Pour un prix avoisinant les 5000 euros, « on espère donner un coup de fouet aux ventes grâce aux multiples citations dans la presse que favorisent ces scrutins en miniature. Et l’on remplit à peu de frais des pages de chiffres et d’éditos savants. L’opération, d’une efficacité désarmante, se déroule en trois temps : dépêche de l’AFP la veille, parution de l’enquête, reprises par les confrères écrits et audiovisuels le jour même, nouvelles exégèses et digressions le lendemain. Le bénéfice est double, car les régies publicitaires de ces journaux ont l’œil fixé sur le nombre de ces reprises et en tiennent compte pour augmenter leurs tarifs de réclame. Par ailleurs, certains de ces mêmes sondeurs mesurent l’audience et la diffusion de ces médias ainsi que leur « taux de pénétration » dans les différentes catégories de public. Et ils en tirent des indications précieuses pour les annonceurs (publicitaires). Le mélange des genres règne donc gaiement. Pas question, pour les journalistes, de trop insister sur les bavures passées des sondeurs, sur leurs contradictions hebdomadaires, sur l’importance de leurs marges d’erreur ou sur l’insuffisance de leurs échantillons. »[9]

Le vrai problème est que cette relation d’intérêt ne fonctionnerait pas avec autant de fluidité si les sondeurs et les responsables médiatiques ne s’entendaient aussi bien. Les directeurs des « instituts » de sondages et les patrons des canaux de diffusion de l’information ont en effet la même façon de percevoir le monde et la politique. Et ces derniers, on le sait, sont tous des proches de Nicolas Sarkozy (voir mon article précédent[10]).

D’ailleurs, notons que ce sont les propres sondeurs qui commentent abondamment les sondages dans les médias, ce qui ne permet aucunement de relativiser des résultats.

On le comprend donc aisément, les sondages des grands instituts constituent aujourd’hui un outil au service du candidat et président de l’UMP, Nicolas Sarkozy. Paranoïa ?

Les sondages peuvent agir sur la réalité. Ce ne sont pas les sondés mais les sondeurs et les décideurs médiatiques qui influencent sur la sélection des candidats.

C’est la participation des sondages dans la sélection des candidats et dans leur médiatisation, la collusion des intérêts avec les médias, qui entraînent le fait que les candidats consacrent l’essentiel de leur temps à promouvoir leur image plutôt que des idées. En l’espèce, la palme revient à Nicolas Sarkozy.

Pour conclure, un exemple concret : le 8 juin 2006, un sondage BVA-Le Figaro-LCI donnait ce titre du quotidien : « Pour 56 % des Français, Sarkozy fait les bons choix ». L’article n’évoquait pas d’autres résultats bien moins conformes à ce satisfecit, comme par exemple le fait que 81 % des sondés attribuaient l’insécurité à la dégradation des conditions de vie et à la pauvreté, que les médias créaient le sentiment d’insécurité pour 73 %, etc.

Résumons : celui qui commande, celui qui paye et qui fait publier peut faire dire ce qu’il veut aux sondages. Ceux qui commandent, qui payent, qui publient sont tous ou presque des proches du candidat UMP ...

Nous ne savons pas ce qui va se passer dans les prochaines semaines mais espérons que nous nous souviendrons une bonne foi pour toutes que les sondages se trompent toujours et que parfois, comme nous l’avons vécu en 2002, ce qui sort des urnes est l’expression malade d’une manipulation médiatique qui dégénère.



[1] Les résultats : M. Chirac : 19,88 % ; M. Le Pen : 16,86 % ; M. Jospin : 16,18 % ; M. Chevènement arrivait en sixième position avec 5,33 %.

[2] « L’écho des sondages résonne dans les médias », Yann Riché, AgoraVox, 7 février 2007.

[3] « Sondages : de qui se moque-t-on ? », Le Monde diplomatique, 11 octobre 2006.

[4] Propos repris dans le même article.

[5] Evans Witt, Public Perspective, université du Connecticut, juillet-août 2001, repris dans Le Monde diplomatique, juin 2006.

[6] Le Canard Enchaîné, 3 avril 2002.

[7] « Infernal manège des sondages », Le Monde diplomatique, Alain Garrigou, juin 2006.

[8] Jusqu’aux années 1970, les soirées électorales de la télévision et de la radio étaient organisées en direct avec le ministère de l’intérieur (qui centralisait les résultats officiels).

[9] Le Canard Enchaîné, 3 avril 2002.

[10] « Une campagne médiatique aux ordres de Nicolas Sarkozy  », Nicolas Cadène, AgoraVox, 7 février 2007.


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