Subversion en Gaule d’hier et d’aujourd’hui

par Emile Mourey
vendredi 17 août 2007

Oui, c’est bien le sens de subversion ou de révolution qu’il faut donner au mouvement que Vercingétorix a déclenché en Gaule en s’appuyant sur une population de miséreux et de malheureux (DBG VII, 4) que César dit être issue de la plèbe (VII, 42). Et c’est bien avec l’intention de mettre en place cette révolution que Drappès et Luctérius marchaient vers la province, suivis - toujours d’après César - d’une troupe de gens sans aveu, d’esclaves, de bannis et de voleurs (VIII, 30).

César avait exigé des notables éduens qu’ils lui envoient en renfort, à Gergovie, une armée de 10 000 fantassins.

Voici ce que dit très exactement le "De bello gallico" : à environ quarante kilomètres de Gergovie, Litavic arrêta soudain la marche de son armée. Il réunit tous ses hommes et leur posa la question suivante : « Soldats ! Quel chemin faut-il prendre ? (note de l’auteur : celui qui mène à César ou celui qui mène à Vercingétorix ? Les soldats pensent qu’ils vont au secours de César) Décidez vous-mêmes ! Je viens d’apprendre que nos nobles cavaliers, tous ces hommes que vous connaissez pour leurs mérites, ont été tués par les Romains (Litavic ment. C’est une ruse pour dresser ses soldats contre César). Accusés de trahison, on ne leur a même pas laissé le temps de s’expliquer. Ecoutez le témoignage de ceux qui ont échappé au carnage. Pour ma part, j’ai perdu mes compagnons et tous mes proches, je ne peux prononcer un mot de plus, tant ma douleur est grande. »
Alors, il fit avancer des hommes à qui il avait expliqué ce qu’il fallait dire
(ces hommes mentent. Les nobles Eduens réapparaîtront par la suite, bien en vie). Ils confirmèrent ce que Litavic avait déclaré : « Les nobles Eduens étaient morts. On leur avait reproché d’être entrés en pourparlers avec les Arvernes. Quant à eux, ils avaient réussi à se cacher dans la foule des soldats et ils avaient ainsi échappé au massacre. »
Une grande clameur s’éleva des rangs. Les Eduens conjurèrent Litavic d’étudier lui-même les mesures qu’il fallait prendre. « Réfléchissons un peu, répondit celui-ci : le temps est-il aux délibérations ? Avons-nous une autre solution que celle de rejoindre Gergovie et de nous rallier aux Arvernes ? Après le crime abominable qu’ils ont commis, les Romains vont maintenant accourir pour vous massacrer, n’en doutez pas ! Si nous avons du cœur au ventre, vengeons nos morts ! » Puis, montrant les citoyens romains du convoi de ravitaillement, il ajouta : « Massacrons ces voleurs ! »
(Il compromet ses soldats de façon qu’ils ne puissent plus revenir à l’amitié romaine).
Le blé et les vivres furent alors livrés au pillage et les Eduens s’en rassasièrent. Dans leur fureur aveugle, ils s’en prirent aux marchands, les soumirent aux plus effroyables tortures et les mirent à mort (DBG VII,38) ».

Fausse information ou information orientée, intoxication, compromission, nous découvrons ici les trois règles d’or de la guerre subversive. Ces trois règles seront strictement appliquées par Mao-Tsé-Toung dans sa conquête du pouvoir ; je cite Wikipedia : il découvre une méthode soviétique qu’il n’oubliera plus par la suite : les purges. Il parvient à asseoir une certaine autorité en procédant ainsi à un régime de la terreur, s’appuyant sur le prétexte de contrecarrer des anti-bolchéviques...

Subversion vient du latin subvertere : renverser. La subversion désigne un processus par lequel les valeurs et principes d’un système en place sont contredits ou renversés. Chacun peut lui conférer un sens positif ou négatif en fonction de sa propre position... (cf Wikipedia).

