Songes cartésiens à la saint-Martin. Songes inédits en 2015
par Bernard Dugué
mardi 10 novembre 2015
Descartes, le plus célèbre des philosophes français, est diversement apprécié et compris mais nul ne remet en cause son apport considérable dans les connaissances. En une formule, on peut le situer comme celui qui a poussé la modernité dans l’âge de raison, alors que la scolastique faisait office d’âge du dogme. Descartes n’a pas émergé seul dans son époque. Il a été influencé par ses maîtres jésuites ainsi que par une conjonction de savoirs mêlant les influences ésotériques, rosicruciennes notamment, aux nouvelles connaissances scientifiques, plus spécialement dans le domaine de la cosmologie et des mathématiques. On doit à Descartes une ontologie dualiste, avec la substance du corps et celle de la pensée ou de l’esprit. On lui doit aussi une conception mécaniste de la nature qui, on ne le sait pas assez, est en étroite connivence avec la méthode développée par Descartes pour résoudre des problèmes en les découpant en parties tout en cherchant la vérité. Il faut du temps pour entrer dans la pensée cartésienne mais une chose est acquise, c’est la rupture qu’elle marque avec la vieille scolastique épuisée et rendue inopérante, tant pour utiliser les possibilités de la nature que celles de la raison et la pensée. Un univers mécanique se prête à un usage technique avec des rouages et des transmissions d’influences. Il repose sur des objets aux propriétés stables qu’il est possible de manipuler et de mesurer. Les choses mécaniques sont très différentes dans leur conception et leurs usages pratiques que les choses basées sur les essences dans l’univers de la scolastique.
L’époque dans laquelle vécu Descartes fut agitée dans tous les sens du terme. Agitation religieuse, conflit entre protestants et catholique traduit en terme militaire par la Guerre de trente ans qui débuta en 1618, l’année précédant les songes de Descartes qui après cette épisode eut la conviction qu’il devrait œuvrer pour la science alors qu’il se préparait à faire carrière dans les armées. Les conflits religieux n’expliquent pas tout car les ambitions personnelles et les disputes territoriales ont alimenté cette guerre qui causa également des troubles dans le royaume de France avec l’épisode de la Fronde. A cette époque la chasse aux sorcières était courante et les âmes plutôt inquiètes avec les questions sur le démon, y compris dans le domaine des rêves. Beaucoup de traités furent publié sur la nature des songes et leur origine qui, si elle est extérieure à l’homme, est soit divine soit démoniaque.
C’est donc dans la nuit du 10 au 11 novembre que Descartes eut les trois songes qu’il interpréta comme la confirmation de son destin philosophique. Le savoir qu’il se préparait à élaborer le plaçait face à de grandes difficultés. Il souhaita s’en remettre à Dieu mais la voie dans laquelle il était engagé ne se ferait pas avec l’aide de la religion, si bien que Descartes se crut entraîné par une volonté extérieure à la sienne mais extérieure également à Dieu. Avec comme voie l’élaboration d’une science profane, moderne, adaptée au séjour terrestre de l’homme sur cette terre. Une science qui a pour ressort la technique et la raison.
La thèse d’une volonté autonome semblant émerger extérieurement mais sans lien avec Dieu nous paraît assez étrange. C’est pourtant un avènement dans le sujet qui traduit le mouvement de l’information devenu autonome. La raison n’est plus au service de la théologie, elle peut se mettre au service de l’homme et de la technique. Contrairement à une idée reçue, la technique précède et rend possible la science qui en retour, sert à perfectionner la technique mais sans en déterminer les ressorts.
La science est très souvent un moyen pour la technique. Tel est le ressort de la modernité. Quand la science sera une fin, alors nous changerons d’ère.
Je vous avoue avoir fait quelques songes ces dernière années, pendant cette période autour du 11 novembre, lorsque le ciel d’automne décline en offrant une grisaille tenace mais aussi de flamboyants couchers de soleil laissant entrevoir un crépuscule incendiaire. Comme si le monde se préparait à renaître de ses cendres. En 2015, le monde est troublé et le conflit au Proche Orient ressemble à une nouvelle guerre de trente ans. Avec un fond religieux, des rivalités personnelles, des enjeux territoriaux. Est-ce le moment d’un basculement, avec la science moderne épuisée, saturée, faisant office de scolastique mécaniste et rationnelle ?
La nouvelle science ne cherche pas l’efficacité mais la vérité. Une certaine vérité qui sonne comme une résonance avec l’univers et se prête à un usage philosophique pour acquérir non pas un savoir faire dans l’ordre matériel mais une nouvelle sagesse, une compréhension de soi et de l’univers qui nous entoure. Lors d’un précédent songe, je m’étais retrouvé manipulant de très savantes formules mathématiques pénétrées d’une résonance toute ésotérique, puis sur un banc d’amphithéâtre assis aux côtés de jeunes physiciens lors d’un congrès.
Les objets n’existent pas nous dit la physique quantique. La science moderne est achevée et la nouvelle connaissance pas encore là mais on ignore si l’homme contemporain veut accéder à une nouvelle sagesse ou bien juste dévorer le temps, le monde et ses matérialités. Le joueur, le prédateur et le sage, trois figures métaphysiques au sens de Jünger, c’est-à-dire au sens du travailleur dans les années Reich et Staline.
Nous ne sommes plus au temps de Descartes. Tout se joue entre les hommes. La nouvelle science advient mais nous ignorons quel est son ressort ni son statut. Peut-on évoquer une science sacrée, voire divine ? Il fut un temps où les hommes prenaient Dieu pour la source du salut. En 2015, les hommes sont-ils devenus un cauchemar pour Dieu ? Non, puisque Dieu ne rêve pas, seuls les hommes ont des songes.
Je n’ai plus l’âme volontaire depuis l’usure du temps. Mais si un songe se dessine, je l’accueillerai avec bienveillance. Les aiguillages sont produits par la conscience ou par le destin comme dirait Jung en parlant de ce qui ne parvient pas à la conscience. J’ai connu les bifurcations du destin, je suis en conscience maintenant. Un songe ne serait pas de trop pour parvenir à la pleine conscience. Mais l’avenir est peut-être un cauchemar, ou une farce. Je ne me pose plus de questions sur une voie trouvée et confirmée depuis bien des années. C’est juste la réceptivité, l’accueil du monde qui me trouble et rend mes recherches difficiles ainsi que l’accueil pour la nouvelle science que je propose avec d’autres. L’homme est devenu le fardeau de l’humanité et de la civilisation !
La nouvelle science arrive avec la vérité. Rien ne peut l’arrêter car elle est dessinée avec l’éternité. Les faussaires peuvent gagner la partie sur le court terme. Mais les heures de l’homme sont comptées et la mort est complice des temps meilleurs. Dieu et la mort sont les seules sources d’espérance pour une humanité en quête de sens et de vérité.