Svetlana Alexievitch, Paul Auster : Préférez-vous les histoires vraies ?
par velosolex
lundi 18 février 2019
« La fin de l’homme rouge » de Svetalana Alexievitch » et « Je pensais que mon père était dieu » de Paul Auster : Deux livres qui sont des compilations de témoignages, réunis l’un par un Américain, et l’autre par une habitante de l’ex empire soviétique. Des histoires d’hommes et de femmes souvent ordinaires, qui, avec leur humanité souvent poignante, nous en disent beaucoup plus que l’histoire officielle.
Mon père ne lisait pas. Sauf le journal. Les romans, il s’en moquait. A la fin de sa vie, comme il ne pouvait plus trop travailler, il se mit à lire tout de même « des histoires vraies ! »...l’autobiographie d’un mineur du nord, par exemple, racontant la guerre, les grèves et les coups de grisou. Ca lui parlait, cette vie de gueule noire siliconée, qu’avait bouffé de la viande enragée, entre corons et tranchées. Il lui fallait le coup de tampon du certifié authentique, ce label "histoires vécues", qu'on trouve dans les faits divers des jounaux. Qu’est-ce qu’il aurait pensé de ces deux histoires ? Parfois si stupéfiantes qu’un auteur de fiction hésiterait à les coucher sur le papier, de peur d’être jugé peu crédible. D’autres sont si horribles et déchirantes qu’on préférerait vraiment qu’elles soient sorties de l’imaginaire d’un esprit fou ! Des histoires dignes des mille et une nuits, au risque parfois de ne pas fermer l’œil de la nuit.
Il lisait donc "Détective" pour les crimes en petit, et " L'humanité", pour les crimes de masse. Il ironisait sur les séries qui nous scotchaient à l’écran noir et blanc.
« Ils font semblant de se taper sur la gueule. Disait-il. Mais à la fin du tournage, ils vont tous boire un coup ensemble ! »
« Mais tais toi donc, disait ma mère, en s’essuyant les yeux avec son mouchoir. Si t’aimes pas ça, pas la peine de chercher à dégoûter les autres ! »
On l’aura compris, mon père préférait les troquets aux lieux de tournage, et les salles enfumées et braillardes aux décors en carton pâte. Il parlait beaucoup, se transformait en tribun de comptoir, s’engueulait avec les autres, racontant beaucoup d’histoires, et avait un gout manifeste pour l’exagération.
Peut-être que Paul Auster ou Svetalana Alexievitch aurait apprécié mon père, un homme ordinaire qui avait appris à lire, et à nager, en gardant ses vaches en basse Bretagne. Et la cordonnerie, en étant réfractaire, se cachant des boches pendant la guerre. Le hasard et la nécessité avaient été toujours ses deux moteurs. Il en sortait une vraie philosophie, apprise avec la cordonnerie, la boue des chemins, et le cuir dur des brodequins. Il pouvait vous dresser la psychologie d’un homme rien qu’en regardant ses semelles. La façon d’user de l’avant, de l’arrière, ou sur les cotés en apprenait beaucoup sur lui, son métier, et sa façon d’être et de penser : Un flic, un curé, un paysan, ne frappent pas le sol de la même façon.
« Il faut être très prudent par rapport à ses mérites personnels, disait-il. Généralement, ceux qui ont réussi pensent que le hasard y est pour rien, oubliant la cuillère d’argent qu’ils avaient en bouche à leur naissance.. »
Ces deux livres appartiennent à ceux que je conseillerais à n'importe qui. Je me demande si je ne devrais pas faire une étagère en rapport aux histoires vraies, écrits par de grands romanciers, au risque souvent de leur vie. Je vous en livre quelques uns, qui me viennent en tête. Pas de la petite bière quand même….. « De sang froid » de Truman Capote. « Ébène » de Ryszard Kapuscinski . « Hommage à la Catalogne » et « Le quai de Wigam » d’Orwell. « L’île de Sakhaline » D’Anton Tchekhov….
