Sur l’existence

par razoumikhine
lundi 6 décembre 2021

“L’homme est le seule créature qui refuse d’être ce qu’elle est.” Albert Camus

Exister ce n’est pas seulement vivre ou être. C’est au dela. Exister c’est avoir la conscience de sa propre vie, incarner sa vie. C’est avoir conscience que l’on vit. C’est aussi vivre sa vie, avoir des projets, pouvoir se projeter dans le futur, envisager ses actions, les diriger.

Il n’y a pas d’existence sans une volonté, sans un désir de vie. De façon sous-jacente et parfois même inconsciemment, nous dirigeons nos actes en vue d’un but dont nous seuls connaissons le secret. Exister c’est aussi parfois s’affirmer, se mettre en avant, imposer sa volonté. On ne peut exister lorsqu’on se rabaisse constamment, exister est une lutte quotidienne, une affirmation permanente de soi. Avoir une existence, c’est avoir une présence, c’est savoir se diriger, même dans le brouillard, surtout dans le brouillard. La ligne n’est pas droite, le chemin n’est pas tracé. Nous devons louvoyer, tel un bateau, pour avancer, profiter de la force du vent, bien tenir la barre.

Parfois pourtant nous sommes emportés par les flots. Notre existence se réduit à suivre le mouvement. Nous devons lutter contre cela. Pour exister, il faut savoir avant tout qui l’on est, avoir conscience de son être. Seuls les hommes peuvent exister car eux seuls ont conscience de leur vie. Les animaux et les objets, sans vouloir les ramener d’ailleurs sur le même plan comme l’a malencontreusement fait Descartes avec ses animaux-machines, sont simplement là, sont directement présents au monde, sans intermédiation,. Pouvoir exister, c’est donc aussi pouvoir penser, pouvoir se retourner sur soi, être dans la réflexion et la réflection, l’analyse de sa propre vie.

Qu’est-ce qu’une vie qui serait sans existence ? Ce serait une vie vide, une vie plate, une vie sans introspection, une vie sans décision, sans volonté, une vie entièrement dirigée de l’extérieur. Exister c’est intérioriser sa propre vie. C’est vouloir avoir un contrôle sur sa vie.

Certains ont amalgamé l’essence et l’existence, celle-ci devant dépendre entièrement de celle-là, être son ombre dans le réel, l’existence étant en quelque sorte l’incarnation de l’essence, qui se situerait dans un au-delà fantasmatique . “L’existence précède l’essence” affirmait Jean-Paul Sartre. On doit plutôt voir l’essence comme un modèle de l’existence. Un modèle qui dans le monde réel peut prendre plusieurs formes. L’existence serait alors la déclinaison de l’essence, sa version finalisée et réalisée.

L’existence va souvent rentrer dans les rails du conformisme, un conformisme si fort qu’il va peu à peu écraser l’existence, la diluer dans un acide puissant, la dissoudre. On pourrait croire qu’on ne peut exister qu’en affirmant sa personnalité propre. Mais on peut aussi exister dans le renoncement ou dans l’adoption de règles de groupe, religieuses, philosophiques, culturelles ou ethniques. Car l’effacement peut être une forme d’existence, en se fondant dans un groupe. Certains même retrouvent une forme d’existence en empruntant cette voie, qui peut parfois les entraîner dans des options destructrices type suicide ou terrorisme. L’existence devient alors un moyen alors qu’elle devrait rester une fin en soi. On n’existe plus alors pour soi, mais on fait exister une forme de délire à travers soi. Pour éviter cette dérive, nous devons être conscients de notre existence et de son aspect central. Nous ne sommes pas en dehors de nous-mêmes. C’est toujours nous qui agissons. Notre responsabilité doit toujours être au centre de notre existence.

Existere (en latin archaique exsistere, soit ex+sistere),”sortir de “, “se manifester, se montrer” interprété par certains philosophes comme “être hors de soi” , donc auprès des choses (source Wikipedia). Il y a donc à la fois l’idée de vie et de mouvement. C’est l’individu qui est l’existant et la connaissance de sa réalité passe par sa conscience et par ses actes. L’existence est donc le point de jonction entre le réel incarné par le monde dans lequel agit chaque individu et l’imaginaire de celui-ci, le réel agissant sur l’imaginaire et inversement. L’existence c’est aussi le mélange de la réalité avec nos rêves, nos désirs, nos envies. Elle est donc à la fois dans le monde et hors de lui, un pied dans chacun.

