Terroristes, anciens et modernes

par Pierre JC Allard
mercredi 3 avril 2013

Le 6 mars, dans le quartier de Kiryat Moshé, à Jérusalem, un terroriste a ouvert le feu avec une arme automatique, tuant huit étudiants et en blessant une trentaine d’autres. À Bagdad, une nouvelle vague d’attentats relance (poursuit) une guerre qu’on nous avait dit terminée...

Je suis contre la violence. Non seulement parce que je la crois immorale, mais aussi parce que je la vois inefficace. Il ne peut y avoir de changements durables positifs de la société que ceux qui permettent la possession tranquille d’un acquis. Or, il n’y a pas de possession tranquille de ce qui a été obtenu pas la force aussi longtemps qu’un large consensus ne s’est pas établi quant à la légitimité de cette possession, ce qui est d’autant plus long qu’a été brutale la force employée.

Guerres et révolutions sanglantes peuvent être évitées, car ce sont désormais des alliances et non des individus qui ont le pouvoir et les liens qui assurent la cohésion d’une alliance peuvent être détruits par les armes de la persuasion au profit d’une alliance rivale. La violence est une solution de facilité. Une solution d’impatience, sans intelligence, qui modifie les effets sans changer les causes et dont les résultats bénéfiques ne peuvent donc être permanents, alors que les dommages causés sont bien lents à réparer.

Dans cette optique, le phénomène du terrorisme est particulièrement néfaste. Cela dit, la « guerre » qu’on prétend mener aujourd’hui contre le terrorisme est triplement trompeuse, d’abord en ce qu’elle n’identifie pas adéquatement ce qu’est le terrorisme ni son extension, ensuite, parce qu’elle ne va pas à la racine du mal et utilise donc les mauvaises armes pour en triompher et, finalement, parce que l’éradication du terrorisme, qui devrait être une fin en soi, est instrumentalisée par des intérêts qui veulent y voir une « guerre » et une guerre comme les autres.

Il se verse aujourd’hui bien du sang et de larmes parce que cette « guerre » au terrorisme est menée de façon remarquablement inepte. Il s’en versera encore bien plus – et plus qu’on n’ose même l’imaginer ! – si on ne fait pas un diagnostic intelligent et honnête de ce phénomène et de la nouvelle forme qu’il revêt.

LE TERRORISME TRADITIONNEL

Avant toute chose il faut distinguer entre un « nouveau terrorisme » et l’ancien. Ceci n’est possible que si on identifie l’essentiel du nouveau terrorisme et qu’on accepte donc de le comparer à l’ancien en regardant et identifiant celui-ci sous toutes ses formes et dans toute son extension.

L’ancien terrorisme est là depuis toujours. La terreur est une arme efficace de domination, venant tout de suite après le génocide comme procédé immémorial de solution des conflits internationaux, s’imposant dès qu’on préfère utiliser la population conquise au lieu de l’exterminer.

La terreur peut être aussi une arme préventive bien efficace si elle convainc l’adversaire de se soumettre plutôt que de résister. Elle peut se limiter à la menace (Voir Shakespeare,Henry the Fifth) ou, plus brutalement, signifier l’incendie des fermes avoisinantes (Voir Wolfe à Québec), le viol des femmes et l’exécution d’otages

La terreur est un objectif militaire reconnu. Cette terreur « traditionnelle » est depuis toujours prise en compte dans les stratégies guerrières. Les Nazis bombardant Guernica ou Belgrade, les Anglais bombardant Dresde, ou les Américains Tokyo ou Hiroshima, ne faisaient pas autre chose que terroriser. On peut parler de dommages « collatéraux », mais quand la terreur est le but c’est l’objectif militaire qui est la collatérale ; la vraie cible c’est l’Ennemi-qui-a-peur. Le civil, homme, femme ou enfant.

Semer la terreur est une tactique militaire tellement acceptée qu’on n’en parle même plus. Quiconque marche derrière un drapeau reconnu jouit du double zéro (00) qui donne à James Bond une licence pour tuer et terroriser. Il est un soldat. Un patriote. De la graine de héros. Il est là pour « abreuver nos sillons d’un sang impur ». Il fait peur ? Tant mieux, c’est son métier. Ce n’est que lorsque les combattants n’ont pas un étendard auquel bien du sang versé a déjà conféré une légitimité que la sémantique accepte qu’on parle de terrorisme lorsqu’ils terrorisent. Deux poids, deux mesures.