Peut-être que Zola abandonnant ses romans pour se dresser avec son « J’accuse », en première page du journal « L’Aurore » marqua-t-il quelque chose, dans ce mélange des genres ! Auster et d’Alexievitch n’accusent personne. Ce sont des témoins, des passeurs. Ils font partie de ces conteurs qui laissent l’exaltation et l’indignation à ceux qui prennent la parole. Mais sans doute faut -il une empathie naturelle, afin de transcrire aussi bien les témoignages. .
En 2000, il lance un appel à la radio : « J'ai expliqué aux auditeurs que je cherchais des histoires. Celles-ci devraient être vraies, elles devraient être brèves, mais il n'y aurait aucune restriction quant aux sujets ni au style. Ce qui m'intéressait le plus, ai-je précisé, c'étaient des histoires non conformes à ce que nous attendons de l'existence, des anecdotes révélatrices des forces mystérieuses et ignorées qui agissent dans nos vies, dans nos histoires de famille, dans nos esprits et nos corps, dans nos âmes. En d'autres termes, des histoires vraies aux allures de fiction. Les gens allaient explorer leurs vies et leurs expériences personnelles, mais en même temps ils s'associeraient à un effort collectif, à quelque chose de plus vaste que chacun d'eux »
173 récits vont émerger parmi les milliers qu’il reçoit. Des récits brûlants comme une lampée de whisky bu cul sec. Ou de vodka….Pari réussi. La vie a vraiment l’air d’une fiction. Est-ce dieu, ou plutôt le diable, qui vous fait un clin d’œil la-haut ?…
"Notre salle à manger se trouvait sur le coté nord de la maison. Il y faisait toujours sombre. Sur la table j'aperçus un papier jaune froissé, et en un instant terrible tout me devint évident. Sur ce papier étaient marqués les plus redoutés de ces années de guerre : Nous avons le regret de vous informer ! "
Une lettre qui s’est trouvée aussi sur les tables de millions de familles soviétiques.
"La fin de l'homme rouge", ou " le temps du désenchantement", est une magnifique fresque, issue de dialogues, d'interviews, d'enregistrements, que Svetlana Alexievitch a collecté pendant des années. Elle a parcouru l'ex immense empire, stylo et carnet en poche, ou posant un magnétophone sur des coins de table de datcha perdue, ou de palais moscovite ; revenant parfois plus tard, quand la parole était difficile. Anciens colonels de l’armée rouge à la retraite, ex prisonniers du goulag, enfants d’apparatchiks, habitants des anciennes provinces soviétiques, mère de milicienne disparue, jeune femme arriviste ne vouant plus son énergie qu’à une cause, la sienne….C’est une formidable immersion dans l’histoire, la géographie, et la sociologie de ce bloc si longtemps fermé.
Que reste-t-il de l’homo sovieticus ? Cette histoire est une plongée dans des sortes d’enfer concentriques, se contenant les uns avec les autres. A la différence du totalitarisme nazi, le soviétique fut rallié par des gens idéalistes, pétris de valeurs humanistes, qui acceptèrent pourtant souvent d’avaler des couleuvres, de se soumettre et de collaborer à un régime d'oppression impitoyable. Mais peut-on liquider cette histoire en un jugement si péremptoire ? Ce empire a représenté un espoir pour deux ou trois générations, et a fasciné assez les intellectuels et les révolutionnaires du monde entier, pour qu’ils oublient leur codes des humanités ordinaires, s'en remettant à la promesse de lendemains meilleurs.
L’auteur n’est pas là pour juger. Mais les témoins le font souvent à sa place, avec colère, regret, émotion, ou amertume. Les victimes dans ces histoires à double ou triple fond deviennent parfois eux mêmes bourreaux, ou complices, ce qui explique embaras, et ambivalence. Beaucoup restent malgré ce qu'ils ont vécu nostalgiques de cet empire qui se faisait respecter, et engendrait chez eux un sentiment de fierté. Le ciel tout à coup s'est effondré, disent ils souvent.
