Tarnac : le « témoin 42 »

par Fergus
lundi 30 novembre 2009

Dans un article publié le 25 novembre par Karl Laske, Libération nous apprend l’identité du fameux « témoin 42 » qui aurait gravement mis en cause Julien Coupat en lui prêtant des intentions terroristes pouvant aller jusqu’à tuer. Un témoin désormais identifié : Jean-Hugues Bourgeois. Stupeur dans les rédactions...

L’homme n’est en effet pas un inconnu. Il a même défrayé la chronique à différentes reprises depuis avril 2008. Rappelons-nous : Jean-Hugues Bourgeois est ce chevrier bio de Teilhet (Puy-de-Dôme) confronté à d’inqualifiables actes de malveillance : grange incendiée, chèvres abattues, matériel saboté, menaces de mort sur sa mère et de viol sur sa fille et sa compagne. Autant d’évènements que j’ai moi-même relatés dans un article intitulé « Du rififi dans les Combrailles  », publié en février 2009 sur AgoraVox.


Tout désignait comme responsables de ces actes abominables de mystérieux villageois jaloux de voir ce néo-paysan s’accaparer des terres qu’ils convoitaient, ou désireux de se débarrasser de cet étranger à la terre des Combrailles aux idées par trop progressistes. L’enquête piétinant, la gendarmerie et le parquet en sont venus, entre autres hypothèses, à suspecter l’éleveur d’avoir lui-même mis en scène les actes criminels dont il a été « victime ». C’est à peu près à ce moment (novembre 2008) qu’il a été entendu à Riom, sous le contrôle du juge Thierry Fragnoli, par les policiers de la SDAT (Sous-Direction anti-terroriste) dans le cadre d’une autre affaire : celle des très médiatisés « saboteurs de Tarnac ». Car les enquêteurs ont établi, sans le moindre doute possible, que Jean-Hugues Bourgeois connaissait les membres de la communauté aveyronnaise et qu’il est même allé à plusieurs reprises leur rendre visite à Tarnac.


Manifestement, Jean-Hugues Bourgeois a des sympathies pour les idées développées par Julien Coupat et ses amis. Lui-même est membre de la CIMADE dont l’action en faveur des sans-papiers est beaucoup plus proche de la pensée gauchiste que des directives gouvernementales. Dans son édifiant article du 25 novembre, Karl Laske met en lumière la contradiction qui existe entre la date officielle de déposition sous X du témoin 42, à charge contre les « terroristes » présumés de Tarnac (sans évoquer toutefois de faits précis), et la date où Jean-Hugues Bourgeois, identifié depuis comme étant le témoin 42, a été effectivement entendu par les policiers. Or, à la date officielle du PV, le 14 novembre 2008, Jean-Hugues Bourgeois était à Tarnac, comme l’ont confirmé plusieurs témoins. Une anomalie dans laquelle Me William Bourdon, l’un des avocats de la communauté de Tarnac, voit un « grave indice de manipulation » et parle même de « falsification et de fabrication de preuves ».


Qui plus est, le chevrier met désormais en cause le contenu de la déposition sous X qu’il aurait « signé sans la lire » après avoir « subi des pressions policières ». Et de fait, interrogé une deuxième fois le 11 décembre 2008, sous son véritable nom cette fois-ci – comprenne qui pourra ! –, il avait d’ores et déjà récusé les propos qui lui avaient été attribués dans la première déposition, se bornant à affirmer que s’il partageait l’« idéal libertaire » des militants de Tarnac, son rôle se limitait à les conseiller en matière d’élevage et de récolte. Près d’un an plus tard, le 11 novembre 2009, questionné par une équipe de TF1 et filmé (flouté) en caméra cachée, Jean-Hugues Bourgeois laisse entendre que sa déposition sous X de novembre 2008 a été « complétée » par les policiers à l’aide d’éléments présents dans leurs dossiers.


Le brouillard le plus complet règne donc autour de Jean-Hugues Bourgeois alias le témoin 42. Qui dit vrai ? Qui ment ?


Concernant les actes criminels de Teilhet, le chevrier est-il suspect ou victime ? Difficile tant pour les Comités de soutien que pour une personne comme moi, élevée dans la tradition paysanne, de croire qu’un éleveur puisse abattre son propre bétail ou mettre le feu à sa grange, sauf à souffrir d’une grave pathologie mentale, ce qui ne semble pas être le cas.


Concernant les militants de Tarnac, Jean-Hugues Bourgeois a-t-il été abusé par les policiers de la SDAT désireux d’alourdir par tous les moyens le dossier d’accusation contre les « saboteurs de Tarnac » pour complaire à leur hiérarchie ? Et notamment à la ministre de l’Intérieur Alliot-Marie qui, dès le début de l’affaire et au mépris de toute présomption d’innocence, avait désigné les membres de la communauté de Tarnac comme de dangereux « activistes d’ultra-gauche ».


Ou, autre hypothèse : Jean-Hugues Bourgeois, confronté à une suspicion grandissante – sincère ou manipulatrice ? – des enquêteurs concernant son rôle dans les actes criminels commis dans son exploitation, a-t-il lâché, en échange de l’abandon d’une mise en examen à son encontre, des informations accréditant, entre autres objectifs, la volonté des militants de Tarnac de « détruire le monde pour en reconstruire un neuf » ?


Ces questions restent pour l’heure sans réponse, et le parquet n’a pas encore statué sur la demande pressante d’une nouvelle audition de Jean-Hugues Bourgeois présentée conjointement le 25 novembre dernier par Me William Bourdon et les autres défenseurs de la communauté de Tarnac, Thierry Lévy et Jérémie Assous. Mais une chose est sûre : ces affaires sentent de plus en plus mauvais, et sans doute plus encore du côté de la place Beauvau que des pâturages du Massif Central. Affaires à suivre...

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