Deux poids, deux mesures, mais il y a plus pervers : la licence pour tuer peut n’être émise que longtemps après le meurtre. Le succès transforme une rébellion en révolution, une campagne de terreur en guerre d’indépendance et les terroristes en héros et en martyrs. On peut ainsi rendre acceptables a posteriori les actes de terreur, et des jugements qu’on croyait indiscutables nous sont présentés tout à coup comme hâtifs, des épithètes à corriger.

Ce qui est bien malencontreux, car les mouvements révolutionnaires, comme l’Irgoun en Palestine ou le FLN en Algérie – qui ont visé les civils et pratiqué une stratégie de terreur – n’ont pas fait pire que ceux qui mènent toutes les autres guerres, mais il faut surtout retenir qu’ils n’ont pas fait mieux. Avoir gagné ne les rend pas plus vertueux que le Sentier Lumineux au Pérou, par exemple, ou que les Tigres tamils au Sri Lanka. Les actes qu’ils ont commis restent des horreurs.

Comme sont des horreurs les actes de ceux qui, aujourd’hui, face à la misère du monde, prennent sur eux de mener par la terreur la lutte des perdants contre les gagnants de la société actuelle. Une horreur, quand ils jugent que quiconque profite du système en place peut être désigné comme complice des profiteurs et que tout ce qui soutient le système ou lui est utile mérite donc d’être détruit.

On aimerait penser que ceux qui font sauter une mosquée ou une école, parce que c’est un « acte de guerre » qui affaiblit le moral de l’adversaire, resteront à jamais des meurtriers aux yeux de l’Histoire. Hélas, rien n’est moins sûr…

On ne pourra condamner avec crédibilité le terrorisme, que quand celui-ci aura cessé d’être un crime sous condition résolutoire et qu’on mitigera l’hommage rendu à ceux dont la terreur a atteint ses objectifs, en ne gommant pas le cas échéant des biographies des héros qu’ils ont été des terroristes et des meurtriers. On absout trop facilement le terrorisme traditionnel. On doit dénoncer l’arme de la terreur et tout ce qui tue indistinctement combattants et non-combattants. On doit le dénoncer, que celui qui tue soit au service d’un État ou d’une Cause.

Si, obéissant à la simple logique, on donnait ainsi à « terrorisme » son vrai sens de combattre par la terreur – et qu’on reconnaissait que celui qui terrorise les non-combattants est un criminel – il faudrait être bien prudent, toutefois, en dénonçant l’arme du terrorisme, de ne pas sembler donner du même coup l’absolution aux autres horreurs qui sont commises au cours d’une guerre. C’est la guerre qui est l’abomination.

On a colporté que le pilote du Enola Gay, l’appareil qui a lâché LA bombe sur Hiroshima, est devenu par la suite « irrationnel » et l’est demeuré sa vie durant, parlant d’horreur et de culpabilité. On devrait se demander si la magnitude du meurtre collectif auquel il avait participé ne l’a pas au contraire rendu sain d’esprit. On devrait se demander si, derrière le voile pudique du rejet des armes atomiques, chimiques et biologiques qu’on dit « massivement destructrices », on ne rend pas irrationnels tous ceux qu’on envoie aujourd’hui lancer des obus « normaux » et tirer des balles « ordinaires » sur d’autres êtres humains.

La punition des nations qui font de leurs citoyens des meurtriers, en prétendant en faire des soldats, est qu’ils doivent un jour affronter leurs propres vétérans à qui l’on a montré à penser comme des meurtriers. Le risque n’est pas nul que beaucoup d’entre eux, désabusés, mettent en pratique « at home » ce qu’on leur a enseigné. C’est chez eux qu’ils continueront peut-être la violence .. et il n’y aura pas alors assez de prisons pour les accueillir.

LE NOUVEAU TERRORISME

Le terrorisme traditionnel est une horreur connue et fichée. Quand on parle de terrorisme aujourd’hui, cependant, on ne pense plus au terrorisme traditionnel accepté et banalisé de ceux qui bombardent des civils, et encore moins à la bombe vengeresse de l’anarchiste qui tente de s’enfuir après l’attentat. On a en tête une autre démarche, un nouveau terrorisme qui ne se caractérise pas tant par sa cible que par l’intention de l’auteur.

La dimension nouvelle des attentats qui ensanglantent aujourd’hui le monde entier – et dont l’expression la plus spectaculaire a été l’attentat du 9/11 au WTC de New York – n’est pas que des innocents en soient la cible. À quelques bref interludes près de « guerres en dentelles », où le « plaisir » du combat l’emportait sur le profit qu’on en pouvait tirer, les innocents ont toujours été la cible des terroristes, déguisés ou non en soldats. Le fait nouveau, c’est le sacrifice de sa vie exigé du combattant, non plus comme un risque à courir ou un prix à payer, mais comme une condition essentielle de la victoire.

