Tariq Ramadan : les raisons d’une incompatibilité
par Soufiane Djilali
vendredi 1er janvier 2010
Qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas, Tariq Ramadan ne laisse pas indifférent. C’est le lot habituel des personnalités aux traits de caractère bien prononcés. Mais ici, la controverse doit être appréhendée avec plus d’attention pour comprendre ce qui est en jeu.
Incontestablement, l’homme dérange. Au-delà de sa remarquable maîtrise de la langue française, de ses qualités intellectuelles évidentes et de sa verve, il porte un discours qualifié de limpide par ses supporters mais de double par ses détracteurs.
Lors de sa dernière intervention (que vous pouvez visionner sur son site personnel) devant la commission parlementaire sur la burqa à laquelle il était convié pour donner son opinion, il s’est fait particulièrement maltraiter par certains députés pour le moins agressifs, en l’attaquant directement et sur un plan personnel sans consentir à discuter le fond de son intervention. La messe était dite et l’accusé condamné sans recours. Pour ceux qui voulaient comprendre les enjeux du débat, parmi les membres de la commission ou des téléspectateurs (l’événement était diffusé sur la chaine parlementaire), le procédé était tout simplement choquant.
Mais que dit Tariq Ramadan, depuis plusieurs années maintenant pour susciter autant de passions contradictoires ?
Lorsque vous suivez ses pérégrinations intellectuelles, ses interventions multiples ou ses écrits, vous comprenez qu’il défend une interprétation moderne, libérale et libératrice des textes fondateurs de l’Islam. Il a des vues de loin plus progressistes que les positions rigoristes non seulement des fondamentalistes ou traditionnistes de l’Islam mais également des églises chrétiennes ou des religieux juifs sur de mêmes questions de société (par exemple sur l’IVG). Il prône le dialogue, la démocratie, le respect des lois des pays d’accueil. Il travaille à l’insertion de ses coreligionnaires dans le monde occidental, sachant qu’il intervient autant en France qu’en Grande Bretagne, au Canada ou aux Etats Unis…*
Est-il dans le vrai ou dans le faux, a-t-il raison ou tort dans sa démarche, cela est un autre débat. Mais rien de ce qu’il dit ne s’oppose aux lois de la république ou aux règles de la démocratie, ni de l’éthique. Tout au contraire.
Alors pourquoi ces crispations à son encontre, ces attaques incessantes, ces écrits, articles de presse et livres pour l’affaiblir et le discréditer ? Des islamistes autrement plus radicaux et ayant pignon sur rue dans les grandes capitales occidentales n’ont pas eu à subir de la sorte les foudres de la société bien pensante.
C’est que Tariq Ramadan développe ses idées d’ouverture à l’intérieur du dogme musulman. Il développe un discours islamique, bien que novateur et affranchi des pesanteurs, et non pas un discours sur l’islam qu’il soit hostile ou au contraire condescendant. Qu’un islamiste fondamentaliste, intégriste ou extrémiste (peu importe le qualificatif) défende les aspects les plus obscures et rétrogrades de sa croyance, cela ne provoque que haussement d’épaules. Qu’un musulman d’origine s’attaque frontalement aux fondements de sa religion et le voilà considéré comme éclairé. Mais qu’un homme défende sa foi tout en assimilant les valeurs universelles de liberté de conscience, d’émancipation de la femme et du progrès en général, cela semble étrange, suspect et pour tout dire condamnable. Tariq Ramadan devient dangereux. Il propose de relire les textes fondamentaux et en particulier le Coran, à la lumière du savoir et surtout des valeurs contemporains. L’Islam peut donc être la foi d’un homme moderne au sens plein et occidental du terme !
Tariq Ramadan réussira t-il son défi ? Aura t-il les moyens intellectuels et politiques pour faire progresser son idée jusqu’à faire basculer des pans entiers de musulmans dans un rapport au monde pacifié, tolérant et constructif ?
Il faut préciser que s’il est en pointe dans ce combat, il n’est pas le seul, loin de là. Mais en étant aujourd’hui sous les feux de la rampe, il focalise sur sa personne les craintes, les peurs et les clichés de ceux qui assignent au musulman une alternative unique : être musulman de foi et donc sujet à caricature, épouvantail pratique, ou musulman de naissance, invisible d’un point de vue religieux, sujet d’intégration culturelle potentiel mais avec un néant cultuel.
Justement, le double langage dont on accuse M. Ramadan est plutôt une perception double de la part de ses adversaires : il apparait trop moderne pour pouvoir être de foi islamique ; les deux termes, à leurs yeux, s’excluant réciproquement et définitivement.
L’impossibilité pour eux de conceptualiser la synthèse d’une foi musulmane authentique avec les valeurs des lumières fait qu’ils projettent sur lui une dualité radicale. Tariq Ramadan dit, selon eux, deux choses contraires avec un même langage. Avec les mêmes mots, il séduirait à la fois l’auditeur occidental naïf tout en renforçant l’obscurantisme chez l’auditeur musulman !
Le "bon" musulman ne peut pas être visible dans sa foi, spirituel, moderne, cultivé et prônant les belles valeurs universelles. Le rapprochement de ces termes de l’équation semble à jamais impossible dans l’univers mental des détenteurs de la vérité.
* Comble de l’ironie, il est interdit en Arabie Saoudite, alliée politique intime de l’Occident.
D’autres articles de l’auteur in www.forum-democratique.com