Sublime Porte et Perfide Albion : les liaisons dangereuses

par Clark Kent
lundi 4 janvier 2021

Le Royaume-Uni, bilatéral et isolationniste ? Trump en a rêvé pour son pays, Johnson l’a fait pour le sien. Avec lui, la gentry et la city jouent désormais perso. Pour certains observateurs, Londres a même doublé Washington dans le conflit du Haut-Karabagh et passé un pacte avec le diable, en l’occurrence Erdogan, pour mettre en difficulté la Russie en déstabilisant le Caucase. Mais qu’en pensent les électeurs britanniques qui ont voté pour le Brexit ?

Sans doute en souvenir de son arrière grand-père paternel, Ali Kemal (ministre de l'Intérieur ottoman en 1919) Boris a ensuite validé son option turcophile par un « deal » avec son nouvel ami Recep Tayyip, en signant un nouvel accord commercial qui est entré en vigueur le 1er janvier sans que le parlement ait été consulté ; un pied de nez à l’UE qui avait dédaigné la candidature turque à l’adhésion. On dirait que la réalité du monde post-Brexit prend vite une allure de « realpolitik ».

De son côté, Erdoğan a salué l'accord comme le début d'une « nouvelle ère » et un « tremplin » pour la Turquie. Après des années de difficultés économiques et de chicanes avec les États-Unis et l'UE au sujet de sa politique envers la Russie, la Syrie, la Libye, la Grèce et Chypre, Erdoğan avait besoin de marquer des points. C’est fait.

Le fait que, pour effrayer les partisans du Brexit en 2016 , Johnson ait brandi le spectre des migrants turcs s’infiltrant par les frontières poreuses de l’UE dans l’espace Shengen, semble être tombé dans les oubliettes de l’histoire. En mettant en place cet accord commercial bilatéral, il promet maintenant des « mises à niveau » sur mesure à un dirigeant qui s’affiche désormais comme un adversaire de l'UE, tous les acteurs étant par ailleurs membres de l’OTAN.

En fait, toutes considérations humanitaires mises à part, il se trouve que la Grande-Bretagne est déjà le deuxième marché d'exportation de la Turquie, et Ankara entendait maintenir un accès détaxé à la source, ce qui a donné un effet de levier à l’accord.

Pourtant, la Chambre des Lords avait modifié le projet de loi sur le commerce britannique le mois dernier pour exiger des évaluations de risques liés aux « droits de l'homme » lors de la conclusion d'accords afin de garantir le respect des traités et obligations internationaux du Royaume-Uni. Mais le gouvernement Johnson compte sur la Chambre des Communes pour rejeter le projet de loi en question. L'accord avec la Turquie, lui, ne fait aucune référence à de telles garanties.

Une grande partie des « échanges » réalisés entre la Turquie et le Royaume-Uni ces dernières années a consisté en des « ventes » d’armes et autres matériels militaires à Ankara. Selon « Campaign Against the Arms Trade », la Grande-Bretagne a exporté pour 1,5 milliard d’euros d'armes vers la Turquie depuis le mouvement protestataire de Gezi Park en 2013. Dans la période qui a suivi la tentative de coup d'état de 2016, des licences d'exportation d'armes d'une valeur de 908 millions d’euros ont été accordées par les autorités britanniques pour fournir à Erdoğan la logistique utilisée pour la répression que l’on sait.

Cette activité lucrative, ou la perspective de la perdre explique en partie l’empressement à finaliser l'accord avec la Turquie. Pourtant, le fait qu'Erdoğan soit accusé d'utiliser des équipements et des technologies de fabrication britannique pour réprimer les opposants nationaux, attaquer les Kurdes de Syrie, intervenir dans la guerre civile en Libye et attiser le conflit entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie aurait pu faire réfléchir. Certaines de ces actions sont même contraires aux intérêts britanniques, comme les manœuvres navales turques en Méditerranée orientale. Mais Albion enfonce la tête dans le guidon et croise les doigts pour échapper aux torpilles sélectives.

Dans une vison messianique d’une nouvelle « rule Britania  », le ministre des Affaires Etrangères Dominic Raab avait promis en 2019 qu’après la sortie de l'UE qui était supposée empêcher son pays de faire régner un ordre moral international, les auteurs de violations des droits de l'homme partout dans le monde subiraient les conséquences de leurs actes ». En janvier 2020, le même Raab a assuré aux Communes qu’« une Grande-Bretagne » véritablement mondiale » ne se limiterait pas au commerce et aux investissements internationaux… La « Grande-Bretagne mondiale » devait également continuer de défendre les valeurs de démocratie libérale » et « l’engagement envers la primauté du droit international » (sic).

Des sanctions ont bien été infligées par M. Raab aux auteurs de violations des droits individuels en Russie et en Arabie Saoudite, pays qui se fournissent ailleurs, mais il a oublié de s’intéresser aux bons clients.


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