Les professeurs constatent désabusés que personne ne s’intéresse plus à la culture classique, à Tolstoï, à Tchekhov... Les autodafés de livres qu’Hitler avait entrepris sont devenus inutiles. Les oeuvres de Marx et de Lenine sont amenés au pilon, à la décharge, victimes du désintérêt total plus que de la police de la pensée. Ce pays qui comptait un nombre extraordinaire d’érudits et d’ingénieurs, est fasciné par les images en toc de l’occident, et se suicide d’une façon inexplicable, en laissant beaucoup de ces citoyens médusés, tétanisés, sur le bord du gouffre, abandonnés par l'état, obligés de faire la manche pour survivre. Si la révolution soviétique fut quelque chose de totalement inédit dans l’histoire du monde, sa chute atypique le fut tout autant.
Il faudra un certain temps pour que les supporters de la révolution poussée par Eltsine battent leur coulpe, et s’aperçoivent qu’on les a bien trompés, et que si les supermarchés sont maintenant bourrés de marchandises et de gadgets, bien peu d’entre eux peuvent les acheter. "Comment avez-vous pu être si naïfs ?" Se voient reprocher les anciens communistes, par une jeunesse qui ne connait rien à l'histoire, ne veut pas entendre parler de la révolution de 17. Cette nouvelle génération qui apporte ici aussi son témoignage, et sa vision du pays, veut faire de l'argent rapidement, voyager, prendre du bon temps.
Et Pourtant certains arrivistes de la première heure, celle des années 90, où il fallait profiter d'un opportunité inédite, et être filou et malin, pendant que les autres rêvaient, ou ne croyaient pas ce qui se passait, confessent une nostalgie parfois pour le monde d'hier. On se partageait un saucisson dans la cuisine, en discutant littérature, disent ils, émus, évoquant ce passé où la communion et l'entraide étaient la grande richesse. La sainte et grande Russie n’a que faire de ces gadgets et de trop de confort, concèdent ils, en remontant dans leur Mercedes.
Force est de reconnaître dans ces paradoxes les traits allant du comique à la passion exagérée et aveugle, traitant de cette âme russe insaisisable et passionnée, que les grands auteurs Russes ont su exploiter dans la littérature.
Ah ! Les cuisines ! Voilà où semble-t-il se logeait l’âme russe, pendant des décennies...L’occidental découvre dans ce livre combien c’était des cocottes minutes de la culture et de socialité. Il semble qu’on ait davantage rêvé de changer le monde dans les cuisines soviétiques, que dans les salons français du dix huitième siècle. Mais la roue tourne, les nouveaux témoins sont contents que Poutine soit un nouveau tsar. Rétablir déjà la dignité du pays, disent il...Il faudra attendre ces dernière années, pour que les objets déclassés de l’ex union soviétique soient de nouveau à la mode, et que les jeunes se remettent à lire « Le capital ».
En lisant ces témoignages, on réalise que la Russie a vécu en un temps très court, et à un niveau d’ampleur inégalée ce que nous vivons nous mêmes à l’instant : Le glissement insidieux de la culture vers la barbarie, où l’argent roi, et la vulgarité, sapent ce qu’on estimait sacré, et éternel. Cela est parfois si cruel, ou révoltant, qu’on préférerait que cela soit de pures fictions, si improbables, que l’on dirait alors : « Des choses pareilles heureusement ne se passent pas dans la vraie vie »
Ainsi, on pourrait se croire protégé de l’indicible, de la monstrueuse cruauté des hommes, quel que soit le pays que l’on habite. Étoile entourée de bleu, ou de rouge. Les idéaux ne valent plus grand chose quand la mort semble toute proche, et qu'un pied vous écrase la figure. Il y a heureusement dans ces histoires, la figure du bon samaritain, qui fait reprendre confiance en l'humanité.
