The Black Panther Party

par Desmaretz Gérard
jeudi 29 août 2019

Alors que le procès de Gerold Brown alias Jamil Abdullah Al-Amin se prépare, deux jeunes hommes à bord d'une Buick se dirigent vers le centre-ville de Washington. L'un s'occupe d'une librairie Afro-américaine, l'autre enseigne le Swahili. Le passager situé sur le siège avant tient, posé sur ses genoux, une boite en carton dans laquelle est dissimulée une bombe. Soudain et pour une raison inexpliquée, celle-ci explose. Les policiers retrouveront parmi les restes du véhicule deux corps et un petit carnet de notes qui appartenait au chauffeur. A l'intérieur de celui-ci est écrit : « To amerika, I'm playing heads up murder, when the deal goes down, I'm gon' be standing on your chest screaming like Tarzan. Dynamite is ma réponse to your justice  ».

En 1963, quatre-vingt-treize bombes explosent à New-York et cent soixante au cours des trois premiers trimestres de l'année suivante, attentats revendiqués au nom d'une mystérieuse Force-9. Il s'agit d'une organisation regroupant en son sein des membres du Black Pantheres et du Students for democratic Society plus connus sous le nom des Weathermen (météorologues). Cette organisation de gauche regroupe des blancs et des noirs qui pensent, militairement parlant, pouvoir faire la pluie et le beau temps.

Au mois d'août 1965, la ville de Watt connait une situation insurrectionnelle pendant dix jours. Les dégâts sont estimés à 200 millions de dollars et les violences ont fait 35 victimes. L'année suivante des quartiers sont incendiés et des incidents graves éclatent avec la Garde nationale. L'explosion de colère s'étend à tous les États et va faire 83 morts. Le Black Panther Party entend donner aux revendications un axe révolutionnaire et doter le parti d'un encadrement. Le mouvement a été fondé en 1966 pour prévenir tout dérapage policier. Il s'agissait plus d'un groupe de surveillance, voire d'autodéfense, qu'un mouvement révolutionnaire avec en arrière pensée, l'unification de la communauté noire avant d'entrer dans un mouvement de résistance puis de révolte. Le BBP et Black Power allaient utiliser the soul et the funk (Change is Gonna Come, The Meeting, Get Involved, etc.) pour répandre leurs messages politiques. Leurs doléances s'articulent autour : de leur situation économique déplorable - la main d'œuvre exploitable et corvéable - la domination de la politique en faveur des blancs - le respect des droits humains.

Le BPP commence par se mettre au service de sa communauté d'abord à Oakland. Les militants dotés d'une caméra et d'un magnétophone organisent des patrouilles dans les quartiers noirs, écoutent les fréquences de la police et suivent les véhicules de police. Lors des contrôles d'identité ou d'interpellations, ils filment la scène et demandent au frère s'il a été agressé par les policiers. Leur action va se poursuivre par la collecte de produits alimentaires, petits déjeuners et soins gratuits, vêtements au bénéfice des plus démunis. Actions charitables qui participent au fonctionnement de l'organisation qui va servir à instiller une conscience politique et revendicatrice au sein de la population la plus défavorisée. Le BPP suit le précepte de Maslow : « la politique permet aux personnes de satisfaire leurs besoins fondamentaux  ».

Tout comme Netchaïev avant eux, ils veulent détruire l'establishment et voir l'instauration d'un monde non plus basé sur la finance, mais sur des valeurs humanistes. Ils s'élèvent contre le capitalisme - le racisme - l'impérialisme. Edridge Cleaver « ministre de l'Information » du BPP appelle lors de ses tournées en Europe et à Alger à recruter parmi les déserteurs de l'armée américaine qui refusent d'aller combattre au Vietnam. Le mouvement va se radicaliser. Les militants arrêtés adoptent devant les tribunaux les mêmes comportements que les membres du FLN, ils ne reconnaissent pas les faits qui leur sont reprochés, ils contestent la légitimité du tribunal et s'enferment dans le mutisme le plus total. Le Federal Bureau of Investigations pense que le film « La Bataille d'Alger » n'est pas étranger à cette situation.