Première question : L’opération "subversive" de Litavic a-t-elle suffi pour faire basculer la population du côté de l’insurrection ? Réponse : En partie, oui, en partie, non !
Deuxième question : Quel a été l’événement décisif qui a fait basculer le reste de la population hésitante contre César ? Réponse : La répression de Cenabum et le massacre par les Romains des 40 000 habitants d’Avaricum.
Troisième question : Pourquoi l’échec gaulois à Alésia ? Réponse : L’abandon prématuré d’une stratégie de guérilla et le retour à une stratégie de guerre classique.

Des organisations populaires face au pouvoir des druides et des nobles cavaliers.

Le texte qui suit est une traduction littérale du De bello gallico. En Gaule, non seulement dans toutes les cités, mais dans tous les pagus, dans toutes les localités et même jusqu’au sein des familles, il y a des associations à la tête desquelles sont placés ceux qu’on estime avoir le plus de poids. En toutes choses et en tous projets, la décision leur revient en dernier ressort. Cette façon de faire a été instituée depuis longtemps, semble-t-il, pour venir en aide aux petites gens contre ceux qui sont plus puissants qu’eux. Un responsable d’organisation ne peut accepter que les siens soient accablés ou trompés ; s’il agit autrement, il perd toute autorité auprès d’eux.
Ce système occupe la première place dans toute la Gaule
(Haec eadem ratio est in summa totius Galliae DBG VI,11).

Entre la traduction courante " le même système régit la Gaule considérée dans son ensemble" et ma traduction, que les professeurs de latin donnent leur avis ! Je suis prêt à débattre sur le sens que César donne au mot "summa".


Ce petit détail est très important, car si ce système d’associations populaires - probablement de type compagnonnage - occupait la première place en Gaule, cela signifie que les druides et les nobles cavaliers n’en occupaient que la seconde.
Ainsi s’explique la prudence des druides quand ils demandaient à César d’intervenir contre Arioviste (sans avoir consulté au préalable les représentants du peuple). DBG I, 20.
Ainsi s’explique l’exécution de Celtillos qui eut des velléités de pouvoir personnel. DBG VII, 4.
Ainsi s’explique la conduite de Vercingétorix, obligé de s’incliner plus d’une fois devant la décision des conseils.

Y a-t-il, aujourd’hui en France, une aspiration à un rééquilibrage du pouvoir actuel pour revenir à l’image de ce qui existait dans la Gaule indépendante ? Peut-être si l’on en croit la proposition de jury citoyens lors des élections présidentielles. Y a-t-il une aspiration à la suppression du pouvoir actuel et à son remplacement par un pouvoir populaire ? Apparemment oui en ce qui concerne les électeurs qui ont voté pour les partis d’extrême gauche. Mais ces électeurs sont-ils conscients que pour un parti révolutionnaire, le but est la subversion du système, c’est-à-dire un bouleversement de fond en comble (but d’ailleurs clairement affiché) ?

Stratégie subversive classique pour la mise en place d’un pouvoir dit populaire.

Initiée par les idéologues bolcheviques, pensée et mise en application avec succès par Mao-Tsé-Toung, cette stratégie a inspiré les mouvements de libération, en Indochine et en Algérie dans leurs combats contre les armées françaises et inspire encore aujourd’hui les mouvements révolutionnaires (il s’agit là d’un lieu commun ; il suffit de consulter Wikipedia).

Le paragraphe qui suit est un extrait résumé de l’enseignement que j’ai reçu à l’école de contre-guérilla d’Arzew. C’est un enseignement tiré des préceptes que propose Mao-Tsé-Toung pour conduire une guerre révolutionnaire.

1re phase : frapper les esprits : des incidents, des scandales sont montés en épingle. Il faut sensibiliser l’opinion et la placer face à un problème. Les instigateurs du mouvement cherchent à paralyser l’action publique en répandant systématiquement le soupçon.