Ainsi dans le livre de Paul Auster, cet Américain de la première génération, qui se souvient de ses années de jeunesse, en Hollande. Il a 11 ans, en 44, sur fond de débâcle Allemande, quand la wechmacht recrutait de tous jeunes soldats :
« Toutes les mères se retournèrent. C’était le bruit d’un enfant qui pleure. Sur le seuil de la maison de M.Campen, un soldat était assis, son fusil appuyé contre lui, le visage caché dans sa capote. Il tentait de ravaler ses sanglots, et puis renonça. ….Une mère s’approcha de lui et lui parla doucement, en allemand. « Qu’est-ce qui ne va pas, demanda-t-elle » ...Elle se penchait vers lui en lui parlant, et quand elle eut fini, elle se releva et nous annonça : » Cette guerre doit être presque terminée. Il a seize ans et n’a eu rien à manger aujourd’hui….Un officier allemand marchait dans la rue à peu de distance. J’avais peur, et très froid. Les mères réussirent à revenir à temps. Une pomme de terre cuite, un bout de pain, une pomme ridée passèrent de main en main jusqu’au garçon. L’officier arrivait. L’enfant redevint un garçon. « Danke ! » Dit-il. Et puis il se leva et reprit son fusil. Les moteurs des camions démarrèrent. Nous pouvions rentrer. Jusqu’à la fin de la guerre, pendant toute ma vie, j’ai gardé le souvenir de ce soldat qui pleurait. Il avait le même âge que ma sœur ! » (Mieke C. Malandra- Lebanon, Pennsyvalnie)
Une pomme de terre, que Vassili Grossman ancien combattant de Stalingrad évoque dans « Vie et destin », un roman très autobiographique, où il dépeint cette grande âme que le petit peuple retrouve, dans les moments difficiles, à travers le portrait de cette vieille femme le cachant dans sa datcha minuscule, au péril de sa vie, et lui offrant le peu qu’elle possède.
Cette âme miséricordieuse, qui vous réconcilie avec l’humanité, est présente dans bien des récits de souffrance. On la trouve non seulement dans « La guerre et la paix » de Leon Tolstoï, quand le prince Pierre, promis au poteau d’exécution par les soldats de Napoléon, se voit offrir une pomme de terre par un mendiant tout aussi affamé que lui. Et plus jamais, une fois sauvé, lui qui n'avait jamais manqué de rien jusqu'alors, sa vie ne sera comme avant. Ce sont bien les épreuves, qui révèlent la valeur des hommes !
Le Dickens des « grandes espérances » me vient autant en mémoire que « Les misérables » de Victor Hugo. La même évocation d’ anciens taulards, de réprouvés, qui avaient fait résilience et surent inverser le destin, et donner une caresse, un abri au chien errant, au lieu de lui foutre un coup de pied au ventre. Les contes des mille et une nuits nous avaient déjà prévenu : Combien de princes se sont endormis un soir en un palais luxueux, pour se réveiller au matin, sur un lit de pierres, dans un désert glacé ?
« J’ai toujours envié les gens qui peuvent retourner sur les lieux de leur enfance, ceux pour qu’il existe un endroit où ils se sentent chez eux. » Nous dit, à travers Paul Auster, un certain Timothy Akerman-(Californie).
Pour l’ex homme rouge, l’éclatement de l’empire a abouti à la prise de conscience douloureuse qu’il n’était plus question maintenant d’avoir des contacts avec leurs voisins d’avant, cette l’époque où l’homo sovieticus avait aboli les concepts de nationalisme entre les provinces de l’empire. Alors, chacun s’est souvenu qu’il était Arménien, Géorgien. Ou Russe. Ou on leur a rappelé. Les pogroms ont commencé un peu après…C’est alors qu’une des témoins d’Alixievitch auraient très bien pu rencontrer Une de ceux d’Auster, sur une plage du Pacifique...
« Tout le monde est parti. Pour sauver sa peau. Nous avions des amis qui vivaient en Amérique, à San Francisco. ...C’était si beau. L’océan est partout. Je passais des jours entiers au bord de la mer à pleurer. C’était plus fort que moi. J’arrivais de la guerre, d’un pays où n’importe qui peut se faire tuer pour une bouteille de lait...Un vieux monsieur marchait sur le rivage. Il disait que la beauté et l’océan, ça guérit. Il m’a consolé longtemps...Les larmes coulaient encore plus fort….Les mots gentils me faisaient pleurer plus que les coups de feu à la maison. Plus que le sang. Mais je n’ai pas pu vivre en Amérique. Je voulais retourner à Douchambé, et si c’était dangereux de rentrer, je voulais vivre le plus près de chez moi. Nous avons déménagé à Moscou ! »
Finalement on ne prend conscience de sa pauvreté que lorsque la richesse qu’on ne soupçonnait pas se pose à coté de vous. C’est ce que ce sont aperçu aussi bien des Russes, au détour de la chute de l'empire soviétique.