Ceux qui prétendent lutter contre le terrorisme négligent à tort la composante suicidaire du nouveau terrorisme. C’est cet ’élément nouveau qui fait toute la différence, car ce n’est plus la valeur ni l’importance de ce qui est détruit qui est le message – même si c’est cette destruction qui fait les manchettes et qui en assure la diffusion – c’est le sacrifice lui-même qui est le message. Un message d’irrationalité qui vaut son pesant d’or.

Pour comprendre l’importance de ce message, il faut voir que l’interdépendance des acteurs dans le monde moderne a fait de nous tous, pauvres comme riches, l’équivalent social de frères siamois. Le monde est devenu une machine si complexe que, si l’ordre social disparaît, même le plus pauvre et le plus misérable sur cette planète y perdra. Si le vaisseau qu’est notre société chavire, le dernier des galériens sombrera, tout autant que les officiers sur le pont supérieur et César lui-même.

Ceci a eu pour conséquence que le salut du navire soit devenu, pour toutes les parties, plus important que les contentieux qui nous opposent. Galériens et patriciens peuvent se disputer les rations du bord, mais toute contestation raisonnable de l’ordre social établi prend en compte l’absolue nécessité de ne pas saborder le navire.

Toute discussion entre gagnants et perdants de la société pour amener une redistribution de la richesse et du pouvoir, repose donc aujourd’hui sur le bluff des uns comme des autres. Chaque partie qui avance d’un pas ne le fait que persuadée que l’autre ne commettra pas l’irréparable …et ne peut poser ce pas à profit que si elle a convaincu l’autre qu’elle-même pourrait bien le commettre si on l’en empêchait. Gauche comme Droite traditionnelle se déplacent donc avec prudence, dans une évolution lente qui ressemble plus à une partie de poker qu’à un match de pancrace,

Il est irrationnel, pour les uns comme pour les autres, de mettre le navire en péril. Mais celui qui donne à l’adversaire l’impression d’accepter les conséquences du naufrage a évidemment un atout majeur en main pour obtenir des concessions. Dans ce poker, l’irrationalité est un atout maître et la démarche du terroriste qui se suicide – et apparaît donc prêt à tout pour obtenir gain de cause – marque des points.

Chaque fanatique qui se suicide emporte une levée, car il rend plus crédible l’hypothèse que les perdants de la société sont prêts à risquer de perdre ce qu’ils ont pour obtenir davantage. Ce qui est un bluff. Car, pour celui qui a peu, ce peu n’en est pas moins tout ce qu’il a et il n’y tient pas moins que celui qui a plus… À moins qu’il ne soit « irrationnel ». Irrationnel, s’entend, selon les critères qu’on veut bien appliquer.

Il y a toujours eu des fanatiques prêts à mourir pour une cause. Drogue, conditionnement à Sandhurst ou à Saint-Cyr, propagande et pression sociale aidant, on a toujours fait le plein de héros pour défendre Camerone ou mener une charge de la Brigade Légère. Simultanément, il y a toujours eu des gens qui souffrent et qui veulent en finir. Affaire d’opinion, de prétendre que les gestes de ceux-ci ou de ceux-là sont ou ne sont pas rationnels, mais c’est une question de fait que ce ne sont généralement pas les mêmes qui sont prêts à mourir pour une cause et qui veulent échapper à la vie.

On peut croire que celui qui est prêt à mourir pour une cause préfèrerait néanmoins s’en sortir vivant et la voir triompher ; la mort est pour lui un mal nécessaire, un sacrifice consenti. Celui qui est suicidaire parce que la vie lui pèse, à quelques rares exceptions près, n’a que faire des causes et des idées. Il ne veut plus exister et cette décision occupe toute la place.

La spécificité du « nouveau terrorisme » est de mettre en scène un protagoniste qui est à la fois un fanatique prêt à mourir pour une cause ET suicidaire. Ce phénomène s’est déjà manifesté - (pensez aux Assassins (Haschichim) drogués du « Vieux de la Montagne » – mais il n’est pas courant. C’est une combinaison terriblement efficace.

