Sous l’humour… la colère dans la puissante manifestation parisienne de mardi 12 octobre 2010

par Paul Villach
lundi 18 octobre 2010

La révolte sociale commence parfois par l’humour : en permettant de parler légèrement de ce qui est grave, il canalise la colère par le sourire plus ou moins jaune et lui donne une élégance qui la rend  acerbe plutôt que d’éclater en vaines invectives dans l’outrance de la rage.

On a ainsi relevé quelques perles sur les pancartes, affiches ou banderoles dans la manifestation monstre, mardi 12 octobre 2010, à Paris de Montparnasse à la Bastille. Elles ont en commun de fustiger une ploutocratie dont le gouvernement est accusé d’être le défenseur en imposant à tous une réforme des retraites injuste.
 
Le symbole et la métaphore de « la nuit du Fouquet’s »
 
Sans nommer personne, une banderole du Théâtre du Soleil d’Ariane Mnouchkine en tête de cortège citait ainsi un aphorisme de Jean-Jacques Rousseau : « On a de tout avec de l’argent, hormis des mœurs et des citoyens  ». L’humour est ici dans le sous-entendu rendu compréhensible par le contexte de scandales financiers, car chacun est à même de mettre des visages sous le pronom indéfini « on ».
 
Pour ceux qui n’auraient pas compris, la même troupe du Théâtre du Soleil brandissait à côté une autre banderole : « Elle est bientôt finie cette nuit du Fouquet’s  ? » L’humour, cette fois, est dans le ton badin de réprimande, comme en use le maître envers l’écolier indiscipliné, mais il vise ici le symbole même par lequel le président Sarkozy a choisi d’inaugurer son quinquennat, le soir de son élection : le banquet auquel il a convié les plus grandes fortunes du pays dans un restaurant de luxe des Champs-Élysées à Paris. Surtout l’humour se fait noir et cède même la place à l’ironie quand le symbole de « cette nuit du Fouquet’s » devient métaphore : car la nuit ne se limite pas aux premières heures de la présidence sarkozyste, elle s’est étendue depuis sur tout le pays. Et la troupe du Théâtre du Soleil sous-entend qu’elle n’en finit pas de guetter une aube qui tarde à se lever.
 
La métaphore des cyclopes du Cac 40
 
Parmi ces grandes fortunes, celles du Cac 40 sont particulièrement ciblées : elles amassent des profits si considérables et les patrons sont si grassement payés. Force Ouvrière reproche ainsi aux « dirigeants » de n’avoir qu’ « une seule vision… celle du Cac 40  » et de prendre les citoyens pour des « pions  ». En illustration est exhibée la métaphore d’un visage anonyme dont le bandeau sur les yeux n’ouvre que sur un œil central comme l’était celui des cyclopes de la mythologie grecque. On ne saurait mieux dire que ces individus n’appartiennent pas à l’espèce humaine : ce sont des monstres.
 
La FSU emboîte le pas à FO par une autre métaphore où l’humour, cependant, tourne à la farce par l’exagération de la scène : à en croire la caricature, il suffirait de renverser et de secouer un de ces monstres cousus d’or pour que son seul argent de poche tombé à terre règle le problème des retraites : « La retraite, s’écrie, hilare le salarié en action, on secoue un peu, c’est financé !...  » 
 
La farce de la mendicité auprès de Mme Bettencourt
 
Mais de toutes les fortunes, il en est une qui, faisant « la une » des médias depuis des mois, est particulièrement montrée du doigt : c’est celle de Mme Bettencourt. Soupçonnée par sa fille de n’avoir plus toute sa tête, elle dilapiderait ses biens sous la pression de parasites sans scrupule. Du coup, un manifestant joue la farce de la mendicité en brandissant une pancarte : il feint de croire qu’il peut lui aussi venir faire la manche auprès de la milliardaire, appelée par son prénom et tutoyée comme une camarade : « Eh ! Liliane ! demande-t-il. Tu nous paies notre retraite ? (merci)  ».
 
Un jeu de mots ravageur
 
La découverte de relations étroites entre Mme Bettencourt et le ministre Woerth en charge du dossier des retraites ne pouvait pas ne pas être exploitée : elle permet d’établir facilement la relation entre grandes fortunes épargnées et retraites maltraitées. Un slogan l’exprime dans un jeu de mots ravageur : « 60 ans : parce qu’on le WOERTH Bien ». Non seulement y est reconnu le leurre de la flatterie dont joue le célèbre slogan de L’Oréal, l’entreprise de Mme Bettencourt - « Parce que je le vaux bien » -, mais le nom du ministre Woerth remplace avantageusement le verbe « vaux » à deux sons près (r et t), d’autant qu’il est proche du mot anglais « to be worth  » qui signifie aussi « valoir » ! La quasi équation de sons est ainsi donnée pour équation de sens pour montrer du doigt une identification prédestinée du ministre avec une des plus grandes fortunes de France. En outre, soumis à ce lifting, le slogan flagorneur de l’Oréal retrouve ici avec l’âge de la retraite à 60 ans un sens autrement plus approprié.
 
La métaphore du billet de banque et de la monnaie de singe
 
Cette même identification des gouvernants aux forces de l’argent était dénoncée par une métaphore encore plus cruelle sur une affiche du parti NPA : le ministre Woerth et le président Sarkozy figurent en gros plan, la mine réjouie, sur un billet de 500 euros, comme le font les effigies des princes depuis que l’humanité frappe monnaie. Et un slogan de proscription détourne celui de l’Oréal presque son pour son (le/ne – bien/rien) : « DEHORS, « parce qu’ils ne valent rien »  ». Un jeu de mots, au surplus, fait se chevaucher deux sens différents du verbe « valoir », l’un monétaire et l’autre moral : président et ministre sont assimilés à une monnaie de singe et à des… vauriens !
 
La métonymie et le paradoxe d’une paire de lunettes
 
Prévoyant enfin une nouvelle chicanerie sur le nombre des manifestants, une pancarte interpellait le président. Une paire de lunettes lui était offerte comme métonymie de sa myopie : « Prends-les, disait le slogan, tu pourras nous compter !  ». Un paradoxe s’y ajoutait : les verres badigeonnés d’un autre slogan, « Réforme injuste », ne risquaient-ils pas de lui troubler la vision ? La solution de cette contradiction apparente n’en était pas moins transparente : il importe moins de savoir combien de manifestants protestent que de prendre conscience que la réforme est injuste, quand bien même un seul manifestant la dénoncerait !
 
1968 prétendait découvrir « sous les pavés, la plage ». Sous le sourire de l’humour, il ne faut pas s’y tromper, c’est une colère puissante qui bout. L’opposition à une réforme injuste des retraites appelle la dénonciation d’une ploutocratie qui protège jalousement ses privilèges. Le ministre Woerth, Mme Bettencourt, le Cac 40 et le président Sarkozy en sont ici les figures symboliques brocardées. Au-delà des retraites, c’est un ordre social qui est désormais contesté. Paul Villach 

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