Sortir de l’euro ? Oui, mais…

par heliogabale
vendredi 23 janvier 2015

La sortie de la zone euro est défendue par de nombreux économistes et suscite une adhésion grandissante au sein de la population française… Pourtant, de nombreuses interrogations subsistent…

Quelle étincelle provoquera le démembrement de la zone euro ?

En l’état actuel des choses, on voit mal François Hollande se ranger du jour au lendemain du côté des partisans d’une sortie de la zone euro : outre le fait que cela ne correspond aucunement à ses penchants idéologiques, on voit mal cet homme qui manque cruellement d’audace provoquer un bouleversement mondial. Sans oublier, que les partisans d’une sortie de la zone euro restent minoritaires – un gros tiers – n’en déplaise à Marine Le Pen.

Toutefois, depuis plusieurs mois, les événements se bousculent, ranimant les craintes ou les espoirs (c’est selon) d’un démembrement de la zone euro. Au mois de mai 2014, on a assisté à une forte poussée des partis eurosceptiques ou europhobes. Depuis, cette vague n’a cessé de prendre de l’ampleur : pour ne prendre qu’un exemple, Podemos est dorénavant le premier parti d’Espagne dans les sondages. En Grèce, de nouvelles élections ont été convoquées et la victoire annoncée de Syriza agitent les technocrates européens qui multiplient les mises en garde envers le peuple grec afin qu’il vote bien. Merkel, plus franche du collier que l’incapable Moscovici n’hésite pas à parler d’une sortie de la Grèce de la zone euro, sans s’attarder sur les difficultés juridiques que préfigurent une telle éventualité. La semaine dernière, la Banque centrale suisse (BNS) a décidé d’abandonner son taux de change plancher avec l’euro, entraînant une forte appréciation du franc suisse : dans l’optique du Quantitative Easing européen, la Suisse préfère arrêter ses achats d’actifs en euros qui plombent son bilan. Enfin, le Quantitative Easing annoncé jeudi 22 janvier par la BCE sera supporté à 80% par les banques centrales nationales, ce qui ne va pas dans le sens d’une mutualisation des dettes et révèle plutôt un manque de confiance entre les pays de la zone euro.

La zone euro est un édifice fragile qui peut à tout moment s’écrouler sous l’effet de la moindre étincelle. L’étincelle pourrait être italienne : la population italienne se montre de plus en plus réticente envers l’euro qui est loin de lui avoir apporté la prospérité tant escompté lors de sa création : le PIB italien est à son niveau de 1999, date de création de la monnaie unique.

Une sortie de l’Italie de la zone euro entraînerait celle du Portugal, de l’Espagne et de la Grèce, fragilisant davantage la situation de la France au sein de la zone euro. Par ailleurs, cela rendrait définitivement caduc tous les discours prônant un changement des traités et du fonctionnement de la zone euro et qui sont généralement défendus par la gauche radicale.

Dès lors, il ne resterait plus que deux solutions à la France : continuer dans la voie de l’intégration européenne et converger vers les standards économiques allemands ou bien sortir de la nouvelle « zone euro-mark » qui ne manquera pas de se former.

 Les partis de gouvernement (UMP, PS et le centre) se positionneraient en faveur de la première solution. Le FN et les autres partis souverainistes en faveur de la seconde. Où se situerait alors la gauche radicale ? De son positionnement dépendrait l’issue du référendum.

Au sein de la population française, la fracture serait tout aussi prononcée : les retraités et les cadres (du privé comme du public) sont les catégories les plus attachées à l’euro et certainement les grandes bénéficiaires de celui-ci. En revanche, les jeunes et les catégories populaires (ouvriers et employés), premiers touchés par le chômage, sont nettement plus favorables à la sortie de l’euro.

De cette présentation (très) schématique des forces en présence et de leur positionnement par rapport à la sortie de la zone euro, on peut anticiper un résultat très serré à l’instar du référendum du Traité de Maastricht qui avait décidé de l’entrée de la France dans la zone euro…

 

La sortie de la zone euro et le nécessaire contrôle des capitaux…

La sortie de la zone euro entraînerait immédiatement une fuite des capitaux vers les pays dont la monnaie aura été réévaluée par rapport au Franc et qui présentent une plus grande solidité financière et économique (Allemagne, Suisse etc.).

Pour éviter une telle situation qui pourrait mener rapidement la France à un défaut de paiement, il faudrait mettre en place un contrôle des changes : l’une de ses conséquences les plus manifestes serait l’amorce d’un processus de « démondialisation » : les agents économiques résidant en France se délesteraient de leurs actifs détenus sur le reste du monde et inversement investiraient dans les actifs nationaux. En pratique, il est fort probable que l’on revoie les postes de douane fleurir à nos frontières suite à une suspension des accords de Schengen.

La question de la dette publique

La question de la convertibilité de la dette a été fréquemment soulevée pour discréditer les partisans de la sortie de l’euro. Cette question mineure révèle que ceux qui l’ont soulevée ne comprennent rien aux marchés obligataires.

