Théorie des passions humaines

par Taverne
lundi 1er août 2016

Beaucoup de philosophes, notamment Descartes et Spinoza, se sont penchés sur les passions humaines. IIs ont pu identifier les émotions de base (joie, tristesse, peur,etc.) et leur classification vaut toujours comme la référence aujourd'hui. Cependant, aucun penseur ne s'est aventuré à développer une définition de la haine et de sa raison d'être. Cet article propose une sorte de théorème des passions et émotions qui inclut enfin une approche véritable de cette chose que l'on appelle la haine dont on ne sait dire s'il s'agit d'un sentiment, d'une émotion ou d'autre chose.

La réponse est que la haine est autre chose qu'un sentiment, autre chose qu'une émotion. La haine est une force. Dès lors, on comprend qu'elle n'ait pu être conceptualisée, la conscience se refusant à admettre qu'une chose aussi négative puisse être élevée au rang de force. Mais si la haine est une force, il s'agit en réalité d'une force négative. Il s'agit bien néanmoins d'une force car, nous le verrons, tout ce qui entre en jeu dans la motivation est une force.

Sans perdre de temps, entrons dans la présentation des forces puis des émotions. L'idée fondamentale est que les forces positives sont liées au manque tandis que les forces négatives sont liées à la perte.

I - Les forces

A / Etat des forces en présence

Positives (Manque) :............................Négatives (Perte) :

lente : confiance (sûreté)   lente : méfiance    
médiane : volonté (puissance)   médiane : colère    
immédiate : désir (impatience)   immédiate : peur / répulsion    

Les forces négatives nécessitent quelques explications, car ce n'est pas une notion à laquelle nos esprits son habitués.

La force négative lente, la méfiance, est liée à la perte possible. Mais à la perte possible de quoi ? De la confiance (trahison), de l'estime, de l'amour propre ("perdre la cace") de la dignité. La méfiance naît dans un contexte peu fiable, peu sûr, ou ressenti comme peu fiable. L'idée de perdre une chose est comme souterraine dans ce fond de méfiance.

La force négative médiane, la colère (qui peut prendre la forme de l'indignation) est liée à la perte posssible du contrôle de soi ou de la situation, de l'ascendance, de la justice (indignation), du nécessaire vital (révolte). Par exemple, un professeur perd le contrôle de sa classe et l'ascendant sur ses élèves, il se met en colère.

La force négative à valeur immédiate est la peur. Cela peut surprendre d'entendre affirmer que la peur est une force. En fait, objectivement, si l'on fait abstraction de tout jugement humain, c'en est une. La peur est une des forces qui nous permet d'échapper à un danger réel et immédiat. Mais en ce cas, pourquoi l'homme qualifie-t-il la peur de faiblesse ? Son orgueil d'abord le pousse à montrer qu'il domine cette force négative en toutes circonstances. Par ailleurs, ce que nous appelons "faiblesse" n'est en réalité qu'une réduction de la force. La force négative de peur est liée à la perte possible de la vie, de l'intégrité physique (blessure), de la santé (maladie). Ainsi la peur se manifeste-t-elle sans délai face à la bête féroce, à tout danger qui pourrait blesser, face à la peste ! La répulsion est une forme particulière de peur qui donne naissance à l'émotion du dégoût.

B / Amour et haine

L'amour n'est autre que la conjonction de deux forces positives : la confiance et le désir, la confiance comme "fond" et le désir comme impulsion. Nous pouvons enfin savoir ce qu'est la haine, et la définir par parallélisme et par déduction : il s'agit de l'addition de deux forces négatives : la méfiance (comme fond néfaste) et la peur (impulsion).

Que veut dire aimer ?

Pour s'amuser, certains se moquent en disant qu'aimer ne veut rien dire puisque aussi bien on peut dire dans une même phrase "j'aime mon chien, j'aime les fraises, j'aime ma femme". Mais ils ont oublié que le langage courant simplifie tout. Le verbe aimer est employé abusivement pour des cas différents. La forme correcte pour la phrase citée en exemple serait : "j'apprécie la présence de mon chien, les fraises me régalent, je suis amoureux de ma femme".

Mais, comme dans les circonstances réelles, nous ne sommes jamais amenés à énoncer une phrase pareille, on emploie le même verbe dont le sens est implicite dans chacun des cas.

