Théo, chronique technique d’une intervention policière qui a mal tourné

par Desmaretz Gérard
samedi 11 février 2017

Théo, un jeune homme de 22 ans était interpelé le 4 février à Aulnay-sous-bois par quatre jeunes policiers appartenant à la brigade spécialisée de terrain. Le médecin qui l'a examiné a conclu à une déchirure de l'anus de 10 cm ! et lui a prescrit une incapacité de travail temporaire de soixante jours ! Trois fonctionnaires de police ont été mis en examen pour violences volontaires et le quatrième pour viol ! Pour maître Eric Dupond-Moretti, son avocat : « Physiquement, il y a des dégâts qui sont considérables. Psychologiquement, il est démoli. » Les experts médico-légaux devront se prononcer sur la force mise en œuvre capable d'entrainer ce genre de lésion et par voie de conséquence sur l'état d'esprit du policier incriminé.

L'objet du délit ? un bâton télescopique généralement porté par les policiers en tenue civile, les « uniformes » disposant du tonfa, un ancien instrument agraire dans le Japon féodal. Le tonfa ressemble à une matraque disposant d'une poignée verticale placée au tiers de sa longueur qui permet de porter des coups frappés circulaires ou non, ou être utilisé pour porter une clef et amener l'individu au sol. Le tonfa a été retenu initialement dans un contexte donné, celui des attaques à la batte de baseball, car il permettait de protéger et de venir renforçer le blocage avec l'avant bras. Deux policiers, Robert Paturel et Alain Formagio ont développé la technique, « tonfa police », rien de tel n'a été vraiment entrepris pour le bâton court, si ce n'est la technique de Charles Joussot.

Le bâton en acier ou en aluminium est disponible en trois longueurs : 40, 53 et 66 cm, s'il suffit d'un mouvement sec (gravité) pour le déployer, il ne peut selon le modèle, être rétracté qu'en frappant son extrémité sur une surface dure (un bouchon permet de régler la force nécessaire à sa fermeture ), un autre système requiert une torsion d'un quart de tour pour en rétracter les segments. Le bâton peut aussi recevoir un bouchon présentant trois pointes en céramique afin de pouvoir briser une vitre de véhicule !

Je rappellerai que les zones de frappe d'une arme contondante sont : le côté (coup de taille), la pointe (coup d'estoc) et le talon. Les coups fondamentaux appartiennent à une des catégories suivantes : verticale - latérale directe - revers - pointe - retourné, à partir de ces fondamentaux dérivés de l'escrime à la canne ou du bâton court, et selon la saisie en pronation ou supination, d'autres frappes restent possibles, la frappe latérale combinée à une frappe verticale donne une frappe oblique.

L'efficacité de la frappe repose sur trois facteurs : la masse - la vitesse - la rigidité et dureté du segment. L'énergie en mouvement linéaire propre au coup est directement proportionnel au carré de la vitesse de déplacement (1/2. mv2) et l'extrémité du bâton peut atteindre la vitesse d'une vingtaine de mètres par seconde ! La force de frappe peut être accrue par la présence d'un « embout » placé au talon de façon à favoriser le pivotement de la matraque au moment de l'impact, effet qui peut aussi être mis en application par la synchronisation lors de la frappe avec le pliage des doigts et un mouvement sec du poignet (kimé), mais peu de policiers ou militaires sont capables de maîtriser cette technique. Le bâton blanc des « pèlerines » présentait la particularité de se briser au-delà d'une certaine force (environ une vingtaine de kilogrammes).

Toute action peut être à l'origine de lésions traumatiques et la nature des blessures et leurs séquelles peuvent être très étendues allant de l'hématome à la fracture mortelle avec tous les états intermédiaires. Chaque utilisation : coup, étranglement, clé par suspension ou non, pression, etc., a des contraintes et des spécificités qui se retrouvent au niveau de l'anatomie, de la peau, du squelette, du système musculaire, la physiologie de la circulation et de la respiration, principalement.

Selon la nature du coup asséné : rapide - percutant - appuyé - les résultats sont différents. Un coup sec est capable de « sonner » sérieusement, voire d'entraîner de sérieux dégâts : traumatisme, lésions des muscles, des tendons, l'éclatement d'un organe, une fracture. Les zones du corps humain sont réparties en trois zones : zone rouge : la tête - le cou - le triangle génital, frappes interdites ; zone orange : le tronc dans son ensemble, frappes modérées autorisées sur la face antérieure, latérale et postérieure ; zone verte : membres supérieurs à partir de l'épaule - et membres inférieurs y compris zone fessière, frappes libres et autorisées.