J’ajoute pour les temps qui courent et concernant notre pays : la délation et la désinformation sont de règle. On mélange le faux et le vrai. On utilise l’ironie caustique. On explore toutes les possibilités d’actions judiciaires pour neutraliser l’action publique et pour renforcer le soupçon. On fait pression sur les juges ou on les accuse d’être partisans. On stigmatise les représentants de l’autorité. On les compare aux nazis et, en cas de réaction, on crie à la censure.

2e phase : gagner la complicité passive de la population. Dans un climat de tension et de nervosité, le pouvoir se livre à des actes de répression impopulaires. Les instigateurs du mouvement cherchent à rallier à leur cause la population par la persuasion, l’intimidation, la menace, accompagnée d’agressions verbales et physiques et suivie même d’expéditions punitives. La population ne dépose plus plainte et n’informe plus le pouvoir. Elle devient silencieuse tandis que les derniers défenseurs de l’ordre se font attaquer ou démissionnent.

Phases suivantes : gagner la complicité active de la population en incitant les citoyens à entrer dans des organisations que le mouvement contrôle et à s’engager toujours davantage au sein de ces organisations. Mise en place de structures socio-politiques parallèles à celles du pouvoir pour les contrecarrer dans un premier temps, les équilibrer dans un deuxième temps, les remplacer dans un troisième temps. Infiltration dans les organismes publics et noyautage des rouages de l’État jusqu’à sa déliquescence et sa chute.

La parole est l’arme de combat par excellence. Les protagonistes qui agissent à visage découvert sont spécialement entraînés au débat public, jusqu’à connaître par coeur des réponses qui leur permettent de faire face à toutes les situations (cet entraînement au débat n’est d’ailleurs pas la spécifité des mouvements trotskistes. En ce qui concerne les points suivants, il faut vraiment être aveugle pour ne pas s’en rendre compte).
Ne pas laisser à l’adversaire le fil du débat. Toujours reprendre la main.
L’attaquer sur ses points faibles ou sur des erreurs de détail pour le décrédibiliser sur le reste.
L’accuser de ce dont on risque d’être accusé (violence, intolérance, manipulation, délations, mensonges, etc.)
D’un cas particulier, généraliser (tous pourris, tous vendus, tous riches, tous méchants...)
L’important n’est pas dans la raison mais dans la subjectivité (ce que ressent un auditoire dont une partie est déjà conquise).
Surfer, au départ, sur tous les mouvements contestataires, en marge et d’opposition, religieux ou laïcs, pour exister et se faire connaître, même s’il faut ensuite les combattre, suivant l’avantage qu’on peut en retirer.

Un cas intéressant : la ville d’Asnières.

Située dans la banlieue nord-ouest de Paris, la mairie d’Asnières-sur-Seine mène depuis plusieurs années une politique de densification controversée. Les équipements publics restent très insuffisants compte tenu du dynamisme démographique de la commune : la population est actuellement estimée à 85 000 habitants au moins (d’après Wikipedia). Une explosion de la population d’origine modeste, en partie immigrée, une urbanisation faite dans l’urgence, des zones inondables à problèmes, une dette importante, une opposition politique très active, tous ces éléments représentent un terreau favorable pour une entreprise de subversion.

Apparemment, la phase de mise en place de structures socio-politiques parallèles n’est pas atteinte. Cette phase critique où il est demandé aux citoyens acquis au mouvement de s’engager activement, en nombre conséquent, dans des organisations contrôlées par ce mouvement, exige un sens du bénévolat et une disponibilité difficilement conciliables avec le temps qu’on passe devant un écran de télévision.
Le blog www.asnierois.org, association Adada, en publiant dans sa rubrique, Les Canc’asnières, le compte-rendu d’une brave ménagère acquise au mouvement mais qui ne se rend à un meeting du maire que pour avoir accès au buffet, montre bien la difficulté d’éduquer politiquement les masses populaires pour les amener à s’engager activement dans un processus révolutionnaire. Pour avoir le récit complet, faire "asnierois canc’asnières" sur votre moteur de recherche.