Les hommes et les femmes noirs sont sollicités dans tout le pays afin de les inciter à créer des sections au sein de leur communauté. L'année suivante, le BPP compte quarante sections et un million d'adhérents militants ! Leurs bureaux fortifiés en prévision d'actions policières ne tardent pas à devenir des lieux de rassemblements pour la jeunesse désœuvrée. Leur slogan ? : « Quelle que soit sa couleur, un flic mort vaut mieux qu'un flic vivant ». Le militant se singularise par le port d'un « uniforme », veste, pantalon de cuir et béret noirs, mais l'individualité prévaut. Des groupes dissidents sont à l'origine d'explosions de violences incontrôlées au point que le bureau politique du BPP pense que ces émeutes quasi insurrectionnelles sont le fait d'agents provocateurs infiltrés. Cette situation va être à l'origine de nombreuses arrestations et la stratégie des autorités va s'avérer efficace.

L'application de l'habeas corpus et le paiement de cautions fixées arbitrairement à 100.000 dollars par les juges des tribunaux vont contribuer à assécher financièrement la trésorerie du BPP. Ce dernier en est réduit à la défensive. Il purge une partie de ses militants et se tourne vers l'ethnocentrisme américain pour former des groupes ethniques : Indiens - Mexicains - Porto-ricains - Haïtiens - et la communauté d'origine asiatique, soit environ cinquante millions de citoyens. En revanche, au sein du bureau politique du BPP il n'est pas question d'intégration des minorités. Chaque communauté échange et partage ses expériences, ses idées et s'entraident dans le seul but de créer les conditions favorables au renversement du gouvernement fédéral, mais la discrimination reste pourtant la règle..., même si la fraction de la population blanche avec laquelle une alliance reste possible n'est pas écartée.

Au mois d'octobre 1966, le BPP rédige un manifeste qui repose sur 10 points : Nous voulons la liberté - le pouvoir pour déterminer le destin de notre communauté - le plein emploi pour notre peuple - des logements décents - mettre fin au vol de notre communauté par les capitalistes - une éducation qui expose la nature réelle de la société américaine - l'exemption du service militaire et la fin des brutalités policières - la liberté pour tous les noirs emprisonnés - des jurés noirs dans les tribunaux - de la terre, du pain, des vêtements, la justice et la paix, et l'organisation d'un référendum réservé aux noirs et placé sous le contrôle des Nations-Unies. Les militants clament ce programme dans les églises, les écoles et aux carrefours de rues.

Les groupes s'inspirent des luttes de libération révolutionnaires qui émaillent un peu partout la planète, en passant du petit livre rouge de Mao aux « Les damnés de la terre » du psychiatre afro-antillais Franz fanon (mort en 1965). Le BPP distribue un livret de formation politique et d'initiation aux « Sciences de la révolution » et se structure selon le principe du cloisonnement en respectant le précepte de Malcom X : « ceux qui savent ne parlent pas et ceux qui parlent ne savent pas  ». Cela va aboutir à des nominations internes de personnes incompétentes.

Au mois d'avril 1967 sort « Community New Service  », une lettre d'information mensuelle de quatre pages dont le rédacteur en chef n'est autre que Elridge Cleaver. Des membres armés s'invitent le mois suivant à l'Assemblée nationale de Californie et y lisent un texte visant à modifier les textes de loi en vigueur sur les armes. Cette action militante est suivie de vingt-huit arrestations. Le BPP déclare à propos de la conscription : « Si vous m'envoyez au Viet Nam, je tirerai sur mon officier et sur mon sergent avant de rejoindre les troupes du nord  »... Le BPP réclame l'échange de soldats noirs contre des prisonniers du vietminh. Les hommes de retour du Vietnam enseignent à leurs camarades la fabrication de bombes artisanales. Les groupes et les cellules du BPP vont être surveillés, infiltrés, déstabilisés (provocation) afin de mieux les neutraliser.