Qu'est-ce que la haine ?

La haine est l'addition de deux forces négatives : la méfiance et la peur. Mais encore ? Elle est le mouvement inverse de celui de l'amour. L'amour est un mouvement vers (quelqu'un), la haine un mouvement contre (quelqu'un). Ce sont deux moteurs opposés en tant que forces. Mais si cette nature commune de force les unit sur un même plan en les opposant, amour et haine ne sont pas contraires sur les autres plans de définition, ce qui explique qu'ils puissent se mêler et donner alors ce que l'on appelle l'ambivalence. Il ne s'agit plus ici de forces mais de sentiments.

Amour et haine s'opposent aussi dans leurs dimensionnement. L'amour est déploiement, la haine est repli. L'amour - notion générale - est ouverture au monde (la Présence), aux autres (relations), et à son propre être intérieur. La haine est fermeture et repli sur soi dont on ne possède plus la libre maîtrise. C'est une sorte de possession, alors que l'amour tend plutôt vers la dépossession de soi (le don et l'abandon).

Il n'en demeure pas moins que la haine est bien un moteur, une force, utile mais qui peut se montrer très dangereuse pour la société. « L'homme a en lui une attirance profonde pour la haine et la destruction  » (Albert Einstein). Sigmud Freud, croit en l'existence d'un instinct de haine et de destruction qui coexiste avec les instincts d’Eros.

Comment détecter la haine ?

Sera qualifiée de haine la "passion" qui passe avec succès le test des trois "time".

1 - L'estime  : l'estime n'apparaît que dans les niveaux moyens-supérieurs de la pyramide de Maslow qui recense les besoins et motivations. C'est à ce niveau d'élévation de besoin que la haine peut poindre : ces besoins sont les besoins d’appartenance, d’identité, d’affection, d’estime de soi, et de reconnaissance. La perte ou le sentiment de perte de la possible satisfaction d'un ou de plusieurs de ces besoins peut, dans certaines circonstances, faire naître la haine. Ces circonstances sont l'absence des forces humaines positives, donc l'absence simultanée de la confiance, de la volonté et du désir.

2 - Le point intime  : le risque d'atteinte à notre intimité ou son atteinte affective, peuvent aussi constituer un point de haine. D'ailleurs, celui qui hait aspire à créer une relation réciproque d'inimitié en s'efforçant de susciter de la haine chez la personne envers laquelle il éprouve du ressentiment. Quel moyen utilise-t-il ? L'atteinte à l'intimité de l'autre ! Il cherchera à connaître, ses points faibles, sa vie privée, ses fantasmes.

3 - Le point ultime. En effet, la haine va jusqu’au bout de tout, jusqu’au profond du "point intime", jusqu’à la forme la plus destructrice. Elle cherche à anéantir l'autre auquel elle dénie toute existence en tant qu'être humain, en tant qu'être tout court.

Si la "passion" que vous passez au crible de ces trois critères ne donnne pas lieu à une réponse positive dans chacun des trois cas, il s'agit d'autre chose que de haine. Il peut s'agir de méchanceté ou d'agressivité. Un personne peut vous insupporter sans vous haïr. Insupporter conduit à l’évitement et non à la haine.

Du point de vue scientifique, Semir Zeki et son collègue John Paul Romaya, de l’Université de Londres, ont examiné comment notre cerveau élabore la haine et ils ont constaté que, lorsque nous pensons à une personne détestée, une série d’aires cérébrales s’activent : le putamen est habituellement impliqué dans le mépris et la peur ; l’insula dans l’amour, parfois dans le dégoût.

Le cas de la méchanceté

Etre méchant n’est pas haïr. Les notions de méchanceté et de gentillesse nous sont inculquées pendant l’enfance. La méchanceté devient délibérée. Elle peut être désintéressée (« gratuite »). Pas la haine. La haine est un engagement total et permanent de l’être, la méchanceté est passagère. L’avantage de la méchanceté, c’est qu’on la définit en opposition à autre chose : la gentillesse ou plutôt la bonté.

La méchanceté ne résiste pas au test des trois points : elle n’est ni ultime, ni intime ni d’estime.

