Tabac chauffé : stratégies et mensonges des géants du tabac
par Ptisserand
mardi 10 mars 2020
Le débat autour des nouveaux produits de tabac continue de faire rage. Alors que les principaux organismes de santé publique ne cessent d’attirer l’attention sur les risques que ces produits font courir, les industriels maneuvrent pour enrayer la chute des ventes de tabac traditionnel.
Les nouveaux produits du tabac : assimilables aux produits du tabac traditionnels selon l’OMS
L’OMS n’est pas moins sévère à l’égard des produits de tabac chauffé (Iqos de Philip Morris International, Glo de British Americqn Tobacco, Ploom de Japan Tobacco International...), présentés comme moins nocifs que les cigarettes traditionnelles. Contrairement aux cigarettes électroniques, ces produits contiennent bien du tabac. Mais celui-ci est chauffé (jusqu’à environ 300 °), générant une « vapeur de tabac », sans atteindre la température de combustion des cigarettes (environ 850 °). Selon certaines études, réalisées par l’industrie du tabac elle-même, l’absence de combustion en ferait donc des produits moins toxiques que le tabac traditionnel. Les scientifiques estiment pour leur part que les géants du tabac ne devraient pas être autorisée à commercialiser ces produits sous le prétexte fallacieux qu’ils seraient moins nocifs.
Pour l’OMS, les règles applicables au tabac « s’appliquent de la même façon au tabac chauffé qu’aux cigarettes traditionnelles ».
Aussi, là encore, l’OMS se veut formelle dans sa fiche d’information sur les produits de tabac chauffé. « Toutes les formes de tabac sont nocives, y compris les produits de tabac chauffés. Le tabac est toxique par essence et renferme des produits cancérogènes, même dans sa forme naturelle. Les produits de tabac chauffés doivent donc être soumis aux mesures politiques et réglementaires appliquées à tous les autres produits du tabac », tranche-t-elle. Si les avis des professionnels de santé divergent bien souvent sur l’utilité de la cigarette électronique, ils font l’unanimité sur le tabac chauffé qui est clairement assimilé au tabac traditionnel.
Pour les industriels, l’enjeu commercial des produits de tabac chauffé est capital et vise à contrebalancer la baisse de la prévalence tabagique dans les pays développés. Sans surprise, ils font donc tout leur possible pour présenter ces produits de manière positive y compris en attirant les plus jeunes dans leurs filets par tous les moyens. Notamment ceux qui leur sont strictement interdits pour le tabac traditionnel comme la publicité ou le marketing ciblé sur les réseaux sociaux comme Instagram. C’est notamment le cas de Philip Morris International (PMI), dont le dispositif Iqos est désormais leader sur le marché. En commercialisant l’Iqos en France depuis 2017, PMI fait tout pour que le produit devienne la bouée de sauvetage du géant mondial du tabac, confronté, comme l’ensemble des cigarettiers, au déclin inexorable des ventes de cigarettes en Union Européenne. Mais, les niveaux de taxation demeurent inférieurs pour les produits du tabac chauffé et la cigarette électronique, alors que leur dangerosité est, à différentes échelles, désormais scientifiquement éprouvée. « L’impôt sur le tabac « chauffé » prélevé sur un emballage d’un prix moyen de huit francs se monte à 12 pour cent seulement, plutôt qu’à environ 53 pour cent pour les cigarettes traditionnelles » explique ainsi une revue médicale suisse, évoquant le cas de la commercialisation des produits du tabac chauffé sur le territoire helvétique.
Volonté de normaliser une pratique pour convaincre le grand public
Selon les informations de l’agence Bloomberg, les profits de PMI pourraient augmenter de 19 % cette année, un résultat directement lié à la commercialisation de l’Iqos, dont 60 milliards de recharges ont été vendues en 2019. PMI se dit « sur les rails de son objectif » de vendre 100 milliards de recharges en 2021, en comptant sur ses marchés dominants, comme le Japon, mais aussi sur de nouveaux marchés où Iqos a récemment obtenu une autorisation de commercialisation, notamment les États-Unis, ajoute Bloomberg.
Seulement, les méthodes utilisées par l’industriel pour commercialiser son produit pourraient poser problème. D’après une enquête récente de l’agence Reuters, PMI n’a pas hésité à défier la communauté scientifique et à financer des campagnes marketing trompeuses. Le géant du tabac use aussi de vieilles ficelles politiques pour imposer par la voie politique l’adoption de ses produits.
