TF1 convoqué par un CSA « pointilleux dans le détail mais négligent dans l’esssentiel » ?

par Paul Villach
mercredi 23 décembre 2009

Heureusement que le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel, ou CSA, veille ! Sinon les médias pourraient en prendre joliment à leur aise pour livrer la représentation de la réalité que bon leur semble. On a ainsi appris par Le Point.fr, le 16 décembre 2009, que les responsables de TF1 ont été convoqués pour y répondre de trois leurres dans leurs journaux : l’un est une contradiction entre un commentaire évoquant un rassemblement musulman dans lequel hommes et femmes étaient séparés quand l’image montrait les pratiquants ensemble en toute mixité ; l’autre est la photo présentée comme celle du tireur soupçonné d’une fusillade en Allemagne, mais qui n’était pas la sienne ; et le dernier est l’exhibition d’ « un hémicycle de l’Assemblée nationale plein à craquer », lors du vote de la loi Hadopi, alors que ce jour-là il était « pratiquement désert  ».

Des leurres révélateurs d’un état d’esprit
 
Il n’y a pas à discuter, ce sont, dans les trois cas, des représentations fictives de la réalité qui ont été présentées. La substitution de tête pour illustrer un fait divers criminel peut paraît bénigne ; elle ne l’est pas pour le malheureux dont le visage a été prêté à un suspect. Quant à la confusion sur la mixité musulmane et le maquillage de l’absentéisme parlementaire, ces leurres visent à corriger des comportements jugés défaillants.
 
La défense de TF1 n’en est que plus infantile : selon Le Point.fr, Catherine Nayl, la directrice de l’information a soutenu « qu’en aucun cas ces erreurs n’avaient été commises dans l’intention de tromper les téléspectateurs  ». On se demande quelle autre fin était poursuivie. Même si ces leurres semblent n’être que des détails, ils révèlent un état d’esprit, comme lorsque PPDA avait travesti une conférence de presse publique de Fidel Castro en entretien exclusif, le 16 décembre 1991.
 
Si la chaîne se permet d’agir ainsi, c’est qu’elle est persuadée que personne ne le verra. Il faut des observateurs pointilleux à plein temps comme ceux du CSA pour le relever. À la façon de Thierry Henry qui a osé mettre la main à la pâte avec l’espoir de ne pas être vu ni pris, TF1 montre une disposition non à approcher au plus près de la réalité mais à s’en éloigner à sa convenance puisque personne ne le soupçonnera. Il en découle que si la chaîne se livre à des leurres pour des objets mineurs, on peut imaginer qu’elle ne se prive pas de le faire quand ses intérêts majeurs sont en jeu. Rien de plus normal ! L’information est modelée par des contraintes inexorables dont la contrainte des motivations de l’émetteur qui joue un rôle de filtre plus ou moins déformant de la réalité donnée : nul être sain, en effet, ne livre volontairement une information susceptible de lui nuire.
 
Le leurre de la mise hors-contexte est-il connu du CSA ?
 
Toutefois, même s’il n’existe pas de petits manquements à l’honnêteté, cette intervention régulatrice du CSA en montre les limites. Des leurres de première grandeur et quotidiennement pratiqués échappent à son attention pointilleuse. Et pour cause ! Il n’en finirait pas de les relever.
 
L’un est la mise hors-contexte. Dans leur course à l’audience pour retenir l’attention volatile de l’auditeur qui peut à tout moment décrocher, radios et télévisions s’obligent à « faire court », selon l’expression du milieu. Une minute trente est à leur échelle une durée de conférence. Or, comment, en un temps si bref, présenter un événement dans son contexte hors duquel il reste incompréhensible ? On l’a évoqué en fin d’un précédent article (1) : le journal du soir de France 3, jeudi 17 décembre 2009 n’a, par exemple, réservé que quelques mots sur une photo pour annoncer qu’un instituteur de Côte d’Or avait été relaxé par la cour d’appel de Dijon : il était poursuivi, du moins le sait-on sur AgoraVox, parce qu’il avait, un cutter à la main, menacé de « couper tout ce qui dépasse » en s’adressant à un élève qui montrait son « zizi » à ses camarades. Qu’est-ce qu’un téléspectateur a bien pu comprendre à l’affaire faute du contexte ? A-t-il pu mesurer l’action détestable d’une hiérarchie qui met deux mois pour réagir, de façon disproportionnée et en violant la présomption d’innocence, à une scène somme toute ordinaire dans la vie d’une école, fût-elle malheureuse.
 