En cas de sortie de la zone euro, pour les contrats de dette de droit français (la totalité de la dette de l’État), 1 euro de dette deviendra 1 franc de dette quelque soit la dépréciation du Franc et aucun créancier ne s’aventurera à demander une réévaluation de la dette nominale pour la dette. Depuis une trentaine d’années, de nombreux instruments financiers ont été introduits pour rendre les marchés obligataires très liquides. Ainsi, la sortie de l’euro aura pour conséquence visible une hausse (consécutive à des ventes massives) des taux d’intérêt de la dette publique française sur le marché secondaire qui se répercutera immédiatement (ou du moins dès la première émission consécutive à la sortie de l’euro) sur le marché primaire.

Comment évaluer la hausse du taux d’emprunt obligataire ? Cette hausse dépendra de l’ampleur de la dépréciation du franc (évaluée à 20%), de la maturité moyenne de la dette française (plus elle est longue, moins la variation sera élevée) et de la perception du risque (de défaut et de change pour les investisseurs étrangers) qu’auront les investisseurs suite à la décision de sortie (sensiblement plus élevé). L’inflation provoquée par la sortie de la zone euro aura aussi un effet sur le taux d’intérêt nominal mais aucun sur le taux d’intérêt réel, toutes choses égales par ailleurs.

Notons que pour l’investisseur résidant en France, la dévaluation n’a aucun impact sur sa perception de la dette française et seule prime alors la nouvelle perception du risque. Pour un détenteur espagnol ou italien, la dette française subira une réévaluation, ce qui peut atténuer à la marge la hausse du taux d’intérêt de la dette française.

Il est fort à parier que le contrôle des capitaux entraînera au final le retrait des détenteurs étrangers (sauf mise en place d’alliances géostratégiques avec des pays ayant des excédents de devises) au profit des résidents français (les ménages en particulier) et un retour à la situation qui prévalait avant l’entrée en vigueur de l’euro : la dette française était alors détenue à plus de 70% par des agents économiques résidant en France. Le choc pourrait être tel que cette proportion pourrait même atteindre les 90%.

Autre point à ne pas négliger : sous la pression d'investisseurs et fonds souverains étrangers, l'État pourrait décider d'émettre des titres en devises étrangères. Dans ce cas précis, le contrat de dette serait de droit étranger. Il faut donc mesurer que pour conserver une certaine indépendance, l'État devra s'orienter prioritairement vers l'épargne des ménages français pour financer sa dette, sous peine d'avoir encore moins d'autonomie que dans l'actuelle zone euro.

Enfin, la Cades (Caisse d’amortissement de la dette sociale) qui est en charge de la « dette sociale » pourrait connaître quelques difficultés en raison du grand nombre d’emprunts obligataires libellés en devises étrangères. Une dissolution de l’organisme avec récupération (et éventuellement restructuration) de la dette par l’État devrait être envisagée. Le problème serait gérable mais devrait avoir pour conséquence une grande réforme du financement et de la gestion de la sécurité sociale.

Le retour de la croissance ?

Des économistes comme Jacques Sapir évaluent à 25% le gain de croissance espéré dans les cinq années suivant la sortie de la zone euro.

Ce gain de croissance est fortement appréciable mais il doit être relativisé étant donné la grande stagnation économique que connaît la France depuis 10 ans. En toute rigueur, ce gain de croissance n’occasionnerait qu’un rattrapage : si on prend 2015 pour année de sortie de la zone euro, la croissance annuelle moyenne que la France connaîtrait sur la période 2005-2020 serait de l’ordre de 1,5%, soit peu ou prou la croissance potentielle de son économie.

Ce gain de croissance permettra de créer des emplois et de réduire le chômage. Mais quelle en sera l’ampleur ? Selon une récente étude, les robots pourraient détruire trois millions d’emplois en France : sous cette perspective, la sortie de la zone euro ne ferait que contenir la poussée du chômage inhérente à la disparition du travail humain.

L’inflation

La dépréciation de la monnaie nationale renchérira le coût de nos importations d’autant et affectera le prix des produits finis. Cette inflation restera modérée, autour de 5 à 6 %. À titre d’exemple, notons que l’inflation en Russie n’a été que de 10 % en 2014, alors que le rouble s’est déprécié de 40 %. Néanmoins, il ne faut pas sous-estimer l’aversion que ressentent de nombreuses catégories de population envers l’inflation, en particulier les retraités, qui seront de plus en plus nombreux du fait du vieillissement de la population. Les épargnants (parmi lesquels de nombreux retraités) pourraient également se joindre à la grogne si les taux d’intérêt réels devenaient significativement négatifs.

Cette aversion pourrait mener (trop) rapidement le gouvernement à s’engager dans une politique de désinflation et enrayer la dynamique de reprise et de rattrapage économique. Ironie du sort, une politique de désinflation avait été initiée par le gouvernement Mauroy afin de rester dans le système monétaire européen.

Nationaliser les banques ?

Il faudra peut-être recapitaliser les banques françaises : cela dépendra essentiellement de la structure de leur bilan. Les banques ayant contracté des dettes en dollars ou en francs suisses (ou en « euro-mark ») et détenant des actifs en Italie ou en Espagne seront les plus touchées.