Ce tableau établi par le docteur Perez n'offre aucune garantie, car il ne prend pas en compte le type de frappe, on ne saurait comparer un coup de taille sur l'abdomen avec un coup de pointe ! N'eut-il pas été plus judicieux de placer toute la partie centrale antérieure (plexus, etc.) et postérieure médiane (colonne) du « center masse » en frappe interdite ? La prévention d'excès traumatique repose sur le « dosage » de la frappe, un coup « appuyé » peut être à l'origine d'une fracture osseuse ou articulaire, d'une plaie ouverte. Un coup tangentiel est capable d'entraîner une forme grave avec le décollement sous-cutané du plan aponévrotique avec arrachement des vaisseaux et épanchements. Une lésion de la moelle épinière peut s'accompagner d'une paralysie irréversible ! La paraplégie, par exemple, est la conséquence d'une lésion de la moelle épinière à la hauteur des vertèbres de T2 à S2. La paraplégie signifie la paralysie des deux membres inférieurs, la perte de la sensibilité à la douleur, à la température et au toucher, ainsi que la perte du sens de l'équilibre au-dessous du niveau lésé.

Les plaies peuvent être compliquées de lésions sous-jacentes nettes (coupures), plaies contuses (choc). Lors d'une blessure en coup d'estoc, le danger réside dans la méconnaissance de la localisation et de la profondeur exactes auxquelles se trouvent les organes vitaux. Des coups directs ou indirects dans la région abdominale et dorsale (Zone orange) peuvent avoir des conséquences graves, voire mortelles.

L'intervenant peut aussi utiliser son bâton ou tonfa pour comprimer : les nerfs - les muscles - les tendons - les ligaments - en différentes parties du corps, action capable de provoquer des douleurs importantes. Il existe d'une façon générale, des points douloureux aux endroits où la surface cutanée repose sur un plan osseux, comme par exemple la crête tibiale. La douleur est d'autant plus intense qu'au niveau d'un point se situe le trajet d'un nerf. Plus le nerf est gros, plus la douleur sera forte (la pression est égale à une force sur une surface). Elle peut persister jusqu'à deux semaines. Chez les personnes bien enrobées, leurs nerfs sont entourés d'une épaisseur de graisse qui les protège mieux des traumatismes. Les principaux points de pression sont : face interne des membres, l'articulation du poignet (juste au-dessus de l'apophyse styloïde), fessier. L'écrasement peut être lent et profond, ou brusque et énergique, vibratoire. La douleur dépend de la zone écrasée et être accrue par une pression doublée d'un mouvement oscillatoire de plus ou moins grande amplitude, vibrations transversales ou perpendiculaires afin de se communiquer aux téguments et se propager en profondeur en irradiant. La zone écrasée peut être le siège d'une hémorragie interne (invisible), d'une fracture, et la compression d'une ou plusieurs racines entraîner un déficit moteur ou une paralysie ! L'individu peut présenter des paresthésies sans lésions apparentes !

Dans notre cas, le policier a-t-il voulu procéder à une compression dans la région fessière qui prolonge la colonne vertébrale d'où sortent les racines dernières paires des nerfs moteurs correspondant au membres inférieurs, ou agir sur le point de jonction du petit fessier avec les muscles du derrière de la cuisse où l'ischion n'est pas protégé par une masse musculaire ? Le pantalon ? en présence d'un individu portant un baggy ou des pantalons non retenus par une ceinture ou une paire de bretelles, l'intervenant peut être tenté de l'abaisser pour entraver les jambes, comme on le fait sur le porteur d'une veste portée ouverte que l'on retourne pour immobiliser les membres supérieurs. C'est cependant un peu tiré par les cheveux... L'angle de pénétration (probablement un coup d'estoc ou pointe) que les experts devront déterminer pourra apporter un début de réponse.

A la lecture de cet abrégé de traumatologie, une question se pose à tous, doit-on tolérer l'usage d'armes contondantes chez des fonctionnaires n'ayant suivi que quelques heures de formation à leur maniement ? Pour obtenir le maximum d'efficacité en infligeant le minimum de douleur, le policier ne doit pas être sujet à une impulsion incontrôlée (sadisme, colère, stress, etc.). Il doit s'agir d'actes techniques maîtrisés. Lorsque le pouvoir politique ne met pas de cadre légal strict et ne propose que des formations bâclées, il se décharge de ses responsabilités, et les possesseurs de pouvoirs n'hésitent pas à s'arroger des droits nés de ce qu'ils estiment être leur devoir..., c'est à dire la représentation qu'ils ont d'eux mêmes et de la fonction.

 

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