SYRIE : Bas les masques à « Le Média »

par Disjecta
mercredi 7 mars 2018

Les démissions se succèdent à "Le Média" qui montrent des journalistes bien propres sur eux s'émouvoir de la façon dont est traitée la question syrienne. Une chance pour "Le Média" de devenir véritablement indépendant et intéressant ?

Décidément la Syrie, comme le Venezuela, fait tomber beaucoup de masques. On se souvient de Catherine Kirpach, ancienne de LCI embauchée par Le Media, qui avait repris une dépêche de l'AFP sur le Venezuela sans la vérifier. La dépêche prétendait que les candidats de l'opposition étaient empêchés de s'inscrire pendant six mois. L'élection présidentielle ayant lieu avant, Catherine Kirpach concluait son "info" par un gourmand "Cherchez l'erreur". Or l'erreur n'était pas là où la pensait la "journaliste" : face à la fronde des socios du Média, elle devait avouer au JT suivant que l'AFP avait fait une erreur de traduction (reconnue dans la soirée : le mal était fait donc) et qu'il aurait fallu comprendre que les candidats de l'opposition recalés par la Cour Suprême de Justice avaient en vérité six mois supplémentaires pour s'inscrire ! Mais Catherine Kirpach se cachait piteusement derrière l'erreur de l'AFP car c'était bien elle la responsable de ce mensonge en direct, qui avait sauté sur une dépêche de l'AFP comme si l'agence en question était absolument digne de confiance et l'avait relayé pour montrer que, comme tous ses collègues journalistes très courageux, beaux, et moraux, elle était contre le "tyran" Maduro au Venezuela. Le cas montrait de façon flagrante l'erreur petite-bourgeoise du Média, embauchant des journalistes installés en pensant se faire ainsi une crédibilité, dédaignant la main tendue de Maxime Vivas et du Grand Soir pour le traitement de la question vénézuelienne, et se retrouvant avec un cas grave de mensonge avéré et de propagande pro-atlantiste visant à préparer les esprits à un coup d'état à la Pinochet au Venezuela (bourgeoisie comprador locale et CIA main dans la main). Cette erreur incroyable n'avait pourtant pas suffi à discréditer Catherine Kirpach auprès des fondateurs du Média.

C'est à présent la question syrienne qui fait des dégâts dans la rédaction du Média. Une à une, les belles âmes quittent le navire, ne supportant pas la présence sur le plateau du chroniqueur libanais Claude el Khal, celui-ci ayant eu l'outrecuidance de ne pas vouloir diffuser les images (mal ou pas du tout sourcées) relayées en boucle sur les autres médias à propos de la Ghouta et censées démontrer que Assad est un boucher mangeur d'enfants crus et qu'il faut immédiatement... bombarder la Syrie pour sauver sa population. "Cherchez l'erreur" aurait pu dire avec le ton mielleux qu'on lui connaît Catherine Kirpach... ou pas, car la glorieuse journaliste a elle aussi démissionné :

"Je démissionne de @LeMediaTV pour une, et une seule raison, twitte notre belle âme : le plateau de C. Elkhal sur la Syrie. Comme journaliste et citoyenne c’était un cas de conscience. Je reste fière de mon travail sur les migrants à #Lemedia pendant ces 2 mois. Cette aventure fut aussi la mienne."