Il faudra certainement s’habituer à une plus grande intervention de l’État dans le système financier. L’État serait actionnaire des banques, pourrait les obliger à prêter à l’État, avoir un contrôle élargi de l’épargne des ménages et l’orienter facilement selon les objectifs affichés par les gouvernements. Évidemment, l’État reprendra le contrôle total de la Banque de France, ce qui lui permettra d’avoir recours à des politiques monétaires hétérodoxes pour soutenir l’économie ou financer les déficits. 

De nombreuses entreprises françaises détiennent des dettes libellées en devises étrangères : une attention particulière devra leur être apportée afin de les aider à surmonter une éventuelle hausse de la charge de la dette.

Explosion des produits dérivés ?

Si chaque pays de la zone euro devait reprendre sa monnaie nationale, nous verrions l’apparition du jour au lendemain de 19 nouvelles devises, soit 171 cours de change. On peut anticiper une contraction des échanges extérieurs mais celle-ci ne sera que passagère et les entreprises continueront d’exporter et d’importer, de s’implanter dans des pays étrangers ou de se financer auprès de banques étrangères : en l’absence d’un nouveau système monétaire international qui mettrait fin au régime de change flottant, le recours aux produits dérivés (en particulier les swaps de change) sera inévitable pour tout agent voulant se prémunir des fluctuations des cours de change.

Paradoxalement, la sortie de la zone euro pourrait engendrer une financiarisation accrue de nos économies…

Vers un nouveau système monétaire international ?

L’euro est la monnaie de réserve la plus importante après le dollar mais à aucun moment il n’a pu concurrencer le dollar et sa part dans les transactions internationales stagne depuis sa création en 1999.

Si la zone euro devait être dissoute, le Franc serait une devise d’échanges internationale mineure, utilisée dans à peine 2% des transactions internationales.

Finalement, le risque qu’encourt la France est d’être arrimée malgré elle à une nouvelle zone monétaire, et probablement à la zone dollar. Ce risque serait accru si le traité transatlantique devait être malgré tout ratifié.

Pour éviter un tel scénario, la France devra peser de tout son poids pour aboutir à la mise en place d’un nouveau système monétaire international qui succéderait au régime des changes flottants que l’on connaît depuis 1971, qui engendre des bulles financières à répétition, suivies de crises toujours plus graves. N’oublions pas par ailleurs que les premières tentatives d’union monétaire européenne sont la conséquence de la fin du système de Bretton-Woods, qui avait engendré une très grande volatilité des marchés de changes.

Ce nouveau système monétaire international devra refléter les nombreux changements économiques et géopolitiques qui sont intervenus depuis près d’un demi-siècle et avoir pour objectif de contenir la financiarisation de l’économie, dont la bulle des produits dérivés est l’un des symptômes.

Quelle stratégie géopolitique pour la France ?

En cas de sortie de la zone euro, les décideurs seront confrontés à de nombreux dilemmes d’ordre géopolitique. La France est dorénavant trop petite pour avoir une autonomie complète dans un monde où les géants démographiques ne manquent pas.

Où devra se tourner la France ? Vers ses anciennes colonies, sans pour autant tomber dans le néocolonialisme ? Vers la Russie et la Chine, pour faire contrepoids à l’Allemagne et ses satellites d’Europe centrale ? Vers l’Amérique centrale et du Sud ainsi que l’Océanie en s’appuyant sur ses territoires d’Outre-Mer ? Ou bien approfondir les liens avec les Anglo-Saxons (Royaume-Uni et Amérique du Nord) ?

Par ailleurs, si la fin de la zone euro représente un grand pas en arrière pour la construction européenne, son acte de décès serait loin d’être signé : les projets européens, en particulier avec les pays frontaliers, ne manquent pas et la possibilité de mise en place d’une monnaie commune, accompagnée d’un contrôle des capitaux au niveau européen, ne serait pas à écarter.

Conclusion : la fin de la zone euro est un immense champ de possibilités

La France, l’Europe et le Monde seraient radicalement différents si on devait revenir du jour au lendemain aux monnaies nationales. Les mesures qui seraient prises pour faire face à cette sortie peuvent être diamétralement opposées et les conséquences le seraient tout autant.

Si je devais mettre en avant un inconvénient que pourrait entraîner un démembrement de la zone euro, ce serait celui-ci : des problèmes qui sont actuellement mutualisés au niveau européen réapparaîtraient au niveau français et un certain nombre d’antagonismes se manifesteraient de manière plus acérée au sein de la population française. La dette est un excellent exemple : la dette souveraine serait internalisée, et les ménages détenteurs ne manqueraient pas de faire pression d’une manière ou d’une autre sur le gouvernement en place pour protéger leur épargne et contenir les déficits.

Dans les relations internationales, la France aurait à faire preuve de discernement afin de choisir les bonnes alliances qui lui garantirait une certaine indépendance et lui permettrait d’être à nouveau audible dans le monde. Dans le cas contraire, la sortie de la zone euro ne serait qu’un coup d’épée dans l’eau : en voulant éviter d’être dilué dans l’U.E, la France se retrouverait isolée.


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