Suppression du ticket de caisse : bonne ou mauvaise idée ?

par Fergus
jeudi 23 mars 2023

Initialement prévue le 1er janvier, cette mesure s’appliquera à compter du 1er avril, et ce n’est pas une blague. Objectif officiel : lutter « contre le gaspillage et l’usage de produits dangereux pour la santé » présents dans les 30 milliards de tickets de caisse émis chaque année dans notre pays. Une obligation pas si vertueuse qu’elle en a l’air, et potentiellement source de désagréments pour les consommateurs...

La loi AGEC (Anti-Gaspillage et Économie Circulaire), votée le 10 février 2020, a acté plusieurs axes d’amélioration de la relation entre la production industrielle, le commerce et les consommateurs. Ce texte – dont la finalité se veut vertueuse – vise notamment :

Parmi les mesures imposées par la loi AGEC figure, à quelques exceptions près*, la fin de l’impression automatique des pièces suivantes à compter du 1er avril :

Il restera néanmoins possible, nous dit la loi, d’obtenir ces documents à condition de le « demander expressément » au commerçant à l’occasion d’un achat. En l’absence d’une telle demande, les tickets pourront être : soit scannés via un QR-code, soit adressés aux clients par SMS ou par e-mail, ou bien encore consultables sur leur application bancaire, à condition que cette démarche ait été entérinée par le consommateur au préalable. Cerise sur le gâteau de la confusion, tous les commerçants ne seront pas obligés d’utiliser la même procédure.

Certes, la rapporteuse de la proposition de loi, la députée LREM Patricia Mirallès (une ancienne commerçante), indiquait dans le texte déposé à l’Assemblée Nationale le 16 juillet 2019 qu’« À titre d’illustration, un hypermarché a recours annuellement à 10 600 rouleaux de papier thermique, l’équivalent en distance d’un Paris‑Montpellier. » Des chiffres qui donnent évidemment à réfléchir, surtout lorsqu’on sait qu’il existe en France près de 200 hypermarchés et environ 1700 supermarchés, sans compter les 600 000 autres points de vente de différentes natures. Pour enfoncer le clou, Patricia Mirallès ajoutait que « bien que peu de clients (...) consultent in fine » les tickets de caisse qui leur sont délivrés, ce qui est contredit par une enquête d’OpinionWay réalisée ces dernières semaines (cf. le dernier paragraphe).

Autre grief, sanitaire, soulevé par la députée de l’Hérault : l’utilisation de « bisphénol F ou S » pour la fabrication du papier thermique des tickets, et cela sans qu’« aucune étude suffisante visant à garantir leurs innocuités hormonales n’[ait] été entreprise. » Comment ne pas abonder dans le sens de cette élue si manifestement préoccupée de lutter contre les gâchis et soucieuse de la santé de ses concitoyens ? Le problème est qu’en votant ce volet de la loi AGEC, les députés ne se sont pas suffisamment penchés sur les effets pervers induits par ce texte.

À cet égard, dans un article publié en avril 2022, le site Les Échos nous apprenait que « Selon Green IT, collectif d'experts sur les questions de la sobriété numérique et du numérique responsable, un seul ticket dématérialisé réduirait de 2 centilitres la consommation d'eau par rapport au ticket traditionnel. [Mais] Dans le même temps, il rejetterait 2 grammes de CO2 en plus dans l'atmosphère. » Autrement dit, ce qui serait économisé en consommation d’eau serait perdu en « empreinte carbone » : 5 g de CO2 contre 3 g actuellement. Un constat aisément compréhensible lorsque l’on sait, comme le souligne l’ADEME, qu’un simple mail parcourt en moyenne... 15 000 km pour transiter par les Data Centers des fournisseurs d’accès de l’émetteur (le commerçant) et du récepteur (le client) !

Autre crainte avancée : l’accès par les commerçants aux données personnelles des clients qui accepteraient l’envoi dématérialisé du détail des transactions. Sur ce plan-là, la CNIL, très au fait des pratiques marketing de la grande distribution, s’est montré prudente dans un communiqué publié en ligne le 10 mars (lien) ; elle y recommande clairement « un envoi "en local" [pouvant] permettre la transmission du ticket sans collecte de données personnelles », ce qui est le cas en scannant un QR-code, mais évidemment pas en sollicitant la réception d’un SMS ou d’un e-mail qui, très vite, appelleront de nombreux autres messages à caractère publicitaire.

Une chose est sûre : toutes celles et tous ceux – et pas seulement dans les rangs des personnes âgées – qui ne sont pas familiarisés avec l’utilisation des outils numériques auront tout intérêt à continuer de demander l’impression de leur ticket de caisse, ainsi que de la facturette qui l’accompagne en cas de paiement par carte bancaire, pour la tenue de leur compte. Cela leur permettra, sans tracas inutile : d’une part, de vérifier sur-le-champ la validité de leurs achats afin de faire valoir de possibles erreurs ; d’autre part, de vérifier que d’éventuelles promotions ont bien été prises en compte lors de leur passage en caisse ; enfin, de conserver la preuve d’achat en cas de défaut d’un produit.

Ce type de contrôle est d’ailleurs plébiscité par nos concitoyens : « 89 % vérifient le détail du prix de leurs achats sur leur ticket de caisse papier en sortant du magasin », nous indiquait le 22 mars une enquête (lien) effectuée par OpinionWay pour Perifem, une association qui regroupe la majorité des acteurs de la distribution. Paradoxalement, 73 % des personnes interrogées se déclarent favorables à la suppression du ticket de caisse, et 69 % à la suppression de la facturette bancaire. Doit-on en conclure que nos concitoyens sont favorables à cette mesure pour autrui, mais pas pour eux-mêmes ? Ou bien encore que « les consommateurs sont pour mais ne veulent pas le faire ! », comme le résume le magazine professionnel LSA qui a relayé cette enquête sur le web ?

Et vous, quel est votre avis sur cette question ?

Notamment lorsque le ticket sert de bon de garantie ou de récépissé d’une opération bancaire.


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