La méchanceté qualifie plus l’acte commis que le sentiment qui le porte. Elle est plus extérieure et, partant, plus superficielle, plus légère. Alors qu’il n’y a pas de légère haine.

Le meilleur de nos forces

Imaginons deux cadrans : l’un est celui d’une boussole mue par la haine et qui indique une direction unique quel que soit le sens dans lequel on tourne la boussole. De plus, la direction unique donnée est néfaste et destructrice. L’autre est celui d’une horloge : la trotteuse est celle du désir immédiateté du désir), l’aiguille des minutes est la volonté, l’aiguille des heures est la confiance (c'est elle qui requiert la plus grande patience). Trois dimensions temporelles qui nous permettent d’accéder aux trois buts essentiels de notre vie : la liberté, le bonheur et la vérité (et la justice).

La motivation  : les forces forces que nous avons examinées entrent dans la composition de la motivation.

L’étymologie du mot vient du latin « movere » qui signifie se déplacer, être en mouvement. Elle joue trois rôles : elle est, avec l'impulsion, ce qui assure le démarrage d’une activité ; elle indique la direction de l’activité ; elle permet la persévérance dans l'activité en vue d'un objectif fixé. Le sens donné à la motivation varie selon différents théoriciens sur ce site.

II - Les émotions

Ces émotions de base sont depuis longtemps identifiées (par Descartes et Spinoza, en particulier). Il s'agit de la joie, de la tristesse, de la peur, de la colère du dégoût, de la surprise. Ces émotions peuvent se combiner et donner naissance à des émotions secondaires. Mon article "la dualité de l'être" énumère les principales émotions secondaire selon la théorie de Plutchik.

Les émotions sont des phénomènes corporels, des évènements physiques, qui génèrent des états. Chaque émotion s'appuie sur un contexte physiologique spécifique, autrement dit, la mise en tension immédiate est provoquée par une cause bien déterminée. Les grandes émotions, comme la joie, sont rarement éprouvées dans la solitude ; elles sont plus souvent le fait de circonstances d’interactions sociales : évènements sportifs, soirée entre amis...

L'émotion naît de ce qui nous "émeut", étymologiquement parlant qui nous "dérange", en quelque sorte qui nous meut intérieurement.

Sur la question des émotions, se reporter à mon article précité, "la dualité de l'être" et, pour le cas particulier de la haine : "Qu'est-ce que la haine ?" Je rappelle également que, selon ma téhorie, l'homme évolue en trois dimensions : la dimension agissante (projetante), la dimension ascendante (évaluante et jugeante), la dimension reliante. Et, je crois que l'on peut affirmer avec certitude que la haine n'est pas reliante. Elle s'exclut d'elle-même des dimensions humaines. C'est une force de dernier recours et qui, de plus, a été instrumentalisée socialement pour donner plus de force aux guerriers face à leurs ennemis. La haine étant à la fois fédératrice (contagion facile) et d'une puissance supérieure à celle de la colère ou de toute autre force agressive. Généralement, quelques clichés terrifiants et quelques boucs-émissaires suffisent à la mettre en branle.

Conclusion

Les trois dimensions ci-dessus rappelées se fondent en deux dimensions principales qui transcendent les forces élémentaires pour nous permettre d'accéder, dans l'idéal, à la joie, la plénitude ("bonheur" dans le langage moderne) ou à l'Amour (au sens spirituel et non sentimental), les contingences liés aux notions de manque et de perte sont alors dépassées par un état psychique plus fort que ces deux dimensions.

En effet, dans l'idéal, notre être est enclos dans deux dimensions : celle du halo et celle du souffle. Le halo de lumière au-dessus de nous et descendant comme une pluie ou une grace, éclairant nos contours et nos dimensions, le souffle, quant à lui, est ce qui anime et soutient notre pensée. Il assure la cohérence et la vie de l'esprit, sans lequel notre pensée n’est pas. Dans l'esprit, ce souffle lie le passé au présent. Le souffle reliant tous les moments importants de notre existence provoque, à l'approche de notre mort imminente (selon de nombreux témoins) un délfiment rapide d'images en cascade : nous voyons « défiler notre vie ». Quant au halo de lumière, il est la dernière vision que nous ayions (toujours selon des témoins de mort imminente).


Lire l'article complet, et les commentaires