On ne parle pas ici de ceux qui tentent un coup risqué, dans une école russe, par exemple, puis font tout sauter quand les choses tournent mal. On parle de celui qui se barde d’explosifs et se fait exploser dans un marché ou un autobus. Le nouveau terroriste VEUT mourir. La racine du problème, c’est que ce nouveau terroriste est fanatique, bien sûr, mais SURTOUT suicidaire.

Le nouveau terroriste a pris de l’ahimsa de Gandhi le renoncement et le refus passif, mais ostentatoire de toute acceptation de l’ennemi et de ses oeuvres. Il a hérité des bonzes bouddhistes protestant contre l’occupation du Vietnam et s’immolant par le feu, l’invulnérabilité à la souffrance et à la peur. Il n’a pas retenu d’eux, toutefois, la non-violence ; il est tout sauf non-violent. À l’action sacrificielle, il a joint la menace.

C’est une menace contre laquelle il y a peu de parades. Il est impossible de se protéger de quelqu’un qui veut mourir. Il y a des douzaines de façons de tuer n’importe qui, dès qu’on est prêt à y laisser sa propre peau. Je ne les décrirai évidemment pas, mais il serait sot de penser qu’un volontaire pour le suicide ne puisse pas les trouver par lui-même. Le Nouveau Terrorisme consiste en centaines, voire en milliers d’individus qui ne demandent qu’à mourir en faisant un maximum de dommage. Comment se prémunir contre ce danger ?

D’abord en distinguant clairement entre le fanatique suicidaire et ceux qui instrumentalisent son suicide pour obtenir des concessions. Ce sont deux types différents. Le fanatique suicidaire n’a pas de revendications. Ce n’est pas lui qui inscrit sa démarche dans un bluff, mais les joueurs traditionnels qui s’en servent eux dans le cadre de la partie gagnants/perdants avec laquelle ils sont familiers.

Cette situation rend le problème du nouveau terrorisme plus grave même qu’on ne le dit, car il est extrêmement improbable que des fanatiques suicidaires, déjà entraînés et n’attendant que de passer à l’acte, renoncent à leur projet en échange de quelque concession que ce soit. Ceux qui les manipulent pourraient à la rigueur influer sur l’aspect « fanatique » du nouveau terroriste ­ -(même si personnellement je ne puis penser que celui qui s’est investi à ce point dans un « geste » accepte de s’en détacher sous le seul prétexte rationnel que le but en a été atteint ­ !) – mais ils ne peuvent certes pas contrôler sa composante suicidaire. Le suicide est une décision personnelle.

On ne peut pas contrôler efficacement le nouveau terrorisme en palabrant au niveau des mouvements qui l’utilisent. On peut espérer, en négociant avec ceux-ci, saboter la logistique du terroriste – transport, approvisionnement en explosifs, etc. – mais ceci n’est qu’une action dilatoire ; le fanatique suicidaire reste une grenade dont la goupille est tirée et qui, si ces mouvements ne nous la lancent pas, tôt ou tard leur explosera entre les mains.

C’est au niveau de sa composante suicidaire qui en marque la spécificité qu’il faut désamorcer le fanatique suicidaire et l’on n’y arrivera pas par chefs interposés. On cherche à nous convaincre que l’augmentation des attentats suicide découle entièrement d’une croissance de l’intégrisme religieux. Il ne serait pas mauvais de se demander si c’est bien le ciel qui est devenu plus attrayant ou si ce n’est pas la terre qui n’a plus rien à offrir. Il faudrait voir si le paradis n’est pas devenu le premier choix de beaucoup simplement parce qu’il est resté leur dernier, toutes autres nourritures terrestres leur ayant été refusées.

Le fanatisme incite certainement à l’action terroriste, mais quand cette action devient prioritairement autodestruction, la problématique est différente. Il faut voir quel rôle y joue une profonde désaffection envers la vie elle-même et ce qu’elle peut offrir. La guerre en Iraq a coûté, à ce jour, près de USD $ 15 000 par Irakien. Est-il si cynique de se demander combien des terroristes se seraient tout de même fait exploser, si les circonstances leur avaient fourni USD $ 15 000, à chacun d’eux et à chacun des membres de leur famille ? La seule défense contre un fanatique suicidaire, c’est de lui donner une bonne raison de vivre.

Ceux dont c’est la tâche de nous protéger du terrorisme réagissent au premier niveau, celui d’une lutte traditionnelle entre gagnants et contestataires. Ils voient le fanatique suicidaire comme un adversaire rationnel qui vient négocier ou, au contraire, comme un pion comme les autres sur le même échiquier, tout entier sous contrôle de celui qui le dirige. Or, ce dernier n’est ni l’un ni l’autre. Ils scotomisent la dimension irrationnelle du nouveau terrorisme et, à ce deuxième niveau, ne semblent pas comprendre que chaque terroriste suicidaire ne peut être que farouchement individualiste. À côté de sa décision fondamentale de mourir, la cause qui lui sert de prétexte ne peut être qu’accessoire.

