Suicides au travail

par Céphale
mercredi 16 septembre 2009

Les suicides en série à France-Telecom ont fait réagir le gouvernement. Le ministre du Travail, Xavier Darcos, a convoqué le PDG, Didier Lombard, pour parler du management de l’entreprise. La méthode dite MBO (Management By Objectives) est à la racine du mal. En se focalisant sur des résultats quantifiés, les cadres dirigeants de France-Telecom préfèrent tout ignorer des hommes et des femmes qu’ils dirigent.

Vincent, ingénieur chez France-Telecom, est bien vu par son supérieur hiérarchique. Il travaille intensément 12 heures par jour. De plus, il doit être disponible à des heures indues pour des réunions téléphoniques à l’heure où travaillent les sous-traitants indiens. Il n’a pas quarante ans. Combien de temps va-t-il tenir ce rythme dont souffre sa jeune famille ? Comment va-t-il réagir quand sa carrière arrivera à son asymptote, voire à son déclin, alors qu’il n’aura pas été capable de développer une vie sociale équilibrée ?

Dans les entreprises comme France-Telecom, le meilleur directeur est celui qui arrive sans rien connaître au secteur dont il prend la direction. Il commence par prendre très rapidement connaissance de son nouveau pré carré, de préférence avec l’aide de consultants extérieurs. Ceux-ci vont non seulement le rassurer sur la pertinence des changements brutaux qu’il veut instaurer mais aussi lui apprendre comment envelopper la chose dans du papier de soie. Avec sa réorganisation, le nouveau directeur va frapper les esprits, il va les occuper à se réorganiser en sorte que nulle contestation ne soit possible. Dans le branle-bas de combat, quelques petits malins se faufilent vers les nouveaux postes de managers. Ils sont d’ailleurs promus davantage en fonction de leur allégeance au nouveau directeur qu’en raison de leurs compétences. Il serait dangereux qu’ils connaissent trop bien la vie de leurs collaborateurs, car ils pourraient se faire les avocats de leurs suggestions et de leurs attentes.


Actuellement, le grand jeu consiste à transférer l’activité , le coeur du métier de la plupart des salariés, à des sous-traitants lointains qui sont payés 3 à 5 fois moins cher. Ainsi les objectifs chiffrés fixés par la direction seront atteints et même dépassés. L’accroissement de rentabilité attendu est supérieur à celle que peut permettre l’innovation et le progrès continu par les équipes en place. Les chefs de projets métier sont transformés en acheteurs de prestations. Les techniciens n’ont plus aucune opportunité d’exercer et de progresser dans leur technique. Ils sont condamnés à accepter les miettes d’activité qui restent, et qui ne nécessitent généralement aucune qualification particulière. Les plus jeunes vont chercher fortune ailleurs. Les plus anciens ont-ils les mêmes opportunités de rebondir ? Ils sont condamnés à rester dans l’entreprise. Ils mesurent tout le mépris dont ils sont ainsi l’objet, sans la possibilité du moindre dialogue. Leurs compétences acquises au fil des ans sont ignorées ; elles sont devenues inutiles. D’acteurs, ils sont devenus des pions sans intérêt pour l’entreprise. Il leur est difficile de mettre leur mouchoir sur des décennies d’investissement personnel. Ils peinent à prendre de la distance, alors que les managers ont tendance à les culpabiliser, ou pire à les ignorer. Dans ce contexte pathogène, est-il étonnant que beaucoup dépriment, consultent psychologues et psychiatres, avec une grande consommation d’antidépresseurs et d’anxiolytiques ? Est-il étonnant que certains commettent des gestes irréversibles ?

Tels sont les mécanismes mis en oeuvre dans des entreprises françaises telles que France-Telecom. Ainsi les « objectifs chiffrés ambitieux » détruisent-ils non seulement l’emploi, mais les employés eux-mêmes, jusqu’à ce que certains achèvent de se détruire eux-mêmes.

France-Telecom soumet son personnel au « management par objectifs » dans sa forme la plus dure, qui conduit au « management par la peur ». Ce n’est pas avec des psychologues et des psychiatres chargés de soigner le stress des salariés qu’on règlera le problème, c’est en supprimant cette méthode de management homicide. Il faut commencer par révoquer le PDG.

Faire du MBO en traitant le stress, c’est comme diffuser des gaz asphyxiants en distribuant des masques à gaz.
 

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