Faut dire que nous habitions tout près d’une des ces grandes bases américaines, avant que De Gaulle ne les vire. C’est de là que venait Gary, « l’américain » un copain de mon père. Un type qui passait de temps en temps à la maison, laissant des cartouches de blondes « Camel » et « Lucky Strike », et des tas de bombecs pour les gosses. Bien sûr, quelques bouteilles de calvados passaient dans le coffre de la grosse voiture américaine en guise d’échange. La gnôle ? Elle venait d’un autre copain de mon père.... Un Al Capone Normand, surnommé « Goupil » ferrailleur de son état, qui larguait les flics avec une traction avant de 15 chevaux semant des clous derrière elle, quand il le fallait, grâce à une trappe ingénieuse qui s’ouvrait ! Exactement comme la voiture de James Bond. Mon père m’avait garanti que c’était lui qui lui filait les clous, « à trois pointes ».
Mais motus et bouche cousue !Mais même à dix ans, c'était difficile de croire à toutes les histoires de mon père. Celle ci me faisait vraiment sourire. Il m'avait appris l'exaltation, mais aussi le septicisme...
On est parti à la mer, faire les plages du débarquement, un après midi d’été, en mode décapotable. Ç’aurait pu être un voyage vers la lune, et j’aurais pu croire que mon père était dieu, comme dans le titre du bouquin de Paul Auster. Mais je voyais bien que ce n’était qu’un rêve. Et que les cordonniers resteraient les plus mal chaussés. A vrai dire on n’était pas plus à l’aise à l’arrière, les quatre gosses, sur la grande banquette, que mon père au volant, qui faisait le mariole comme un mauvais acteur, en klaxonnant sur trois temps.
Difficile de s’imaginer que le sang avait coulé là on l’on se baignait. Des jeunes gens venant d’états aussi exotiques que la Californie ou le Nevada étaient partis de l’autre coté de la mer pour nous délivrer. Cela méritait le respect.
Fallait pas s’approcher trop près des pontons couverts de crustacés, car elles se resserraient parfois, comme des tenailles de cordonnier le faisaient sur de vieux clous rouillés. Rien que de faire un tour dans un atelier de cordonnerie vous familiarise avec une chambre de tortures. J’avais beaucoup d’empathie pour les godasses martyrisées. Mais c’était la condition pour renaître, avec une semelle neuve. La guerre restait comme un crabe pas tout à fait mort qui lançait parfois une patte, très vite, et vous choppait. Les bombes et les mines enfouies continuaient à tuer 15 ans après la fin de la guerre...
Quant à celle d’Algérie, elle était en cours, le fils de l'épicier en était revenu tout cabossé, et silencieux. Il ne me faisait même plus faire le tour du village avec son scooter triporteur, à l'arrière, coincé entre les caisses de bière, et de limonade.
J’avais trouvé enfoui dans le sable une boite de rationnement, en fer blanc, toute cabossée. C'était marqué" Emergency ration".. Ma soeur m' a fait la traduction. A n'ouvrir qu'en cas d'absolu necessité. Mais quand s'aperçoit on qu'on se trouve dans une necessité absolue ?... Elle était oxydée par le sel. Je l'ai portée à mon oreille. Richard Anthnoy disait que " la réponse était dans le vent"... Mais elle sentait juste le moisi. Un peu comme un bouquin jauni.
Quant à Goupil, le contrebandier de bouteilles de calva, et sa traction avant allongée, j’ai appris 30 ans plus tard qu’il s’était fait arrêté par la police. Un article dans "Le réveil Normand" lui rendait les honneurs de l'histoire vraie, incontestable, écrite noir sur blanc, entre nécrologie et météo.
« Le Al Capone du calva Normand se fait enfin coincer ! »
Peut-être n’avait-il plus de clous pour semer les flics, maintenant que mon père était mort ?
Et dire que je ne l'avais pas cru !