La presse écrite s’expose aussi au leurre de la mise hors-contexte. Elle la pratique même sciemment allègrement. Il suffit, comme l’a fait Le Midi Libre (2), de ne pas mentionner un jugement favorable à la victime pour la transformer en coupable face à son administration dont la condamnation est masquée. Le Figaro (3) et Le Monde (4) en ont fait autant dans l’affaire du lycée d’Étampes, pour le premier, et, pour le second, lors de l’attribution de la légion d’honneur au Lieutenant-Colonel Beau par le président de la République.
 
Et la censure discrète par l’information indifférente ?
 
Un autre leurre majeur dont ne se préoccupe pas non plus le CSA est celui de l’information indifférente qui permet d’exercer une censure discrète. Si le journal du soir de France 3, évoqué ci-dessus, s’est ainsi montré expéditif sur la relaxe de l’instituteur par la cour d’appel de Dijon, c’est parce que la rédaction avait fait un choix :
- elle n’a pas envoyé de journaliste au palais de justice de Dijon où pourtant on savait depuis l’audience du 27 novembre que l’arrêt était attendu le 17 décembre. L’affaire qui offrait de la hiérarchie de l’Éducation nationale une image peu reluisante, n’a pas été jugée digne d’être évoquée plus d’une vingtaine de secondes.
- En revanche, France 3 a mobilisé ses stations régionales pour rapporter les sempiternelles images d’embarras routiers que cause la neige chaque fois qu’elle tombe sur le pays. Le temps qu’il a fait, fait ou fera, est un sujet inépuisable d’informations indifférentes pour ne pas parler de ce qui fâche. Bien malin, du reste, celui qui pourrait prouver que ces images de routes enneigées, de véhicules bloqués et ces interviews aussi invariables qu’insipides de conducteurs prenant leur mal en patience, ne sont pas ceux d’épisodes neigeux survenus les années précédentes. On y retrouve les mêmes reportages stéréotypés inutiles que les télévisions fourguent d’année en année. Seuls les modèles de voiture peuvent modérer les ardeurs à remonter dans le temps sous peine d’être pris en flagrant délit de substitution d’images.
 
 
Ainsi le CSA montre-t-il, sans doute, qu’il existe en épinglant certains leurres épisodiques. La substitution d’images n’est certes pas acceptable. Mais pendant ce temps, il ne paraît pas se soucier de la mise hors-contexte si répandue dans les médias ni de l’envahissement de l’information indifférente, générateur d’une censure discrète qui chasse d’autres informations jugées indésirables. On songe à une des maximes latines inscrites au mur du séminaire de San Miniato, un village du val d’Arno enToscane, qui dit à peu près ceci : quand on est pointilleux dans le détail, on est souvent négligent dans l’essentiel  !
 
(1) Paul Villach, « L’affaire du zizi : l’instituteur relaxé en appel, sa hiérarchie discréditée sans appel  », AgoraVox, 18 décembre 2009.
(2) Paul Villach, « Faire d’une victime un agresseur : la recette provençale du « Midi libre » », AgoraVox, 26 mars 2008.
 (3) Paul Villach, « Karen-Montet-Toutain, ce survivant reproche vivant qu’aimerait discréditer « Le Figaro »  », AgoraVox, 26 janvier 2009.
(4) Paul Villach, « La légion d’honneur de Jean-Michel Beau : le journal « Le Monde » trompe sciemment ses lecteurs !  » AgoraVox, 25 mai 2009. 
 

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