Il n’empêche qu’à Asnières, avec l’explosion des blogs d’opposition dits citoyens comme celui-ci, le climat, aux dires de certains, serait devenu détestable (première phase), qu’une partie de la population soutient ces blogs tandis que l’autre partie, toujours aux dires de certains, commencerait à avoir peur (seconde phase). Faire "asniérois climat détestable" sur votre moteur de recherche, puis peur. Lisez Le Parisien, 31/10/2003 : Les « menaces de mort » qui agitent Asnières. Lisez L’Express du 06/09/2006, je cite : « Insulté, menacé, poursuivi par un vrai déferlement de haine, qui l’oblige parfois à rentrer chez lui sous protection policière, Taittinger (l’ancien maire), par ailleurs malade, jette l’éponge en décembre 1998. » Et je ne parle pas des cocktails molotov et autres joyeusetés.

Et pourtant, Asnières est une ville dynamique et en plein essor où, malgré les difficultés que j’ai évoquées, les conditions sont réunies pour y bien vivre. La municipalité en charge des affaires joue la carte du dialogue, de l’interactivité, de la proximité et de la transparence. Malheureusement, la ville a hébergé - et elle héberge toujours, apparemment - un groupe anarchiste actif dont elle se serait bien passée, surtout en la personne de l’anarchiste Paul Rassinier (†) considéré comme le père du négationnisme des chambres à gaz (cf Nadine Fresco dans Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français).

Mouvement révolutionnaire parmi d’autres, l’anarchisme, qui croit qu’une nouvelle société plus acceptable peut émerger naturellement du peuple sous forme de génération spontanée, ne cache pas sa volonté de remplacer, même brutalement, l’ordre existant par un autre ordre, la fin justifiant les moyens pour y parvenir. Les textes d’étude et de propagande concernant cette soi-disant philosophie abondent sur le web. Il suffit de les consulter. Il est vrai qu’il y a des variantes. On pourra également lire un article paru sur Agoravox le 6 juillet qui en fait l’apologie ainsi qu’un commentaire du responsable du blog d’Asnières cité ci-dessus, ancien instituteur, sympathisant anarchiste, pour le moins.

Post scriptum : bien que j’aie évité jusqu’à maintenant d’aborder des questions d’ordre politique, j’ai cru devoir écrire ce texte suite aux commentaires "no correct" qui ont suivi mon article du 19 juillet. Mais aussi à la mémoire de mes camarades morts au combat, non pas contre le peuple algérien - qu’est-ce qu’il ne faut pas entendre ! - mais dans leur lutte bien réfléchie face au risque d’extension des subversions soviétique et chinoise (je peux donner mon témoignage et développer mon argumentation si besoin est).

Au moment où Agoravox cherche sa voie dans son rôle de contre-pouvoir, je n’ai pas la prétention d’avoir bien ou tout dit concernant les risques de dérapage qu’il y a à s’opposer, non pas aux institutions comme le veut la subversion, mais aux dérives de certaines actions politiques. Je me contenterais, pour conclure, d’évoquer la grande figure de Régis Debray, ancien compagnon de Che Guevara, qui a fait une distinction très claire entre les pays de dictature où la révolution n’avait pas eu lieu et ceux, dont la France, qui avaient conquis la démocratie et qui veulent la garder (citation de mémoire qui n’est contestée par personne). Egalement le général Delaunay, auteur d’un ouvrage que je n’ai pas encore lu La Foudre et le Cancer et au sujet duquel Roger Mucchielli, ancien officier de la division Leclerc, agrégé de philosophie, écrit : « C’est le cancer moral qu’évoque le général Delaunay ; il atteint à la fois les hommes et les institutions, il tue les esprits et les cœurs, il dissout les intelligences et les volontés. La subversion sème la confusion entre le bien et le mal, la vérité et l’erreur, le juste et l’injuste ; elle intoxique, désinforme, ridiculise, culpabilise ceux qu’elle veut déstabiliser. La subversion est un moyen spécifique de la révolution, que les agents subversifs en soient conscients ou non. »
(Faire Mucchielli Delaunay foudre cancer pour retrouver cette citation.)

E. Mourey

http://www.bibracte.com


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