Parce qu’ils ne s’intéressent pas vraiment au fanatique suicidaire, mais uniquement à ceux qui l’instrumentent, ceux qui devraient nous en protéger s’attaquent au nouveau terrorisme avec les mauvaises armes, ne touchant même pas à la racine du mal. En fait, ils aggravent la situation et l’on est confronté, comme si souvent lorsqu’on analyse la politique américaine, au dilemme de décider si c’est la bêtise qui explique les décisions qui sont prises ou si toutes les conséquences néfastes et bien prévisibles n’en sont pas voulues, au niveau d’un diabolique agenda caché.

Ainsi, la politique américaine a commis l’erreur de traiter le nouveau terrorisme comme une option politique, de lui donner un nom – Al-Qaeda – ­ et un chef : ben Laden. Un chef invisible, quasi-mythique le chef parfait pour un délire onirique. N’a-t-elle compris que, derrière la panoplie ridicule d’une lutte au premier niveau contre les Talibans ou Saddam Hussein, elle a créé au deuxième niveau, celui de l’irrationalité, un point de ralliement pour TOUS les suicidaires irrationnels auxquels elle fournit ainsi une cause, une pseudo rationalité sur mesure et quelques cibles spectaculaires ?

Si on est suicidaire sans raison, et donc irrationnel, pourquoi ne par partir avec un peu de panache, en prenant pour prétexte et en amenant avec soi quelques Américains de service, dont on peut se convaincre qu’ils sont responsables de tous les malheurs ? La création d’Al-Qaeda a-t-elle été une simple bévue de la propagande américaine ou une étape de plus vers la fascisation de la société en lui créant des « Sages de Sion » imaginaires pour justifier les nouveaux Dachau que sont les prisons d’Irak et Guantanamo ?

La politique américaine a commis une seconde erreur : celle de prétendre qu’on pouvait triompher du terrorisme en envahissant un pays ou un autre et en augmentant les armements, ce qui est aussi absurde que d’envoyer la garde nationale à l’assaut de la peste ou du choléra ou de tirer du canon sur des anophèles.

Le nouveau terrorisme, en ce qu’il a une composante suicidaire, est individualiste et naît dans la tête des gens. Une division blindée ne vous protégera pas contre votre voisin qui n’a jamais rien fait de mal, mais qui, ce jour-là, dans un café, décide qu’il en a ras-le-bol et vous ouvre la gorge avec le couteau à fromage. Or, si on sait lire, c’est vers ça qu’on tend.

Le nouveau terrorisme est une décision individuelle et, de plus en plus, ce sera une décision imprévisible. L’apparition d’un comportement totalement irrationnel, quand un seuil est atteint dont rien n’annonçait l’existence. Comme apparaît brusquement une image sur un négatif plongé dans un révélateur. Le même phénomène se manifeste autrement chez les automobilistes qui perdent tout contrôle et tuent froidement celui qui les a dépassés ou invectivés. Chez les passagers d’un avion, qui agressent le personnel de bord. Chez tous ceux qui se sentent impuissants. C’est le même phénomène ; on l’appelle terrorisme quand on lui greffe une « Cause », mais c’est la même rage irrationnelle et sa composante suicidaire est plus significative que sa composante fanatique.

N’est-il pas clair, dans cette optique, qu’en faisant la guerre a une population civile au bord de la misère, on augmente quotidiennement le nombre de ceux qui n’ont plus rien à attendre de la vie, de ceux dont la haine de la terre, l ‘amour du ciel, le désir de vengeance ou la simple quête d’un sens font des candidats de choix pour le suicide, suicide qui est moins motivé que justifié et donc rationalisé par une action terroriste ?

L’invasion de l’Iraq a été une absurdité que seul peut expliquer l’objectif à courte vue du complexe militaro-industriel américain, dénoncé par Eisenhower et devenu mondial, ­ de spéculer sur le pétrole et de mousser un peu plus ses ventes. Une absurdité qui confine elle-même à l’irrationnel et devient donc le « juste » pendant de l’irrationalité du terrorisme lui-même. Les officiers supérieurs se joignent aux galériens pour mettre le vaisseau en péril et César, hélas, ne semble pas très doué.

Pierre JC Allard

 


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