En 1968, Edrige Cleaver décide de se présenter aux élections pour la Présidence des États-Unis. Il ne recueille que 36 000 voix, principalement dans six États du sud. Tous le monde a gardé en mémoire les photographies iconiques représentant Tommae Smith et John Carlos, les deux finalistes du 200 m aux JO de Mexico (1968) sur le podium, le poing ganté levé, la tête baissée. Au mois d'octobre 1969, le BPP entre dans la clandestinité ce qui a pour conséquence d'entraîner autant de cellules autonomes. Ces dernières restent libres de choisir leurs cibles et de les frapper de la manière jugée la plus appropriée (principe de la résistance sans chef). Leurs actions deviennent imprévisibles (cellules fantômes). Le BPP conserve cependant des façades légales qui lui servent de permanences : associations caritatives, centres de soins gratuits, soutien scolaire.

Au début des années soixante-dix on voit apparaitre des afro-américains vêtus de costumes africains adopter un patronyme africain et s'initier au swahili. Le BPP entend étendre son influence et entrainer une coalition des organisations et convergence des luttes. L'occasion lui en est donnée le 4 septembre 1970 à Philadelphie avec la « Convention constitutionnelle et révolutionnaire du peuple ». La réunion rassemble 6 000 personnes parmi lesquelles : des étudiants, des gays, lesbiennes, des féministes, mais la convention débouche sur un constat d'échec. Ces minorités représentées ne sont pas en mesure de livrer accès au BPP à la communauté blanche. Les mentalités ne changent pas aussi facilement et un important travail de réflexion ne saurait y suffire. L'éducation reçue lors de l'enfance a des effets durables sur la personnalité.

Le BPP va devenir en quatre années une organisation révolutionnaire. Il possède : son « gouvernement » (en exil) - une armée de libération nationale - ses « tribunaux » et ses avocats - un programme politique. L'agitation va rapidement gagner nombre de groupuscules afro-américains non révolutionnaires proches de Martin Luther King, Malcon X ( assassiné le 21 février 1965) des Black Muslims (les noirs de New-York sont en majorité sunnites), le « Ministère de la Nation d'Islam » reste une coquille vide. Eldridge Cleaver poursuivi pour le meurtre d'un policier en avril 68 et libéré sous caution en profite pour s'enfuir à Cuba avant de s'exiler à Alger d'où il va donner au BPP une audience internationale. Cela va avoir une influence sur la constitution de mouvements en Grande-Bretagne, en Israël, en Australie et aux Indes.

Le BPP qui restait convaincu que la révolution pouvait déboucher sur une transformation radicale de la société doit se rendre à l'évidence. Il ne tarde pas à aboutir à la même constatation que d'autres mouvements avaient faite avant lui, la création d'un foyer insurrectionnel ne fait que de renforcer l'appareil répressif et les arrestations en masse saignent les rangs des militants, tandis qu'une partie de la population écœurée par la violence se détourne de l'organisation. C'est pour le BPP le déclin. Ce qui reste de l'organisation réagit en décidant le noyautage de l'appareil administratif. Le BPP va pousser ses hommes et ses femmes qui donnent l'impression d'être intégrés, en apparence seulement, à s'emparer des postes qu'ils jugent importants et utiles à la cause, postes jusqu'alors réservés aux blancs. Ces militants reçoivent le nom d'« oncle Tom ». Il s'agit de viser à un effet dominos. Chaque employé noir peut dissimuler un révolutionnaire en devenir ou un informateur au service de sa communauté...

Eldridge Cleaver passa un accord avec l’État en 1975, et presque toutes les charges qui pesaient contre lui furent abandonnées. De retour aux USA il allait se convertir au christianisme (Mormon) et devenir « accro » à la cocaïne. En 1980 le BPP ne compte plus que 27 membres et certaines de ses figures marquantes vont faire carrière au parti démocrate. Un an avant sa mort en 1997, Eldridge Cleaver déclara : « Je pense qu’il est possible au système capitaliste d’arriver au plein-emploi, mais nous avons un problème spirituel et moral en Amérique. Notre problème n’est ni économique ni politique ; il est que nous ne prenons pas suffisamment soin les uns des autres ».

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