Jusqu'au bout donc, Catherine Kirpach restera propre sur elle-même, sûre de son fait et persuadée d'être dans le camp du bien ; comme beaucoup de ses égaux de classe, petit-bourgeois s'insurgeant en coeur avec les médias achetés par la grande bourgeoisie pour dire leur "écoeurement", leur "honte", leur "colère", parce que l'occident n'agit pas en Syrie et ne va pas bombarder Damas pour aider les populations civiles sur place (comme le grand Sarkozy, l'inestimable BHL et l'inégalable Juppé l'ont fait en Libye, avec le succès que l'on sait). La petite bourgeoisie aime crier en coeur sa révolte, sa colère, comme elle l'a fait au lendemain des attentats de Charlie, s'affichant partout et la larme à l'oeil avec son autocollant tout mignon "Je suis Charlie". Avant de se faire tirer comme des lapins quelques dix mois plus tard sur les terrasses des quartiers gentrifiés de Paris, où on est si bien entre soi, et si beaux. Là encore, nos petits-bourgeois ont pleuré, se sont serrés dans les bras, un peu hagards, mais se plaçant en rangées fières et droites derrière leurs gouvernants pourtant directement responsables des attentats qui venaient d'avoir lieu. Et les voilà à battre leur coeur, à se dire révoltés par le sort d'Alep, de la Ghouta, à réclamer des actes, de la solidarité. Et - car il ne faudrait pas que ce beau récit de leur courage soit entaché par la possibilité qu'on puisse être de simples ignares incapables de s'informer autrement que dans les organes à propagande des milliardaires et les médias gouvernementaux - on s'insurge contre ceux qui apportent un autre son de cloche, on traite de "complotistes" ceux qui prétendent que les "rebelles modérés" en Syrie sont des mercenaires islamistes parmi les plus sanguinaires, payés, armés et envoyés depuis le début par notre belle démocratie, la France, et ses alliés (Israël, Arabie Saoudite, Qatar, Royaume-Uni, Turquie, les inévitables US). On n'a évidemment pas lu le rapport de Seymour Hersh sur les premiers bombardements chimiques de la Ghouta en 2013 ("c'est vieux tout ça...") tendant à démontrer que c'étaient nos beaux rebelles amoureux de la liberté qui avaient envoyé les missiles sur les populations civiles et avaient ensuite compté (avec quelques raisons) sur l'unanimité des médias à la solde de la bourgeoisie et des industries de l'armement pour laisser penser qu'il s'agissait là d'un crime honteux du "boucher-suceur-de-sang-mangeur-de-petits-enfants Bachar". Le bombardement de Damas n'était pas passé loin alors, le déjà historique ex-président François Hollande n'hésitant pas à le regretter encore aujourd'hui devant les journalistes de RT (l'interview est-elle cependant vraie, une telle bêtise couplée à une pareille autosatisfaction dans un homme ayant copieusement tout raté paraissant assez irréelles ?).

Soyons franc, les démissions en nombre qui concernent aujourd'hui le Média à propos de la Syrie pourraient bien être une excellente nouvelle pour ledit Média. Passée cette étrange lubie d'avoir voulu recruter des journalistes installés dans le milieu et incapables de remettre en cause leurs pratiques journalistiques, qu'ils aient au-dessus d'eux un propriétaire milliardaire ou non, les fondateurs du Média vont peut-être aller chercher les compétences là où elles sont vraiment, là où elles ont fait leurs preuves. Ils l'avaient déjà fait en interrogeant Maurice Lemoine sur le Venezuela, peut-être - au lieu de l'insulter - iront-ils enfin voir du côté du Grand Soir de Maxime Vivas. L'écrémage auquel on assiste pourrait donc avoir du bon, si tant est évidemment que, et Sophie Chikirou, et Gérard Miller, en tirent les bonnes conclusions. Sans aller jusqu'à l'embauche d'un Thierry Meyssan (et pour les questions touchant la constitution, l'Europe ou la monnaie, un Etienne Chouard, on peut rêver), mais du moins sans des tireurs dans le dos du style Noël Mamère ou Catherine Kirpach.

 

P.S : Si besoin était, notons que du côté du NPA, le délire sur la Syrie (après celui sur la Libye ou le Venezuela) ne s'arrange pas, et montre combien les trotskystes (ce qui inclut également le mouvement Ensemble !) ont une étonnante propension à promouvoir le calendrier guerrier atlantiste. On cherchera par contre toute protestation contre la tentative d'assassinat du candidat de gauche pour les présidentielles en Colombie, Gustavo Petro.


Lire l'article complet, et les commentaires