Le géant du tabac promeut régulièrement la marque Iqos dans des festivals de musique, des expositions d’art, des stations de montagne, ou encore dans certains quartiers à la mode de certaines capitales européennes. Dans toute l’Europe, elle s’associe à des bars et des restaurants « Iqos friendly », fermés aux cigarettes, mais ouverts à Iqos, souligne Reuters. Objectif de Philip Morris : associer son produit à la mode, à l’art et à la culture populaire, comme ont pu le faire dans le passé des marques comme Marlboro pour lesquelles toute publicité est strictement interdite du tabac. La stratégie de PMI rappelle ainsi certains des pires travers de l’industrie du tabac ciblant leurs stratégies marketing sur les catégories les plus influençables, car les vecteurs privilégiés (festivals de musique, réseaux sociaux…) sont très largement utilisés par les jeunes, pour s’assurer qu’ils tombent au plus tôt dans la dépendance tabagique.
« Ils essaient très fort de ressusciter l’époque glorieuse du tabagisme, où le fait de fumer était glamour, sophistiqué et élégant. Il s’agit d’associer le tabac à toutes les bonnes choses de la vie », a expliqué à Reuters Robert Jackler, professeur à l’Université de Stanford ayant participé à la réalisation d’une importante étude sur la question.
PMI en appelle aux pouvoirs publics tout en méconnaissant ses propres standards marketing
D’après les résultats de cette étude, les campagnes de promotion de l’Iqos font partie d’une vaste stratégie de « normalisation » de Philip Morris visant à effacer son image de fournisseur de produits cancérigènes et à présenter ses nouvelles alternatives au tabagisme comme des produits jeunes et haut de gamme.
Le géant du tabac est même allé jusqu’à avoir recours à des jeunes pour promouvoir l’Iqos, ce qu’interdisent les normes internes de marketing de l’entreprise. Or, bien que celle-ci ait reconnu avoir remis en question sa propre politique, les chercheurs de Stanford ont constaté que le marketing de l’entreprise continue de s’écarter « considérablement » de ses propres normes.
PMI cherche à faire de la publicité pour l’Iqos, pratique pourtant interdite pour tout produit du tabac
Pour le cigarettier, l’enjeu est capital. Toujours selon les informations de Reuters, Philip Morris a investi 6 milliards de dollars dans le développement de produits « sans fumée ». En 2018, le PDG de la société a déclaré aux actionnaires qu’il espérait recevoir environ 40 % de ses revenus (quelque 20 milliards de dollars) grâce à des produits « à risque réduit » d’ici 2025. C’est le même André Calantzopoulos qui a récemment appelé les pouvoirs publics à mettre en œuvre des politiques, notamment fiscales, volontaristes pour encourager le recours au tabac chauffé comme substitut viable à la cigarette. Il estime en effet que les gouvernements « ne jouent pas assez leur rôle pour favoriser le passage des fumeurs aux produits alternatifs à la cigarette »...
Une position que ne partagent pas les organisations de santé publique. Réunies à Berlin en février pour la 8e conférence européenne sur le tabac et la santé, ces derniers ont adopté une déclaration commune pour aligner toute la réglementation des produits du tabac à chauffer sur le tabac traditionnel, des taxes aux avertissements sanitaires, en passant par l’interdiction de la publicité.
Le chantage classique des géants du tabac sur le financement de la vie politique en Allemagne
Compte tenu de cette subtilité toute particulière de la vie politique allemande, qui fait du pays le mouton noir de la lutte antitabac en Europe (loin derrière des pays comme la Russie, l’Ukraine...), les financements semblent jouer leur rôle sur l’avis des politiques. Ce sera l’un des enjeux des révisions de la directive tabac et de la directive taxes qui commencent à Bruxelles. Les fabricants de tabac vont exercer un lobbying forcené sur la Commission européenne et les eurodéputés en menaçant de mettre fin au financement des campagnes électorales et de la vie politique allemande. Il est souhaitable que la Commission von der Leyen fasse preuve de bon sens citoyen pour ne pas céder aux sirènes qui ont si facilement séduit l’entourage du luxembourgeois Jean-Claude Juncker.