Si l’on prend l’exemple d’Hamlet, son existence d’abord axé sur le mépris et le dédain vi-à-vis de sa mère et de son oncle, devenu son beau-père, s’oriente ensuite vers la vengeance et le désir de meurtre lorsqu’il découvre, de manière surnaturelle, via les confidences d’un spectre, qui serait son père, les agissements criminels de son oncle vis-à-vis de son père, le roi du Danemark. Il y a donc une évolution de son existence qui se transmute d’un état passif à un rôle actif, qui évolue du rôle de spectateur à celui d’acteur. Pour cela, il échafaude un plan qui consiste d’abord à faire croire qu’il a perdu la raison, ceci afin de faire apparaître via des formulations en apparence étranges mais néanmoins très justes la réalité de la situation. La folie permet alors de dire la réalité. Il utilise ensuite des comédiens en leur faisant jouer devant les intéressés la scène criminelle de son oncle et ses obscurs desseins. L’existence d’Hamlet a donc soudainement un sens, il lui donne un sens. et sa célèbre formule : ”Etre ou ne pas être, telle est la question.” n’est que l’hésitation à accomplir ou non sa tâche. Aura-t-il le courage d’abattre le meurtrier de son père et donc d’être en tant qu’homme ou bien n’en aura t’il pas la volonté ? Hamlet, c’est le dévoilement de l’absurdité de la vie et en même temps son côté grandiose.

“L’absurde naît de cette contradiction entre l’appel humain et le silence déraisonnable du monde.” Albert Camus

Qui est Hamlet et qu’est-il ? Hamlet est un jeune homme lunaire, indécis et irrésolu. Ce qu’il est va dépendre de ses choix et de ses actes, de sa résolution et de sa volonté. Hamlet c’est nous. La tragédie de l’homme est en lui-même. Et au dela de cette tragédie, être c’est aller avec son désir. Etre, dit Spinoza, c’est désirer, s’efforcer de persévérer dans son être. “Chacun règle toute chose sur son affect.” (Spinoza). La raison, la faculté de penser fait corps avec le désir tel qu’il se produit en nous. Hamlet oppose finalement une existence sans vie à une vie sans existence. L’existence est comme le film qui retrace l’ensemble de nos actes, de nos pensées, de nos désirs, de nos rêves, …Nous sommes à la fois acteur, réalisateur, monteur, scénariste et décorateur de ce film. C’est peut-être pour cette raison que nous aimons tant le cinéma. Il est une métaphore de nos vies. Nous y voyons défiler des existences. Nous finissons par oublier qu’il s’agit d’une fiction, que les caméras étaient là pour saisir le jeu des acteurs. Nous voudrions parfois que nos vies soient comme le cinéma. Que nous puissions rejouer les scènes afin qu’elles soient comme nous les voudrions au final. Mais l’existence est un film qui ne s’arrête pas et nous improvisons tout le temps sauf lorsque nous jouons un rôle prédéfini. Exister cela renvoie à notre vie en elle-même, à ce qu’elle est, à la vie que nous avons peut-être rêvé ou imaginé, aux rencontres que nous avons faites. Parfois, nous pensons réellement diriger nos vies et puis un événement soudain qui n’affecte que nous ou peut-être tout le monde nous permet de réaliser que nous sommes cette petite brindille sur l’eau emportée par le courant et tourbillonnante. Notre existence est un mélange de choix, de hasard et d’accidents. Nous ne faisons que louvoyer tel des marins inexpérimentés entre chacun.

Qu’est-ce qu’une existence ? Une suite de moments plus ou moins agréables, plus ou moins anodins, des moments où nous avons éprouvé des émotions, des sensations, où nous avons fait des choix ou bien que nous avons subi, des instants où nous sommes seuls, à deux ou à plusieurs. Des moments que nous allons oublier ou qui vont rester dans notre mémoire parce qu’ils auront été particuliers ou bien parce que nous aurons ressenti quelque chose de particulier ce jour-là. Le seul lien entre tous ces moments c’est nous-même, nous en sommes la matrice, le fil conducteur et ils forment peu à peu notre existence.

Qu’allons nous mettre dans notre existence ? Quelles personnes, quelles actions ? Comment le hasard va-t-il se jouer de nous, inventer et fabriquer notre existence ? Car nous sommes aussi le jeu de hasards merveilleux ou malheureux. Des rencontres qui auraient pu en être d’autres. Des trains et des avions ratés qui vont créer de nouvelles bifurcations. Peu à peu cependant nous sentons que notre existence nous échappe, que nous nous éloignons d’elle, que nous la regardons comme un élément extérieur. Nous devenons indifférents à elle, elle nous apparaît comme étrangère. Nous continuons à essayer de nous y accrocher mais nous voyons bien que quelque chose nous échappe. Notre existence poursuit son chemin mais nous n’avançons plus avec elle. Nous ralentissons peu à peu, nous finissons même par nous arrêter et nous la voyons défiler tel un train. La vie peut s’écouler ainsi sans qu’on s’y accroche. Comme un fleuve. Tout devient transparent, inconsistant. Tout devient sans vie, juste de la matière inerte. La vie en apparence est toujours là mais l’existence n’y est plus. Nous l’avons abandonné et nous avec.


Lire l'article complet, et les commentaires