Sortir de l’euro, non, mais sortir du délire, oui !

par Bernard Dugué
vendredi 17 décembre 2010

Les gens manquent complètement de repères et sont démunis face aux exigences de comprendre une situation économique que les journalistes eux-mêmes survolent et trahissent en lançant quelques formules prétendument savantes. Quant aux économistes et aux politiques, ils ne sont pas d’accord et l’on ne parvient pas à saisir quelle est la part de savoir qu’ils maîtrisent, ni dans quelle mesure leurs intentions personnelles interfèrent avec le contenu de leur discours. Je m’explique. Certains ont comme fond de commerce la critique du système, la posture d’indignation, alors ils ont tout intérêt à noircir le tableau, ou à pratiquer l’angélisme, selon le bord où ils se trouvent. Quant aux médias, ils ont pris l’habitude de sacrifier au sensationnel, aux peurs, mais avec modération et sous couvert des déclarations de personnalités référentes. On l’aura constaté lors de l’épisode pandémique mais aussi à d’autres occasions, à propos des cendres volcaniques, du climat, de la crise financière. Les médias ayant pignon sur ondes inquiètent mais avec pondération. L’Internet au contraire se plait à quelques « buzz paniques », relayant parfois des théories bien ficelées par d’habiles enquêteurs qui tapent parfois dans la vérité mais d’autres fois, se prennent à élaborer des délires complotistes, millénaristes, apocalyptiques.

Récemment, Pierre Jovanovic a eu son heure de gloire en annonçant dans une émission l’apocalypse financière. Cette thèse, habilement proposée avec quelques données récupérées, tape directement dans la cible des individus qui croient qu’on nous cache tout. Cette transparence est érigée en garantie de véracité. La confusion des mots et des sens est à son apogée. « Ce qui est transparent est vrai, ce qui est caché est faux ». Cette formule conviendrait parfaitement à une devise clamée par le populisme. Justement, à l’occasion des soucis financiers de l’Europe, le populisme revient avec une idée qu’on aurait cru impensable il y a deux ans. Sortir de l’euro. Voilà le grand débat qui agite les médias et quelques intellectuels en cette fin d’année 2010. Il faut dire qu’une poignée d’économistes, le libéral Christian Saint Etienne ou l’eurosceptique Alain Cotta, ont publié des essais sur un scénario de sortie de l’euro avec arguments à l’appui. Cette idée est relayée par quelques politiques dont Nicolas Dupont Aignan dont on ne mettra pas en doute la sincérité mais plutôt la capacité d’analyse embrouillée par quelques braises gaullistes qui ne sont plus d’actualité. Aux nationalistes de notre époque s’ajoutent quelques gauchistes d’une autre époque, croyant encore au communisme, et qui aimeraient bien se « faire l’euro » et retourner au franc. Voilà une union sacrée rappelant les tout débuts de la cinquième République avec les gaullistes et les cocos pratiquant une sorte de co-gestion du pays. Mais sans la mayonnaise médiatique, la sortie de l’euro ne serait qu’une banale billevesée. Les sondeurs sondent l’idée de quitter l’euro, une idée qui fait son chemin et se propage dans le panel des sondés qui lisent aussi les sondages dans les journaux.

Est-ce une bonne idée que de sortir de l’euro ? Pour le savoir il faudrait un exposé roboratif qui n’a pas sa place dans ce billet. Juste un argument économique. Les Etats-Unis fonctionnent avec le dollar alors que ses Etats n’ont pas le même dynamisme économique et qu’à peu de choses près, le Montana et la Californie sont aussi éloignés que l’Allemagne et le Portugal. L’argument d’un euro discrédité par les différentiels économiques ne tient pas. Aussi je me contente d’affirmer haut et fort que la sortie de l’euro serait désastreuse et donc, la plus inquiétante des conneries qu’on a vue en Europe depuis le traité de Versailles signé après l’armistice de 1918. Ceux qui pensent qu’il est possible de sortir de l’euro et que ce sera la solution ressemblent aux psychotiques de Desproges qui croient qu’on peut habiter dans un château en Espagne. Pour la Grèce ou le Portugal, la sortie de l’euro aurait pour conséquence d’enfoncer ces pays bien plus qu’avec les mesures de rigueurs décidées en contrepartie d’une solidarité européenne. Ceux qui imaginent ce scénario sont les Néron du 21ème siècle. En Allemagne des voix s’élèvent aussi pour quitter l’euro mais pas pour les mêmes raisons. Ce serait plutôt pour donner un peu plus de puissance à la locomotive économique germanique qui a l’impression de traîner trop de wagons de queues et notamment ces pays au dynamisme industriel moins performant. Pour résumer, l’Allemagne craint un scénario à la japonaise et pense le contourner en quittant l’euro alors qu’en sortant de l’euro, la Grèce et le Portugal et sans doute l’Espagne prennent le risque d’un scénario à l’argentine lorsque ce pays est sorti du currency board pendant la crise de 2000.

Ces propos ne seraient pas complet sans une dose d’analyse sociologique sur cette défiance vis-à-vis de l’euro qui ne repose sur aucun fondement, pas plus que la crainte du H1N1 ne justifiait une quelconque panique. Et encore, avec la grippe il y avait une indétermination alors que pour l’euro, on sait très bien que ce n’est pas la monnaie qui est en cause mais la politique. Le marasme est au rendez-vous mais la moins mauvaise des solutions reste une entente pas forcément cordiale entre les nations européennes gérant un même navire, une option largement préférable à un éclatement laissant la porte ouverte à une concurrence féroce entre des pays gérant à nouveau leur monnaie souveraine. Laissons ce scénario aux nihilistes actifs, tandis que les nihilistes passifs maugréent contre cet euro devenu le bouc émissaire de tous leurs malheurs. Evidemment, les politiciens ont fauté naguère en promettant la prospérité si la monnaie unique était installée. Mais si l’économie flanche, ce n’est pas la faute à l’euro. Triste époque que cette décennie 2010 s’annonçant sous les auspices du populisme et des ignorances conduisant aux petites et grandes colères. Mon mot de conclusion sera le même que dans mon essai sur la pandémie de peur. Nous vivons dans une Europe crépusculaire. En 2010, on s’en prend à l’euro comme on chassait les sorcières en 1610.


Lire l'article complet, et les commentaires